Désobéissance civile : Thoreau n’est pas la caution de l’écologie radicale mais l’horizon d’une écologie libérale

Alors que la dissolution du mouvement Les soulèvements de la Terre occupe le conseil des ministres du jour, Valérie Petit revient sur le concept de désobéissance civile, forgé par le philosophe Henri-David Thoreau. Mal compris et injustement confisqué par la gauche radicale, il appelle plutôt à l’éclosion d’une écologie libérale.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 3

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Désobéissance civile : Thoreau n’est pas la caution de l’écologie radicale mais l’horizon d’une écologie libérale

Publié le 21 juin 2023
- A +

« Lisez les meilleurs livres, de peur de les lire jamais ».

Cet aphorisme de Henri-David Thoreau, philosophe et naturaliste américain du XIXe siècle pourrait s’appliquer à l’un de ses plus fameux textes posthumes, La désobéissance civile.

Ce mercredi, un décret de dissolution des Soulèvements de la Terre, collectif écologiste revendiquant la désobéissance civile, sera présenté en Conseil des ministres. Une décision en forme d’énième épisode d’un feuilleton qui s’écrit au fil des outrances du ministère de l’Intérieur d’un côté, et des militants écologistes radicaux de l’autre. Pour le premier, la désobéissance civile est le nouvel épouvantail des violences collectives et de l’« écoterrorisme » que l’on agite pour rassurer une droite en panique morale, pour les seconds, elle est le totem d’immunité d’agissements violents que l’on brandit pour radicaliser une extrême gauche en état de panne politique.

Deux acceptations aussi erronées et dangereuses l’une que l’autre pour l’État de droit comme pour l’écologie politique. Deux acceptions qui n’ont guère de lien avec la désobéissance civile, telle que pensée par Thoreau. Démonstration.

 

La désobéissance civile selon Thoreau : une notion déformée par l’État et les militants radicaux

Commençons par dire qui était réellement Thoreau, ce libertarien qui adorait la nature autant qu’il détestait l’État, qui louait la conscience et la liberté individuelles autant qu’il dénonçait les politiques injustes et les majorités complices.

Les deux années qu’il passa seul dans une cabane au bord d’un étang du Massachusetts donnèrent lieu à l’un des manifestes écologistes les plus lus au monde : Walden ou la vie dans les bois. Les six années où il refusa de payer l’impôt à un État soutenant l’esclavage et une guerre coloniale inspirèrent quant à elles son ouvrage posthume, La désobéissance civile qu’incarnèrent un Martin Luther King ou un Gandhi, deux autres figures de la résistance non-violente, deux autres grands croyants comme lui, ce protestant contradictoire qui détestait l’église mais parlait de la Nature, de l’Homme et de la liberté avec des accents christiques.

Je suis toujours dubitative lorsque j’entends une partie de la gauche radicale et écologiste se réclamer de la désobéissance civile et avec elle de l’héritage de Thoreau :

Rien de commun en effet entre Thoreau, ce libertarien, farouchement anti-étatiste, et l’obsession étatiste de la gauche radicale française :

J’accepte de tout cœur la devise suivante : le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins.

Ainsi commence le texte de La désobéissance civile qui dit d’emblée où se situe Thoreau : dans la plus parfaite tradition libérale, ce descendant de Français venus de Guernesey, pose le primat de l’individu et des libertés individuelles (de conscience, de propriété, d’expression, de circulation notamment) sur l’ingérence et la raison de l’état. « Je pense que nous devons d’abord être des hommes, et des sujets ensuite » affirme-t-il pour enfoncer le clou de l’individualisme. Un individualisme que l’extrême gauche (comme l’extrême droite) française rejette avec la même virulence non documentée que le libéralisme.

Jamais Thoreau n’appellera à la mobilisation et au coup de force collectif.

Au contraire, pour lu, réformer la société et contester le gouvernement s’appuient toujours sur l’exemple individuel donné, faisant appel, non à la révolte collective et au chaos général, mais au désir individuel de perfectionnement et de conformité à l’ordre naturel.

