Ascenseur social en panne : le paradoxe d’une école égalitariste trop efficace ?

Le ministre de l’Éducation nationale, M. Pap Ndiaye, vise à lutter contre les inégalités. À travers une expérience de pensée, Thomas Comines explore une thèse originale et détonante : l’école n’aurait-elle pas trop bien réussi son travail ?

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Ascenseur social en panne : le paradoxe d’une école égalitariste trop efficace ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 juillet 2023
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Notre ministre de l’Éducation nationale, M. Pap Ndiaye, a souhaité placer son action sous le signe de la lutte contre les inégalités, objectif louable. Mais promesse pleine de présupposés non interrogés.

Nous souhaiterions, le temps d’un article, amener avec nous les lecteurs les moins effarouchables dans une expérience de pensée très incorrecte politiquement, en prenant comme point de départ le livre de Laurent Alexandre, La guerre des intelligences, et en en tirant une conséquence que lui-même ne semble pas avoir explicitée. Nous n’affirmons pas qu’elle est juste. Votre serviteur aurait lui-même de nombreuses critiques à formuler (notamment, très classiquement, la notion d’intelligence nous semble éminemment plus complexe qu’un simple QI, même si nous ne nions pas sa capacité prédictive en termes de réussite socioprofessionnelle).

Nous voulons juste, par honnêteté intellectuelle, ne pas évacuer une hypothèse de travail sous prétexte qu’elle serait déplaisante.

Nous demanderons donc simplement au lecteur d’accepter (c’est le principe d’une expérience de pensée) certains énoncés de Laurent Alexandre, qui mériteraient chacun de longues critiques, mais que vous pouvez retrouver discutés dans son essai (mais encore dans de plus en plus d’ouvrages de vulgarisation en sciences cognitives, comme Comprendre la nature humaine, de Steven Pinker, ou encore Human diversity de Charles Murray) :

  • Le système scolaire a pour fonction principale de permettre à chacun d’exprimer son talent et de l’amener aussi loin que possible
  • La réussite scolaire est corrélée au quotient intellectuel (QI)
  • Le QI a une répartition en courbe de Gauss
  • Le QI est fortement héritable

 

Ces énoncés sont peut-être totalement erronés. Rappelons-le, nous vous proposons une expérience de pensée. Et surtout, pour les besoins de notre thèse, nous n’avons aucun besoin de quantifier précisément ce que nous entendons par héritable ou corrélé. Vous verrez pourquoi.

Imaginons maintenant un état social du pays qui ne répondrait pas à la définition d’une économie de la connaissance (autrement dit : les capacités cognitives n’y donneraient pas un atout aussi décisif qu’aujourd’hui en termes de réussite professionnelle), et où aucun système scolaire généralisé sur l’ensemble du territoire n’aurait encore permis de détecter et de promouvoir les talents intellectuels de manière massifiée. On aurait logiquement une répartition du QI très hétérogène dans chaque classe sociale. Autrement dit, on retrouverait des individus, appartenant aux cinq quintiles socio-économiques, disséminés un peu partout sous la courbe de Gauss.

On pourrait éventuellement se risquer à affirmer qu’une économie où le succès est faiblement déterminé par le rapport à la connaissance et un système scolaire médiocrement réticulaire correspondent peu ou prou à l’état d’une France médiévale où seuls quelques talents intellectuels sont repérés par des clercs pour l’étude monastique, mais où la réussite socio-économique dépend de mille autres déterminismes non cognitifs (lignée, réussite à la guerre, héritages, butins, clientèle).

Au surplus, dans une France où 90 % des individus étaient des ruraux, il fallait bien que la courbe de Gauss soit remplie à 90 % par ces individus. Il n’est donc pas absurde d’imaginer qu’un nombre considérable de QI au-dessus de 130 étaient dominés socialement par des personnes moins bien dotées cognitivement.

Autrement dit, les classes sociales étaient cognitivement très hétérogènes en leur sein.

