Hommage à Florin Aftalion : l’homme qui a choisi la liberté

Florin Aftalion, éminent économiste et professeur, nous a quittés ce 19 juin 2023. Serge Schweitzer rend hommage à sa vie et son œuvre, inscrites dans la pluralité disciplinaire et l’amour de la liberté.

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Hommage à Florin Aftalion : l’homme qui a choisi la liberté

Publié le 1 juillet 2023
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Ce 19 juin le professeur Florin Aftalion est mort. Occasion, malheureuse, d’apprendre pour certains, de se souvenir pour d’autres.

Refusant d’évoquer des souvenirs personnels malgré un commerce de quarante-six ans, il n’est alors pas si aisé de décrire et appréhender qui il était. Sa simplicité vraie, son humilité non feinte, son refus constant de parler de lui et de se mettre en avant ont sans nul doute empêché la cohorte de ceux, sensibles aux apparences, de mesurer la profondeur et la portée de son œuvre ici originale, là hors des modes, là encore réellement pluridisciplinaire, là enfin toujours libérale puisque la liberté, encore et toujours, est le fil d’Ariane et le dénominateur commun d’ouvrages apparemment très divers.

Certains sont d’un statut très technique, particulièrement en analyse financière : sur les taux de l’intérêt, le taux de change, les nouvelles techniques financières, les marchés à terme, les marchés dérivés, la théorie du portefeuille, la rentabilité des actifs, les OPCVM). Sur le site Internet de l’ESSEC on trouvera tous les éléments factuels de sa biographie et bibliographie que l’on complétera par sa rubrique dans Wikibéral.

D’autres tournés vers les doctrines : « Socialisme et Économie », son article dans L’économique retrouvée, riposte contrastant par sa virtuosité à L’anti-économique de J. Attali et M. Guillaume.

D’autres encore résolument historiques couvrant essentiellement la France de la Révolution et également la période où les États-Unis furent l’objet d’un entrisme et d’une subversion bien plus périlleuse que contée aujourd’hui encore dans la doxa dominante qui pratique une vicieuse fausse symétrie entre l’épisode essentiellement grotesque et à la terminaison pathétique du maccarthysme, et la réalité désormais établie d’une pénétration communiste pour sa part non fantasmée et réellement consistante (L’économie de la révolution française, Alerte rouge sur l’Amérique, La trahison des Rosenberg).

D’autres enfin à l’allure académique, mais constamment, et dans chaque cas étudié, puisant à une méthodologie en référence d’une part à la logique et la rationalité du comportement humain individuel, et d’autre part à la théorie des incitations toujours explicatives des raisons de l’agir humain. (Crise, dépression, New Deal, guerre, Le salaire minimum, et l’étourdissant L’autre Jérusalem qui conte les raisons de l’extraordinaire réussite des immigrants juifs en Amérique, opus exemplaire pour les étudiants puisqu’entremêlant analyse économique, histoire, géographie, sociologie et place de la religion). Il nous est apparu de bon procédé pour le lecteur de ne point alourdir par toutes les références puisqu’elles figurent sur Internet. Il suffit d’aller au titre recherché.

 

S’étonner du parcours de Florin Aftalion n’est possible que si l’on évince l’histoire des idées du siècle passé.

Sa trajectoire est une leçon de choses. Né à Bucarest en 1937, sa famille sort indemne de la Seconde Guerre mondiale, mais c’est pour tomber dans le communisme après la fin du royaume de Roumanie et l’abdication du roi Michel. La famille de Florin trouve refuge en France. Le jeune Florin fait de brillantes études d’ingénieur, et aussi en sciences physiques. Il ne touche aux questions économiques que par le militantisme. Son engagement est au PSU. C’est le cas de beaucoup de jeunes, largement diplômés, revenus du communisme, mais tenant en hostilité au moins égale le capitalisme. Ils croient trouver dans l’autogestion « à la yougoslave » cette fameuse troisième voie, utopie et phénix toujours renaissant qui serait un tiers système entre un capitalisme efficient, mais socialement injuste et philosophiquement plombé par l’immoralité de la recherche constante du self love et de l’esprit de lucre, et un socialisme inhumain, heureux projet originel, mais dévoyé par Staline et lesté d’une planification autoritaire aux dimensions hautement contestables.

C’est cette génération, provisoirement perdue, qui commet cette incroyable erreur de jugement par une fausse symétrie mettant à parité le libéralisme (qui peut connaître des défaillances provisoires compensées par des ajustements continus) et le socialisme (qui est structurellement vicieux, et donc irréformable, ce que les années 1990 ont démontré).