« Tout homme plus juste que ses prochains forme déjà cette majorité d’une personne » écrit-il défendant la valeur de chaque acte exemplaire pour convaincre le gouvernement de revoir ses positions injustes :

« Je ne cherche pas à me quereller avec aucun homme ni aucune nation […] je cherche plutôt un prétexte pour me conformer aux lois du pays et je ne suis que trop prêt à m’y conformer […] chaque année, au retour du percepteur je me trouve disposé à considérer les actes du gouvernement de l’Union et ceux des États, ainsi que l’esprit du peuple, pour y découvrir un motif de m’y conformer. Je crois que l’État sera bientôt à même de me débarrasser de cette tâche et je cesserai d’être alors un meilleur patriote que mes citoyens. Notre Constitution, malgré tous ses défauts est très bonne, notre droit, nos cours de justice fort respectables ».

Thoreau ne passa qu’une nuit en prison pour avoir refusé de payer l’impôt. Jamais il n’utilisa ni n’invita à utiliser d’autres moyens, y compris violents.

Et malgré toute sa détestation des politiciens et de l’État, il respectait ce dernier et surtout, surtout, respectait son voisin :

« Je n’ai jamais refusé de payer l’impôt sur les routes parce que je suis aussi soucieux de me montrer bon voisin que d’être un mauvais administré ».

Son souci de l’autre et des libertés individuelles distingue ainsi radicalement Thoreau de toutes les actions contemporaines portant atteinte à la libre circulation ou la propriété individuelle.

Rien de commun non plus entre Thoreau, ce défenseur des vertus du travail manuel et de l’élévation spirituelle et le matérialisme anticapitaliste de la gauche radicale. Thoreau, grand contemplatif, aimait passionnément travailler le bois et se livrer à des calculs mathématiques. Après des études courtes, ce fils d’un fabriquant de crayons rejoint l’entreprise et met toute son énergie à inventer un nouveau prototype. Cependant, c’est la profession d’arpenteur qui occupa ce « célibataire de la nature et de la pensée » selon les mots d’Emerson.

Pour Thoreau, le travail était comme la nature, aussi tangible que spirituel, aussi nécessaire que respectable, bien loin d’un quelconque droit à la paresse version EELV. Thoreau fut aussi un défenseur du libre-échange, se battant contre les droits de douane qui bridaient les échanges et la circulation tout en dénonçant le commerce triangulaire, qui pour lui ne relève plus de l’économie mais de la justice et des droits naturels de l’Homme. Et parce qu’il vivait sobrement, estimant que l’on est riche de ce que l’on abandonne, on en fit l’apôtre de la sobriété heureuse, oubliant que dans son cas la sobriété n’était en rien une contestation du capitalisme ou de l’entreprise, encore moins une théorisation de la décroissance économique.

Le secret du bonheur de Thoreau fut toujours dans la liberté individuelle radicale, dans la croissance spirituelle que procurent la connexion à la Nature et le perfectionnement individuel. Rien à voir ici avec le matérialisme et le collectivisme autoritaire de la France Insoumise.

À vrai dire, ceux qui devraient se réclamer de Thoreau en France ne sont pas encore arrivés sur la scène politique française. Entre les écologistes radicaux anticapitalistes et décroissants et les écologistes tièdes capitalistes et technosolutionnistes, il existe une troisième voie, celle d’une écologie radicalement libérale à la manière de Thoreau. Une écologie qui tient ensemble le combat pour la liberté et la Planète, une écologie qui fait le pari des individus plutôt que de l’État, une écologie qui libère les personnes et dérange les conformismes plutôt qu’une écologie qui contrôle les individus et impose sa bien-pensance, une écologie attachée au libre-échange mais soucieuse de la justice des règles de l’échange, une écologie qui offre un nouveau récit spirituel et un horizon de croissance personnelle à chacun. Une écologie de libertés, en forme de supplément d’âme.

Voilà pourquoi, tandis que l’État comme les mouvement radicaux, chacun à leur façon et avec leurs outils, relativisent les libertés individuelles et sacrifient le projet écologique, il est plus que temps d’arpenter l’œuvre de Thoreau et d’ensauvager, enfin, les libéraux et tous les défenseurs des libertés de ce pays !

Voir les commentaires (6)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (6)
  • Très bien cet article de rappel et mise au point. Merci

  • excellent article, (j’adore Thoreau, cet anti-Rousseau de la wilderness) sauf sur l’écologie libérale : je ne sais pas trop ce que c’est : extrême difficulté de définir la phusis, la nature, sans passer par l’idéologie, matérialiste ou spiritualiste : peut être par la pure contemplation sensible : et peut être vaudrait il mieux tout simplement d’abandonner ce concept d’écologie, foutoir sans nom, et en forger un nouveau

  • Merci pour ce rappel salutaire. Histoire d’enfoncer le clou: la désobéissance civile est par définition non violente.
    Bloquer des routes et empêcher les autres d’aller et venir, ce n’est pas de la désobéissance civile, c’est de la violence. Se coller la peau contre un tableau ou projeter de la soupe dessus, ce n’est pas de la désobéissance civile, c’est dégrader un bien qui appartient à autrui. Détruire des installations agricoles ou industrielles, ce n’est pas de la désobéissance civile non plus.

  • Avatar
    jacques lemiere
    21 juin 2023 at 13 h 13 min

    l’écologi(sm)e libéral..

    ben non désolé..

    l’amour de la nature ..le mien n’est pas le votre..

    DONC… nous pouvons être conflit à cause de notre impact sur la nature.. je désapprouve le votre vous désapprouvez le mien…

    pour les libéraux il y a un domaine où interdire à autrui de faire quelque chose est possible en cas de nuisance à autrui claire et mesurable..et encore..
    par exemple quelque construction qui se fasse près de chez vous peut déprécier la valeur de votre maison//
    on songe à une éolienne, un usine, un voisin « particulier ».

    NON écologisme…est arbitraire…donc concept à éviter..

  • Vivre dans les bois ne fait pas de l’impétrant un écologiste. Pas davantage la désobéissance civile.
    Thoreau était un libéral. Convaincu et cohérent. Point.
    Ne mettons pas l’écologie à toutes les sauces. Anticapitaliste. Intégrale. Radicale. Libérale. Ou… logical, responsible, practical, cynical, vegetable, comme chantait Supertramp. L’écologie est une science qui vaut mieux que toutes ces mauvaises récups.
    Il faut appeler un chat un chat. Un énervé qui utilise la violence physique, dans le cadre d’une idéologie, contre des biens ou des personnes, est un terror.ste. Darmanin fait le job.
    On n’a rien à gagner à greenwasher le libéralisme. Ça ne ferait qu’ajouter de la confusion à une philosophie politique – le libéralisme – déjà mal comprise.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Dans ce second volume de sa série sur La religion écologiste, Christian Gérondeau interroge la validité des affirmations du GIEC, dont découlent le catastrophisme ambiant au sujet de l’avenir de notre planète, et la désespérance d’une partie de la jeunesse.

Il s’alarme en particulier des conséquences graves sur la vie des plus pauvres.

 

Le mensonge de Glasgow

Dans une première partie, Christian Gérondeau commence par revenir sur la conférence de Glasgow, dite COP 26, qui marque un tournant majeur dans ce cycle de ré... Poursuivre la lecture

Article disponible en podcast ici.

Jadis, seuls les criminels se retrouvaient sur écoute. La traque du citoyen par les bureaucrates était une exception. Les surveillances de masse étaient réservées aux régimes totalitaires, impensables dans nos démocraties.

Or depuis le 11 septembre, nos gouvernements nous considèrent tous comme des potentiels criminels qu’il faut espionner constamment. Et toute comparaison aux régimes totalitaires fera glousser nos fonctionnaires devant une telle allusion.

J’ai déjà longuement commenté... Poursuivre la lecture

Le 23 mars 2023, l'Assemblée nationale approuvait l'article 7 du projet de loi olympique, qui se fixait entre autres buts d'analyser les images captées par des caméras ou des drones, pour détecter automatiquement les faits et gestes potentiellement à risques.

Pour être plus précis, l’article adopté prévoyait « l'utilisation, à titre expérimental, de caméras dont les images seront analysées en temps réel par l'IA. Ces caméras pourront détecter, en direct, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler des actes de ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles