Quel devrait être le prix d’une bouteille de lait dans les grandes surfaces ?
Cette question émerge alors que l’inflation augmente les coûts des agriculteurs et ampute les budgets des ménages.
Problématiques
Dès que nous abordons ce sujet sensible, il apparaît quatre problématiques :
- Dans la longue chaîne de transactions industrielles et économiques qui sépare la vache et le consommateur, y-a-t-il quelqu’un qui dégage des marges ou des profits indus aux dépens des agriculteurs ?
- Les syndicats d’agriculteurs offrent-ils de bonnes solutions économiques à leurs problèmes ?
- Quel rôle a joué l’abolition des quotas européens en 2015 ?
- Si la structure des prix ne change pas, quels agriculteurs sortiront leurs marrons du feu ? Certains feront-ils faillite et, si oui, comment les aider sans plomber les finances publiques, c’est-à -dire sans traire la vraie vache à lait de la république, à savoir le contribuable.
Mais avant de nous lancer dans les solutions du problème, il faut probablement rappeler l’évolution des prix et des coûts.
Prix à la production
Même si le prix moyen des 1000 litres de lait était passé de 390 euros en mai 2021 à un plus haut historique de 427 euros en mai 2022, les éleveurs réclamaient alors 500 euros au gouvernement…
Leurs vœux avaient presque été exaucés par le marché qui s’est stabilisé à un sommet de 483 euros pour le lait standard 32-38 toutes qualités en février 2023.
Mais depuis lors, le prix du lait baisse un peu partout en Europe, y compris en France (ici). De 476 euros en avril, on passe alors à 466 euros en mai, puis 450 euros en juin.
Selon l’IDELE (ici), « après avoir progressé plus tardivement et modérément qu’ailleurs dans l’UE-27 », le prix du lait en France « suit désormais la même tendance baissière » qu’en Pologne, aux Pays-Bas, au Danemark, en Irlande et en Allemagne.
La flambée exacerbée par la guerre en Ukraine se termine donc.
La collecte recule de -3,0 % en mars par rapport à 2022, ce qui reflète une baisse record du cheptel laitier de -2,6 % en mars par rapport à 2022.
Couvrir les coûts
Hélas, les coûts de production augmentent dans le présent contexte inflationniste.
Beaucoup d’agriculteurs espéreraient maintenant vendre à 550 euros les mille litres pour avoir une chance de couvrir leurs coûts.
Bien sûr, il n’y a aucune chance qu’il soit possible de maintenir très longtemps une industrie qui produirait à perte.
La question se pose donc de savoir comment on pourrait les aider.
Prix à la consommation
Ceci est d’autant plus vrai que les coûts des intermédiaires – conditionnement, stockage, transport et grandes surfaces – s’ajoutent aux coûts de production.
Le consommateur paie environ le double du prix payé à l’éleveur.
Ceci conduit certains à considérer, à tort, que les grandes surfaces auraient une « marge » de 100 %.
On peut compter sur les médias complètement profanes et leurs journalistes peu au fait des réalités économiques pour faire des reportages sur le terrain : ils découvrent avec délectation cette « marge » abjecte.
Le gauchiste de service laisse entendre au lecteur que les méchants capitalistes Lactalis ou Danone exploitent honteusement les pauvres petits producteurs qui se défendent grâce à leurs syndicats.
Selon un article d’Europe 1, « alors qu’un éleveur laitier récupérait 35,5 % du prix final en 2015, l’entreprise agro-alimentaire qui lui achetait le lait touchait de son côté 42,1 %. D’où les demandes insistantes des agriculteurs afin de revoir la répartition de la valeur ajoutée dans la filière lait ».
Les producteurs appellent alors le gouverne-maman au secours, tant il est vrai qu’il est la pseudo-solution à travers laquelle tout le monde essaie de vivre aux dépens de tous.
Mais les raisonnements syndicaux ne tiennent pas une seconde face au raisonnement économique !
Le lait doit être pasteurisé, écrémé, mis en bouteille, transporté, vendu… Tout ceci coûte fort cher.
Et lorsqu’Europe 1 prétend que les entreprises agro-alimentaires reçoivent 42,1 % du prix du lait, elle fait l’impasse sur le fait que ce chiffre – très surévalué – est en fait une moyenne : il y a une grande différence de valeur ajoutée en fonction du produit : entier, écrémé, avec vitamines, etc.
Sur l’exemple pris par Europe 1, le lait ordinaire à 76 centimes le litre (à l’époque), la valeur ajoutée est probablement bien moindre.
Selon ses comptes 2019, le groupe Lactalis a une marge nette de seulement 1,6 % sur l’ensemble de son chiffre d’affaires. Si quelqu’un « s’en met plein les poches » ce ne sont sûrement pas ses 75 000 employés et encore moins ses actionnaires.
La distribution
De leur côté, Carrefour et Auchan ne font guère mieux avec des marges respectives de 1,3 % (2021) et 2,2 % (2020).
Il convient de noter que les marges bénéficiaires peuvent varier entre les différents segments de l’industrie des supermarchés.
Cela étant dit, les marges bénéficiaires sont généralement faibles, allant souvent de 1 % à 3 %. Cela signifie que pour chaque euro de chiffre d’affaires, les supermarchés ne peuvent générer que quelques centimes de profit.