Imaginons maintenant une économie de plus en plus tournée vers la connaissance et une école de plus en plus omniprésente et réticulaire, drainant dans chaque ville les jeunes aux intelligences les plus déliées, afin de les amener aux études supérieures (les Monsieur Germain avec leurs petits Camus). Mécaniquement, ces individus vont mieux réussir économiquement, vont acquérir un certain statut social. On constate par ailleurs que les appariements de couples ont une tendance certaine à l’endogamie (même si celle-ci est peut-être en recul). Si on rajoute à cela l’héritabilité du QI, les enfants bien dotés cognitivement vont avoir tendance à se retrouver plus fréquemment au sein des couples ayant connu une ascension sociale, l’école les ayant sélectionnés et amenés à un certain niveau de réussite. Or, il suffit que les mécanismes tendant à l’homogénéisation soient légèrement plus fréquents que ceux tendant à desserrer les agrégats pour que l’homogénéisation soit inéluctable sur le long terme.

Le lecteur se doute du sens dans lequel va notre expérience de pensée : ce double mouvement de drainage des intelligences par l’école d’une part et de corrélation entre cursus académique et réussite sociale d’autre part (économie de la connaissance) va inexorablement homogénéiser en clusters, sous la courbe, les quintiles représentés en couleur. Ceux-ci s’agrègent de plus en plus, car les points à un certain endroit sous la courbe changent de moins en moins souvent de couleur.

 

Les conséquences de la situation actuelle

Une conséquence apparaît très nettement : il faudra déployer des moyens de plus en plus importants pour dénicher des talents intellectuels dans des quintiles beaucoup plus homogènes aujourd’hui qu’il y a 200 ans en termes de QI.

Pour le dire très simplement, à une époque où 90 % de la France était rurale, la probabilité de trouver chez des jeunes d’origine très modeste des intelligences qui auraient surperformer à des tests cognitifs élémentaires devait être extrêmement forte (nous étions tous paysans, mais la courbe de Gauss restait toujours une courbe de Gauss…). En raison du processus d’homogénéisation décrit plus haut, cette probabilité existe toujours, mais va s’amenuisant (drainage par une école réticularisée, économie de la connaissance, endogamie relative des appariements).

Évidemment, les postulats d’un auteur provocateur comme Laurent Alexandre sont éminemment questionnables. Nous vous avons amenés à ce point pour le plaisir de l’échafaudage intellectuel. Mais une conséquence latente et imprévue de sa thèse pourrait être que si l’école peine de plus en plus à jouer son rôle d’ascenseur social, c’est parce qu’elle l’a peut-être trop bien joué dans les décennies passées, en homogénéisant la répartition des QI : il y aura alors tendanciellement de moins en moins de gens à faire monter dans l’ascenseur.

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  • Quand on aura fini de trouver des bons, il n’y aura plus de bons à trouver dans ce qui reste qui sont des mauvais

  • Tout ce beau raisonnement s’écroule parce qu’il n’y a pas d’ascenseur et qu’il n’y en a jamais eu. Pas plus que de classes sociales figées.

  • Expérience de pensée ou non, je n’ai jamais réellement cru à l’école comme ascenseur social. La liberté et l’égalité des droits sont nettement plus corrélés à l’ascension sociale que l’école. D’ailleurs l’idée même d’ascenseur social est totalement liée à celle des droits ouverts à tous, en opposition à la noblesse de sang. Il y a une évidente connotation idéologique. L’école pour tous en est son corollaire. En réalité l’ascenseur social a toujours existé, aujourd’hui dans un seul espace, auparavant dans plusieurs espaces.
    De mon avis, l’école des diplômes aurait tendance à recréer le monde cloisonné d’avant.

    Heureusement que le retour à la moyenne rabat sans cesse les cartes.

    • L’ascension sociale se fait par l’escalier. Les marches en sont hautes et fatigantes, il est en triple colimaçon et sans fléchage. Il se redégringole très facilement.
      Le cloisonnement vient du copinage et de la paresse, les diplômes permettent de s’en passer comme ils facilitent aussi le copinage, seul compte ce que chacun en fait. Heureusement que le rappel à la réalité rebat sans cesse les cartes…

      • Evaluons un instant les individus sur le critère « paresse » avec une notation moyenne de 0 (paresse mini) à 100 (paresse maxi). Nous aurions des candidats sur le tout le spectre avec très probablement un bulbe au milieu. Quelqu’un noté a 50 pourrait aller jusqu’à 60 avec de gros efforts ou tomber a 40 en se laissant aller, de même qu’à la course malgré tout vos efforts vous ne battrez jamais celui avec une note moyenne très au-dessus de la vôtre. Donc bien que le mérite existe, il ne régit pas tout. De fait un certain niveau de cloisonnement existe spontanément, ce qui n’est pas gênant en soi dans la mesure où il n’est pas érigé en « norme sociale ».
        Il ne faudrait pas élever la paresse en vertu, néanmoins vous ne la supprimerez jamais si ce n’est par la force.

        • Je ne crois pas à une répartition type courbe en cloche pour la paresse. Je vois un chameau plutôt qu’un dromadaire, deux bosses bien nettes, et la bosse côté valeurs élevées ayant fortement gonflé ces dernières années au détriment de l’autre. Le QI, l’intelligence manuelle, d’autres facteurs de réussite sont dans des directions orthogonales et décorrélés de la paresse. Le mérite se définit comme des combinaisons de nombreux facteurs parmi ces derniers, et plus par les résultats qu’il induit que par les causes qu’on lui trouve. Je ne crois pas non plus au cloisonnement spontané. Pour reprendre l’exemple de la course, j’étais 3 niveaux en dessous de Guy Drut sur 110 m haies, et il ne m’a jamais jeté un regard même quand je courais dans la série précédente, mais j’étais très ami avec les décathloniens de l’équipe de France de l’époque. Le cloisonnement n’existait donc que dans la tête de Guy Drut. C’est peut-être ce que vous voulez dire en disant qu’il n’est pas gênant tant qu’il n’est pas érigé en norme sociale. Mais mon point était que les diplômes ne le favorisent en rien. Regardez le tutoiement. Il traverse sans problème les questions de diplômes.

  • L’ascenseur est une invention des classes dominantes, celles qui habitent en haut de l’immeuble et qui profitent de la meilleure situation – vue, calme, air pur…
    Elles voient le monde de leur position.
    Alors, évoquer l’ascenseur social permet à celles-ci de réaffirmer leur préséance sur la valetaille – les fameuses gens qui ne sont rien.
    Mais.
    En quoi un plombier est-il moins méritant, moins utile qu’un énarque ?
    « Un métier indéfiniment approfondi mène à tout l’esprit qu’on peut espérer d’avoir » (Paul Valéry)

    -2
    • Avec l’école d’autrefois, personne n’aurait seulement imaginé avoir à rappeler que l’utilité du plombier est largement supérieure à celle de l’énarque. Seuls les plombiers incapables le rappellent aux énarques incapables pour obtenir des privilèges dont leur absence de compétences les maintient exclus.

  • Bonjour, je ne comprends pas très bien la conclusion de cet article. L’éducation nationale homogèneise à quel QI? c’est plutôt bien pour ceux qui voient leur QI augmenter non grâce à l’EN non?

  • Au temps béni de l’ascenseur social républicain, c’est à pieds qu’on gagnait de la hauteur si on voulait bien se donner la peine de prendre l’escalier façon MichelO (pas l’escalator!). Depuis que l’ascension est offerte gratuitement à ceux qui ne veulent pas bosser en pillant ceux qui osent encore produire, l’Occident ignare se goinfre, s’avachit, se plaint de la pénurie, jalouse les privilégiés de la jugeote.
    Les progrès de la démomédiocratie galopante nous auront fait passer en un siècle de la symbiose (gagnant-gagnant) au parasitisme (gagnant-perdant) puis à la prédation (perdant-perdant).

  • Selon le catéchisme de gauche, la société française va mal à cause des inégalités. Or, selon de nombreuses sources, la France est connue comme étant le pays le plus égalitaire de la planète. Nous ne parlerons pas de ses résultats économiques… Comme on l’a dit, le mal nommé « ascenseur social » n’ayant pas d’étages à nous faire gravir, tout le monde restera pour la plupart tranquillement en attente au rez-de-chaussée. Une société parce que, c’est une loi naturelle, les têtes ne sont pas toutes les mêmes, ne peut pas évoluer sans inégalités. Ces dernières inciteront des citoyens à trouver une voie plus haute, à développer leurs talents, à créer des ponts sociaux, à encourager les initiatives… Les autres ne resteront pas sur le plancher car ils bénéficieront des avancées des premiers. L’égalité n’a jamais rien résolu car elle laisse les gens en face à face.

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