La RSE est-elle un commerce d’indulgences ?

La Responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) est-elle devenue une forme moderne d’indulgence ? Philippe Silberzahn examine les critiques selon lesquelles la RSE est utilisée par certaines entreprises comme un moyen de dissimuler leurs pratiques condamnables tout en affichant une fausse vertu.

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La RSE est-elle un commerce d’indulgences ?

Publié le 14 juillet 2023
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La RSE – Responsabilité sociale et environnementale des entreprises – est devenue un passage obligé de la stratégie d’une organisation. Si la nécessité paraît évidente – bien sûr qu’une organisation a une responsabilité sociale et environnementale – le concept a pourtant dès ses débuts fait l’objet de critiques, aussi bien dans son principe que dans son application.

L’une d’entre elles a trait au fait que pour de nombreuses entreprises, la RSE est un moyen commode de s’acheter une conduite malgré des pratiques discutables, voire condamnables. Ce n’est pas sans rappeler la notion d’indulgence au Moyen Âge. Il y a un risque réel de corrompre la belle idée de la RSE.

Dans un article critique paru dans le journal The Australian, Claire Lehmann, fondatrice et éditrice du magazine Quillette, écrit : « La rédemption des entreprises n’est pas le signe d’une véritable fibre morale ». Elle accuse la RSE d’être une nouvelle indulgence, c’est-à-dire un moyen pour les entreprises d’afficher leur vertu par quelques actions spectaculaires – par exemple le sponsoring d’une Gay Pride – pour masquer la réalité souvent bien sombre, voire criminelle, de leurs pratiques de management.

Elle cite plusieurs cas édifiants, dont celui de BHP, plus grand groupe minier du monde. Se posant en entreprise citoyenne modèle, le groupe s’est fortement impliqué dans la campagne en faveur de la légalisation du mariage homosexuel en Australie avec un don de deux millions de dollars de soutien. Or, il est également accusé d’avoir sous-payé 28 500 de ses employés pour un total de… 430 millions de dollars en trichant sur les remboursements de jours de congés. Et il n’est pas le seul activement impliqué dans une cause sociétale tout en étant par ailleurs accusé de malversations, d’errements éthiques, voire de comportements criminels.

Difficile d’y voir clair, mais a minima, il y a là un double langage, une déconnexion embarrassante entre la vertu affichée et la pratique bien peu vertueuse du management. Au pire, il y a tentative de masquer la seconde avec la surenchère de la première, voire de racheter ses fautes pour pas cher.

 

Le rachat des indulgences

Le rachat de ses fautes par une autorité morale à laquelle on se soumet ostensiblement n’a rien de nouveau.

Dans l’Église catholique, c’est le rôle de l’indulgence. Celle-ci est la rémission totale ou partielle devant Dieu de la peine temporelle encourue en raison d’un péché déjà pardonné. Cette rémission pouvait s’obtenir par diverses bonnes œuvres (pèlerinages, prières spéciales, visite de reliques, assistance à telle ou telle messe, etc.) Avec le temps, elle a fini par pouvoir être obtenue en versant une somme d’argent.

C’est simple et pratique, du moins pour les riches : qu’importe l’immoralité de ses actions, on pouvait toujours se racheter sans effort, et sans preuve de repentir sincère, en payant la somme d’argent adéquate à une Église avide de revenus pour financer son train de vie.

Pour Lehmann, le parallèle avec la RSE est clair : avec ses armées de consultants et de causes évangéliquement pures eux aussi avides de revenus et de symboles, elle serait une Église à qui on peut payer des indulgences. Vous pouvez maltraiter vos employés, blanchir de l’argent, corrompre à droite et à gauche, qu’importe, du moment que vous mettez un drapeau arc-en-ciel sur votre logo, que vous formez vos employés à la diversité et l’inclusion, ou que vous prenez fortement position en faveur de tel ou tel sujet de la doxa woke. Et hop ! L’élite morale vous pardonne tout.

Lehmann brosse cependant un tableau un peu noir de la situation.

Certes, les abus existent, surtout dans les grandes entreprises dont les actions sont très exposées à l’examen moral. Mais dans mon expérience, la démarche RSE part malgré tout souvent d’un bon sentiment. Beaucoup de ces projets sont menés par des personnes sincères en interne. Le problème réside dans le fait qu’ils sont menés en déconnexion avec la réalité de leur organisation.

Il y a un groupe un peu idéaliste, encouragé par une direction générale qui y trouve son compte, et il y a la réalité de l’organisation.

Le résultat, c’est qu’on crée un masque, une représentation idéalisée qui montre non ce que l’organisation est, mais ce qu’on voudrait qu’elle soit. C’est cette déconnexion qui est dangereuse. Que ce masque ait été créé à partir d’une démarche sincère ou cynique n’a malheureusement pas vraiment d’importance au final. Car sa création est délétère : à l’extérieur, le masque ne trompe personne, il suscite des accusations (souvent injustes) d’insincérité (le fameux RSE-washing). L’organisation perd de sa crédibilité. À l’intérieur, chacun perçoit à quel point le visage offert à l’extérieur diffère de ce qui est vécu à l’intérieur, ce qui suscite frustration, désengagement, perte de confiance envers le management, voire cynisme, et contribue au délitement du lien social interne, et donc à la fragilité de l’organisation.

Tout le monde est perdant.

 

Retour de bâton

Les excès du commerce des indulgences furent très tôt dénoncés. L’Église elle-même a tenté de le freiner, mais la tentation était trop forte, et toutes les digues ont fini par céder. C’est devenu un business. Les conséquences furent catastrophiques, il fut l’une des causes de l’émergence du protestantisme qui déchira l’Église à la fin du Moyen Âge. Car une dérive morale mine une institution de l’intérieur, si puissante soit-elle. Toute proportion gardée, une dérive du même ordre menace la RSE aujourd’hui.

Pour qu’elle continue à avoir un sens, elle doit cesser d’être considérée comme un moyen facile de racheter ses errements, voire de les masquer. Elle ne doit pas devenir un business. La question de la contribution des entreprises à la société est trop importante pour que ce sujet soit éludé. La plupart des entreprises que je rencontre ont, à leur façon, une belle contribution à la société par leur activité même. Elles le font avec sincérité, et leurs collaborateurs le ressentent.

Alors, halte aux indulgences, à ceux qui s’en servent pour se cacher, et à ceux qui en vivent ! Chères entreprises, renoncez à la tentation du masque. Exprimez votre contribution à la société à partir de votre véritable identité, de ce que vous faites vraiment au quotidien, et tout le monde en sortira gagnant.

 

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  • Sponsoring d’une g.y pride. Campagne en faveur du mariage hom.sexuel…
    Je ne sais pas si l’auteur – au risque de développer un discours hom.phobe – a compris ce qu’est la RSE. Car cela n’a évidemment rien à voir avec la RSE.
    « La responsabilité sociale des entreprises désigne la prise en compte par les entreprises, sur une base volontaire, et parfois juridique, des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans LEURS activités. Les activités des entreprises sont ici entendues au sens large : activités économiques, interactions internes (salariés, dirigeants, actionnaires) et externes (fournisseurs, clients, autres) » (wiki)
    Bref, subventionner une g.y pride ou l’assoce locale des boulistes peut leur faire gagner quelques points dans les medias, mais aucun dans une démarche RSE.
    Mais du mauvais peut naître un bien : aujourd’hui, la norme qui définit la RSE (iso 26000) est non-certifiable ; si des entreprises ou des medias confondent tout et n’importe quoi, un jour prochain, cette norme le deviendra, certifiable.

    -1
  • Au contraire, je souhaite que ce genre de petit trafic s’étende, pour qu’un jour, tel la réforme protestante, elle révèle ce qu’est devenue aujourd’hui l’écologie: une arnaque financière pour que certains groupes s’enrichissent.
    Et peut être qu’alors surgira un groupe cherchant à faire vraiment de l’écologie, de chercher à mettre en place des solutions pratiques et réalistes à des problèmes environnementaux. Pour sûr, comme pour la Réforme, ils seront mis sur le bûcher.

  • tout jugement doit se baser sur sa finalité, ses fruits : les indulgences catholiques ont financé la Renaissance Italienne du cinquecento, St Pierre de Rome, Bramante, Raphael, Michel Ange : elles aboutissent à la beauté dans l’exaltation du Dieu chrétien : ce que nos modernes ignares nomment par falsification pompeuse la culture : comparer cela à la RSE dans cette perspective est totalement risible, et surtout très riche d’enseignement : voila ce qu’a accompli d’une idée simple le catholicisme dans son acmé, voilà ce qu’en fait notre siècle

    • Il est vrai que cela a abouti à des chefs d’œuvre. Nous pouvons les admirer aujourd’hui, comme nous admirons le chateau de Versailles par exemple. Mais à l’époque, cela était il pertinent? Etait il pertinent de depenser cet argent ainsi, à une époque où l’on mourrait de faim, dans un état de sous développement?
      Et la réforme protestante, qu’a t elle accompli? Elle préfigure les lumières justement, en appelant à se questionner soi même. Et il s’avère que les pays de culture protestante sont plus riches justement. Ne devrait on pas là aussi se baser sur la finalité, et admirer ces milliards d’êtres humains qui vivent maintenant sans mourir de faim? Tout ça grâce au rejet des indulgences.
      Je peux vous garantir que le RSE aboutira à quelques chefs d’œuvres. Des batiments modernes, luxueux d’architectes renommés pour recevoir ces COP. Des bateaux à voiles ultra performants, des bateaux solaires, de somptueux jardins écologiques. Mais rien de cela n’aura de rapport avec l’écologie. Tout comme les indulgences n’eurent aucune conséquence positive dans la compréhension de Dieu…

  • Les indulgences et leur commerce furent une des conséquences de l’invention du purgatoire : crainte de ce lieu de souffrance mais aussi espoir de rédemption. Pure idéologie bien sûr, tout comme l’écologisme aujourd’hui :à la fois, créer la panique de l’extermination plus ou moins proche, soi-disant prouvée et certaine, et proposer les outils (très chers), tout aussi peu probants et efficaces pour y parer.

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