Les supermarchés fonctionnent avec de faibles marges bénéficiaires en raison de divers facteurs tels que la concurrence féroce, la sensibilité des consommateurs aux prix, les coûts d’exploitation élevés (y compris la main-d’œuvre, la gestion des stocks et l’immobilier) et la nécessité d’investir dans un réapprovisionnement constant des stocks.
Bien sûr, il est impossible de savoir quel est leur marge sur le lait, mais il est là aussi certain qu’une fois payés le transport, le stockage, la mise en rayon et, hélas, la destruction des invendus, il ne reste qu’une très faible marge.
Un indice fort qu’il existe une concurrence intense, et donc de faibles marges vient de l’innovation et la différenciation des produits pour acquérir un avantage concurrentiel : dans n’importe quel supermarché, il existe des dizaines de produits laitiers différents.
Bien que cela puisse permettre à certaines entreprises d’exiger des prix plus élevés et de maintenir des marges bénéficiaires plus importantes, cela introduit également une nouvelle concurrence, alors que les acteurs économiques s’efforcent de développer des offres similaires ou meilleures.
Contrairement à ce que pense l’ignare de base, la transformation, le transport et la grande distribution sont des secteurs très compétitifs et intensifs en main-d’œuvre. Ils sont donc des activités à faible marge.
Phénomène général
Et ce n’est pas unique aux produits laitiers.
Toute l’agriculture a une structure des prix où le premier agent n’est pas la première source de valeur ajoutée. Combien de betteraves dans le prix du kilo de sucre raffiné ? Et quelle part du prix des frites au restaurant rémunère-t-elle le producteur de patates ?
La part de chacun est déterminée par le marché en fonction des valeurs ajoutées à chaque étape. On peut penser que l’agriculteur est mal rémunéré, mais que dire alors des centaines de milliers d’employés en aval de nos fermes, si les marges de leurs entreprises sont si faibles ?
Un vol déguisé
Il nous faut donc rejeter l’idée simpliste qu’un groupe de bandits de grand chemin s’interposerait entre nos vaches et nos consommateurs.
À une exception près… L’État !
En effet, si Lactalis et Carrefour touchent 59,2 % du prix final alors que l’éleveur laitier ne récupérerait que 35,5 % du prix final en 2015, nous ne sommes pas à 100 % : toujours selon l’inénarrable article d’Europe 1, « 5,3 % revient à l’État ».
Sauf que, comme à son habitude, la presse fait un travail bâclé : 5,3 % revient à l’État sous forme de TVA. Mais c’est faire l’impasse sur tous les impôts payés par les agriculteurs, les entreprises agro-alimentaires, et les grandes surfaces.
C’est omettre les charges sociales, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). L’État renchérit le premier ingrédient le plus fondamental à la production de lait, le travail.
Mais surtout, c’est passer sous silence la Taxe intérieure sur les produits énergétiques (TICPE). Car si les exploitations agricoles ne paient pas la TICPE sur les achats de gazole non routier (GNR) ou le gaz de pétrole liquéfié (GPL), malheureusement, tout le reste de la chaîne économique subit de plein fouet le renchérissement artificiel du deuxième ingrédient le plus fondamental à la production de lait, l’énergie.
Enfin, c’est oublier les impôts sur les sociétés, les charges foncières et les impôts sur les intérêts d’emprunt acquittés par les prêteurs : l’État renchérit le troisième ingrédient le plus fondamental à la production de lait, le capital.
Si on part du principe (faux) que l’État ne prend que 5,3 % du prix final du lait, on ne peut pas comprendre pourquoi les agriculteurs français rencontrent des problèmes croissants : il est impossible de raisonner vrai sur des chiffres faux.
Ce pourcentage étant au moins dix fois supérieur, nous devrons le prendre en compte lorsque nous aborderons la question des politiques publiques.
Conclusion
En tout état de cause, il n’y a donc pas de problème dans le partage du prix final du lait. Aucun acteur économique ne semble faire d’énormes profits. Aucun acteur ne semble être payé pour une absence de services rendus, à part, comme à l’accoutumée, les hommes de l’État.
Mais dans un tel contexte analytique, les syndicats d’agriculteurs offrent-ils vraiment les bonnes solutions économiques au problème ? Nous répondrons à cette question dans la deuxième partie.
Ce raisonnement est valable pour tout produit fabriqué en France. Taxé sur les locaux, taxes sur les salaires, taxes URSSAF, taxes sur les entreprises, taxes régionales et locales et TVA (appliquées aussi sur toutes ces taxes) font que le prix d’un produit est au minimum composé de 65% de taxe : L’État devient ainsi un mafieux. Il n’a rien à envier aux Corleone.
Mouais, méfions nous des chiffres donnés par la grande distribution, dont les patrons, du moins sont qu’on voit dans les médias, sont tout sauf des angelots et sont copains comme cochons avec la classe politique depuis au moins Marc-Aurèle. N’oublions pas que le développement des GMS doit tout aux autorisations administratives autrefois nécessaires pour ouvrir les immenses surfaces de vente que nous connaissons aujourd’hui.
D’autre part la « concurrence féroce » entre eux est loin de porter sur l’ensemble des dizaines de milliers de référence d’un hypermarché. Sur l’essence, soit, produit hautement symbolique et dont les prix s’affichent en grand à l’extérieur et à la vue de tous. Pour le reste, le consommateur moyen est bien incapable de connaître et suivre les prix de plus de quelques produits (une douzaine, deux peut être).
Un pseudo liberal se mue vite fait en anti capitaliste
Le populisme français dans toute sa splendeur…….
Tout ça sans même payer le travail de la vache.