Valeurs actuelles au cœur de la guerre des droites

Le journal de droite radicale Valeurs Actuelles est au cœur d’un conflit autour de la figure de son rédacteur en chef, Geoffroy Lejeune. Pour Jonathan Frickert, la bataille qui se joue déborde le cadre strict du journal et est révélatrice d’une véritable « guerre des droites ».

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Valeurs actuelles au cœur de la guerre des droites

Publié le 9 juin 2023
- A +

L’épouse du président Paul Doumer, Blanche Richel, était une fille de la classe moyenne avant d’épouser un fils d’employé des chemins de fer assassiné un soir de mai 1932 par un immigré russe.

Celle qui vit 4 de ses 5 fils mourir au front de 1914 décédera moins d’un an après l’ancien président dans sa chambre d’hôpital de la clinique située au 23 de la rue Georges Bizet, dans le XVIe arrondissement de Paris, à seulement un kilomètre du Trocadéro.

Ce n’est pas le numéro 23, mais le suivant, le numéro 24, qui est depuis plusieurs mois le théâtre d’une guerre, journalistique cette fois. Le 2 juin dernier, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, a été mis à pied et informé d’un entretien préalable à licenciement qui s’est déroulé dix jours plus tard, le 12 juin.

Pour le journal, c’est le début d’une bataille médiatique et sans doute judiciaire sur fond de guerre des droites.

 

Un jeune prodige du journalisme de droite

Né en 1988 à Avignon, Geoffroy Lejeune est aujourd’hui un habitué des plateaux télévisés. Après des études à l’École supérieure de journalisme de Paris dont il sortit en 2011, il fait ses premières armes au journal Le Point lors de l’élection présidentielle suivante avant de devenir, dès juin 2013, rédacteur en chef adjoint de Valeurs actuelles, qu’il représentera rapidement sur de nombreux plateaux, et dont il sera le plus jeune directeur de rédaction d’un journal français à cette époque.

Proche de Marion Maréchal Le Pen et auteur, en 2015, d’un livre prophétisant une candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle, Geoffroy Lejeune assumait donc, dès l’origine, une posture droitière.

Une posture qui ne semble pourtant pas du goût de tout le monde.

 

Un échange tendu

En effet, selon des témoins, les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés le 31 mai dernier.

Ce mercredi, veille de parution de l’hebdomadaire dans les kiosques, se tenait une conférence de rédaction en présence du nouveau président de la maison-mère du magazine, le groupe Valmonde, un certain Jean-Louis Valentin, arrivé à son poste le lundi précédent.

Rapidement, les choses se seraient envenimées.

« C’est ma rédaction, tu n’as rien à faire là. Tu sors !

– Tu n’es pas sur un plateau de Cnews. »

Ces propos, rapportés par des témoins, ont conduit à la mise à pied et à la convocation du directeur de la rédaction une dizaine de jours plus tard. Elle a surpris, même dans les rangs du journal.

 

Un proche d’Éric Ciotti à la tête du journal

Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur le profil des antagonistes en présence.

Jean-Louis Valentin est ancien énarque et directeur de cabinet de Jean-Louis Debré alors que ce dernier était à la tête de l’Assemblée nationale entre 2002 et 2007. Conseiller municipal LR de Valognes, dans la Manche, il sera président de la Communauté d’agglomération du Cotentin de 2017 à 2020, après la fusion des neuf communautés de communes du nord du département. Un fief qu’il est important de garder à l’esprit. Nous y reviendrons plus tard.

Valentin est également proche de Charles Villeneuve, directeur du service des sports de TF1 de 2004 à 2008, et président du PSG entre 2008 et 2009, époque durant laquelle Jean-Louis Valentin se rapproche du milieu footballistique, puisqu’il sera nommé en septembre 2008 directeur délégué auprès de l’équipe de France de football.