Pour Florin Aftalion, le chemin de Damas va passer par Chicago (Northwestern University). M.B.A. et docteur en finance il a entendu enfin parler de l’économie de marché, des libéraux, des néo-classiques. Bref, il a appris l’analyse économique. Et quand on sait l’économie, on ne peut être socialiste. Il faut choisir (doyen Alfred Jourdan). Florin Aftalion a choisi. Mais pas avec le zèle trop souvent désordonné et impulsif du nouveau converti. Il est bien trop intelligent et marqué par l’humilité intellectuelle pour croire et se persuader qu’il a tout compris. Il va faire sien son libéralisme, choisir ses options, ses chemins privilégiés avec une certaine lenteur, mais profonde, qui faisait partie de sa personnalité.

La colère et l’intolérance lui étaient étrangères. Mais l’homme et le savant intransigeant sur les convictions. Pendant des décennies il sera de toutes les aventures intellectuelles et les combats même s’il y avait des coups à recevoir. Florin était le contraire d’un tiède. C’était un calme, chose fort différente. Qu’il professe à l’ESSEC, aux États-Unis, à Tel Aviv, qu’il soit éditeur aux P.U.F., qu’il intervienne par le verbe ou la plume, il est sur tous les fronts. Et avec toujours cette pondération, ce sourire amical, le respect de l’autre, avec pour seules armes et procédés la science et l’honnêteté intellectuelle. Mais jamais, ô grand jamais, Florin Aftalion n’a reculé sur ce qu’il pensait être le vrai. Et la vérité, il allait la chercher au fond du puits de la vérité qui fut sa boussole et son constant étendard. Il fut le contraire d’un opportuniste. Au fond, sa seule vraie détestation, il la réservait aux V.R.P. (Les Voraces à la Recherche des Places). Les honneurs le laissaient totalement indifférent.

Inversement, le Politiquement Totalement Incorrect faisait son bonheur.

Le bicentenaire de la « Grande Révolution » approche. Qu’on cherche à la cave piques et bonnets phrygiens, on relit Michelet, Gambetta et Jaurès, et avec l’argent de l’État, c’est à dire des autres, « Que la fête commence ».

La Société d’Études Robespierristes revêt ses habits de sans-culottes moitié Mathiez – moitié Aulard (moitié Robespierre – moitié Danton). Soboul décédé en 1982, le triomphe de Michel Vovelle (et donc du Parti communiste) se prépare, il est programmé et écrit. Las, non seulement les historiens de La Sorbonne (Paris 4 de l’époque ), en cohortes serrées, vont sortir une impressionnante rafale d’ouvrages largement hostiles pas seulement à 1792 et 1793, mais à 1789 et toute la Révolution. Ils prennent Clemenceau à son jeu et mot à mot. Oui « la révolution est un bloc », oui elle est condamnable dès le premier massacre, celui des gardiens pacifiques de la Bastille ; non seulement des juristes brillants, dans le sillage de Xavier Martin, vont relire les Lumières par leur anthropologie profondément raciste et pessimiste ; non seulement la nature et les contours du génocide vendéen se précisent, mais le coup le plus terrible va venir de Florin Aftalion et de son ouvrage : L’économie de la révolution française.  (l’édition la plus récente est celle des Belles Lettres. Traduit en anglais. Cambridge University Press) .

Comment, sans être historien de profession, être certain que le coup est victorieux ? Simple, disait avec justesse Jean-François Revel. À la façon dont vos adversaires rendent compte de votre ouvrage on sait si l’on a touché juste ou pas. Ici et maintenant, à la façon dont a réagi dans son bulletin La Société d’Études Robespierristes dans la recension, qui se veut assassine, de l’ouvrage de Florin Aftalion on sait que ce dernier a porté un coup mortel.

C’est que non content de démontrer que l’origine de la Révolution française puise dans la crise fiscale, et non dans les idées des philosophes, dit autrement que la Révolution française pouvait parfaitement ne pas se produire si les finances de l’État royal n’étaient à ce point catastrophiques qu’il fallut convoquer les états généraux dont la révolution sortit, véritablement comme par surprise, voilà qui est déjà beaucoup pour la doxa sur la Révolution. Que la noblesse et le clergé restent unis, le tiers état ne peut rien à la force des baïonnettes. Évidemment, si cette thèse est exacte, non seulement il faut attribuer une place subalterne à l’idéologie des Lumières dans le déclenchement de la Révolution française, mais encore le paroxysme de la crise fiscale trouve, l’auteur le montre, son origine dans l’aide massive apportée à la Révolution américaine (décidément, on ne sait pas les conséquences de l’histoire se faisant, Louis XVI, négligeant pour son malheur Turgot, en mettant en péril son régime et sa vie, celle de la reine, de son fils, et de tant d’autres, a fait un investissement dont le retour a été extraordinaire. En 1917 quand le général Pershing débarque à Cherbourg on connaît sa célèbre phrase « Lafayette nous voilà », et en 1944 et durant la Seconde Guerre mondiale on ne peut évidemment minimiser dans la libération de notre pays le rôle que les Américains ont joué).

Mais encore le passage le plus spectaculaire et le plus novateur de cet ouvrage est le modèle économétrique, (qui s’est imposé dans le monde entier) pour expliquer définitivement la chute, puis l’effondrement des assignats. Adossé sur l’outil du monétarisme et de la théorie quantitative de la monnaie, Florin Aftalion a de façon décisive démontré par cet exemple historique douloureux, à dire vrai dramatique (pas cependant pour tout le monde), que l’émission désordonnée de monnaie par les hommes de l’État pouvait provoquer des catastrophes, de l’Égypte ancienne jusqu’aux années récentes.

Que la responsabilité des assemblées révolutionnaires soit totale et irréversible dans l’affaire des assignats, voilà ce que ne pouvait supporter la doxa révolutionnaire mainstream.

L’ouvrage fut accueilli pour l’essentiel par un silence presque total, à peine poli et fort gêné, mais le fait qu’il fut traduit par le célèbre éditeur Cambridge University Press dit suffisamment sa cruciale importance. Jusque-là, et malgré son appartenance au groupe dit des Nouveaux Économistes, Florin Aftalion n’était pas un adversaire redoutable selon les gens de gauche (comme fréquemment ils se trompaient), puisque pour l’essentiel il avait publié un grand nombre d’ouvrages et d’articles (dont la virtuosité est incontestable et remarquable), mais essentiellement dans le domaine de la technique financière la plus avancée.

Évidemment, la perspective commence à changer avec cet ouvrage sur la Révolution française, mais qu’on réussit pour l’essentiel à occulter, du moins dans notre pays, mais son cas s’aggrave notablement et brusquement, par un péché à double détente en 2003, puis en 2006.

En effet, malgré des preuves accablantes depuis l’ouverture des archives soviétiques, les époux Rosenberg sont encore des intouchables pour beaucoup, exécutés de façon scandaleuse, et leur innocence ne faisant l’objet que de peu de doute. Certes, chez les historiens la cause avait été depuis longtemps révisée et entendue.

Mais voilà un nouveau pavé dans la mare avec l’ouvrage de Florin Aftalion. Le titre de son ouvrage est volontairement sans ambiguïté : La trahison des Rosenberg. Appuyés sur des documents irréfutables, il ne fait plus de doute après la lecture de l’ouvrage que les Rosenberg étaient des espions au service de l’Union soviétique. L’une des plus redoutables questions que pose l’ouvrage, de façon très subtile, est de se demander comment des juifs ont pu servir ainsi Joseph Staline et l’Union soviétique alors que l’antisémitisme très violent du régime est largement connu.

Le dossier de Florin Aftalion s’aggrave définitivement avec l’ouvrage qu’il consacre en 2006 au maccarthysme.

L’auteur n’a que peu de sympathie pour le sénateur McCarthy, guère plus pour Albert Hiss  ni Edgard Hoover qui est celui qui en réalité domine la période. Mais dans un esprit d’équité Florin Aftalion ne tombe pas dans le piège grossier de la fausse symétrie entre ceux qui par idéologie ont trahi leur pays, les États-Unis, et ceux qui se sont livrés à « une chasse aux sorcières » quelquefois, et même peut-être souvent, inéquitable, exagérée, mais qui sur le fond de l’affaire ont quand même vu parfaitement juste sur le noyautage de certains secteurs, et pas des moindres, par les agents stipendiés par l’Union soviétique.

Cette trilogie classe définitivement pour les esprits étroits, sectaires, intolérants, Florin Aftalion parmi les infréquentables.

Évidemment, à l’inverse et en retour, cela conforte ses amis dans l’admiration qu’ils ont pour son courage et son talent, sa capacité à prendre des risques pour ses idées. C’est un grand Monsieur et un grand esprit qui nous quitte, mais également un savant confirmé, un homme profond et vrai. Nous avons la consolation de son œuvre originale par mille éclats et tant de facettes.

Paradoxalement, ses ouvrages techniques, en particulier en finance, sont ceux qui vieilliront le plus vite, tout simplement parce que certaines des techniques étudiées seront vite obsolètes.

Par contre, ses ouvrages à la lisière de l’économie et de l’histoire, son Économie de la révolution française, son dernier ouvrage sur les raisons qui ont permis à la communauté juive de si bien s’insérer et réussir aux États-Unis, son ouvrage sur l’affaire Rosenberg ou ses écrits sur le New Deal seront encore et pour longtemps des références.

C’est un grand et vrai intellectuel qui a mis ses écrits et ses talents au service de ses convictions qui malheureusement nous quitte. Il nous reste ses ouvrages. L’héritage n’est pas mince. Qu’il en soit remercié. Nous ne sommes pas prêts d’oublier sa simplicité, son extrême attention aux autres, le message de rigueur et d’attachement à l’esprit scientifique qu’il nous laisse, le courage du refus des mensonges partagés par tant d’ignorants idéologues.

Au revoir Florin.

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