Valentin et Villeneuve ont conservé des liens jusqu’à aujourd’hui, puisque le second est aujourd’hui membre du conseil de surveillance de Pidevmedias France, la holding de Valmonde, propriétaire de Valeurs actuelles, en compagnie de Francis Morel, magnat de la presse ayant précédemment travaillé pour Le Figaro, le JDD et Le Parisien.

Propriétaire du journal, le groupe Valmonde est donc quant à lui la propriété de Pridevmédias France, elle-même composante de Prinvest Médias, une filiale du groupe Privinvest holding.

Cette dernière entreprise est un géant international de l’armement et de la construction navale détenue ni plus ni moins par la deuxième fortune du Liban, un certain Iskandar Safa.

Ce dernier a en effet racheté le journal Valeurs actuelles au groupe Pierre Fabre en 2015. Réputé proche d’Éric Ciotti, le chef d’entreprise franco-libanais est notamment propriétaire des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), dont les chantiers se trouvent à Cherbourg-en-Cotentin, plus grande ville et chef-lieu de la communauté d’agglomération du Cotentin évoquée plus tôt et… dirigée donc jusqu’en 2020 par Jean-Louis Valentin, choisi il y a quelques jours comme président de Valmonde.

Si l’homme est quasi explicitement chargé de « dé-zemmouriser » l’hebdomadaire, il n’est pas le premier à s’y frotter. Il est le troisième en moins d’une année, puisque fin octobre, Iskandar Safa a déjà tenté de nommer Jean-Michel Salvator pour remplacer Geoffroy Lejeune. Renonçant face aux soutiens dont bénéficie le directeur de la rédaction en interne, l’ancien directeur de la rédaction de BFMTV a été remplacé un mois plus tard par Charles-Antoine Rougier, président des CMN.

Encore une fois, la tentative fut un échec, puisque ce dernier se rapprochera rapidement de la rédaction. Jugé trop complaisant, il est donc remplacé par Jean-Louis Valentin fin mai.

 

Un délit d’opinion

Il est reproché à Geoffroy Lejeune la droitisation du journal, laquelle a sans doute pourtant rapporté davantage qu’elle n’a coûté à Valeurs actuelles.

En novembre, l’hebdomadaire était condamné en appel à 1000 euros d’amende avec sursis pour injure publique à caractère raciste après la parution d’une fiction imaginant le voyage de la députée LFI Danielle Obono au temps du commerce triangulaire d’esclaves.

Cette condamnation pour un délit d’opinion fait suite à plusieurs autres, déjà advenues du temps d’Yves de Kerdrel, directeur de la publication jusqu’en 2018, allant d’une représentation voilée de Marianne à un dossier consacré aux Roms intitulé « Roms, l’overdose », le 22 août 2013.

Plus récemment, Valeurs Actuelles s’est illustré par des entrevues de manifestants nationalistes et royalistes.

Ce positionnement s’accompagne toutefois d’une augmentation des ventes et d’un rajeunissement du lectorat du magazine.

Entre 2012 et 2017, sans discontinuer, Valeurs Actuelles a reçu plusieurs étoiles à l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), récompensant les titres de presse les mieux vendus.

 

La guerre des droites aura bien lieu

À la manière d’une guerre froide, la bataille qui se joue chez Valeurs Actuelles semble être une projection d’une guerre entre LR et Reconquête. Le second, qui a préempté la plupart des grands médias de droite (Cnews et Europe 1 en tête) se voit disputer ces prises de guerre, étant entendu que l’information fait l’opinion.

Bien heureux sera celui qui pourra dire quel camp l’emportera dans ce qui s’apparente déjà à une guerre des droites entre proches d’Éric Ciotti et proches d’Éric Zemmour.

Il y a fort à parier que, compte tenu du soutien de la rédaction de Valeurs Actuelles à son directeur, la guerre s’annonce rude.

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • « Cette dernière entreprise est … détenue ni plus ni moins par la deuxième fortune du Liban, un certain Iskandar Safa » : c’est là le nœud du problème, pas dans une supposée «guerre des droites », l’assujettissement des médias français de France à la finance, aux banques et … à l’étranger, assujettissement auquel a largement participé LR qui compte bien parachever son oeuvre en sous-main de la macronie. Il faut cesser de se boucher les yeux et écrire n’importe quoi.

    -1
  • Bravo. Merci pour ces infos factuelles….
    .on aimerait voir ailleurs d’autres infos factuelles pour comprendre et se faire son opinion sur qui dit et publie quoi.
    Pour ce qui est de l’indépendance de la presse et de son financement, 2 cas: soit c’est financé par la pub et on aboutit à une médiocre bouillie publi- rédactionnelle de bas de gamme, soit c’est financé par des groupes industriels et financiers aux poches profondes qui comblent les déficits et savent taper aux portes de l’Etat pour toucher des subventions et faire maintenir par la Loi leurs avantages substantiels ( quasi exonération d’impôts des journalistes par exemple… tiens tiens , etc…) pratiques de putes de l’entre soi pour beaucoup ( journalistes qui couchent avec les politiques, politiques qui couchent eux mêmes entre eux….).
    Difficile d’avoir une presse de qualité, objective, rentable et qui s’autofinance. L’info coûte cher à produire et diffuser. Il existe pourtant quelques titres économiques de qualité. Mais n’importe qui s’autoproclame journaliste d’investigation en publiant la moindre Newsletter et la moindre photo sur les réseaux sociaux, avec des effets dévastateurs sur l’opinion….
    L’info fait l’opinion. Certes ! Le journalisme a besoin de faits, de chiffres, de recul, d’analyses, de temps….. Les commentaires peuvent alors relever de l’opinion et on l’admet dès lors que la lecture des faits fonde tout… sauf qu’une lecture idéologue, partisane, manipulatrice, démagogue, pro domo, ou bien servile, etc….est le cas le plus fréquent dans la presse
    Nous avons besoin de « bonnes » infos. Je pense qu’il y a trop de presse dans ce pays, ( voir le nombre de créations de titres en croissance chaque année), trop de mauvaise presse inutile, sauf pour donner du boulot à ceux préfèrent se parer des plumes de plumitif tellement « valorisant », plutôt que d’aller au vrai taf dans la vraie vie: chantiers, usines, services de restauration, 3,5 millions autres jobs vacants. Ils pourraient ensuite se faire interviewer pour nous raconter ce qu’ils vivent et voient.
    ont vu et compris…

  • difficile d’être réellement à droite et d’avoir droit au gâteau des subventions étatiques…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’humour, comme le sport, a toujours été politique. La preuve en est avec la dernière polémique en date provoquée par la saillie du chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice la semaine dernière.

Dans un contexte de résurgence du confit israélo-palestinien dans le débat public et des actes antisémites depuis l’attaque du Hamas il y a un mois, et qui constitue l’acte le plus meurtrier à l’égard de la communauté juive depuis 80 ans, ce qui était censé être un « bon mot » fait particulièrement tache au sein d'une rédaction déjà habitué... Poursuivre la lecture

Comme un seul homme, la presse subventionnée reprend la dépêche AFP selon laquelle le nombre d'enquêtes menées par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur l'usage de la force par des policiers sur la voie publique est en nette hausse en 2022.

Par exemple :

« La police des polices a enregistré en 2022 une "nette augmentation" du nombre d'enquêtes sur l'usage de la force sur la voie publique », titre France Info.

« IGPN : les enquêtes sur l’usage de la force par les policiers sur la voie publique en hausse e... Poursuivre la lecture

Ces derniers jours, l’actualité internationale a été largement dominée par le Sommet des BRICS. Pour donner des clés d’explications, Alexandre Massaux, secrétaire de rédaction à Contrepoints est passé à deux reprises sur Radio-Canada cette semaine.

Radio-Canada, qui appartient à la Société Radio-Canada (en anglais : Canadian Broadcasting Corporation, CBC) est l’un des principaux médias audiovisuels canadiens avec une bonne visibilité et renommée au Canada.

Vous pouvez écouter les passages ici (Réunion du sommet annuel des BRICS,... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles