Les manifestations en Israël contre la réforme judiciaire ont fait l’actualité ces dernières semaines. Qu’en est-il réellement ?
Pour répondre à cette question, Contrepoints a contacté maître Philippe Koskas.
Philippe Koskas est associé fondateur et directeur du cabinet d’avocats Philippe Koskas & Co. Il a de nombreuses années d’expérience et une réputation bien établie dans le domaine du contentieux compte tenu de son expertise à la Cour suprême. Maître Koskas a notamment été vice-président de la Chambre de commerce Israël-France, président des consultants du gouvernement français sur les salaires étrangers en Israël, membre du comité d’éthique du barreau, conseiller juridique de la faction travailliste de la Knesset, juge désigné au sein du comité d’éthique du droit privé, président d’un centre communautaire dans le quartier de Baka à Jérusalem, représentant public au comité d’Helsinki de l’hôpital Hadassah Ein Kerem, et bien d’autres encore.
Entretien réalisé par Alexandre Massaux.
Alexandre Massaux : Que contient la réforme judiciaire actuellement discutée en Israël ? Quels sont les points problématiques ?
Philippe Koskas : La réforme discutée est en fait une série de propositions de lois visant davantage les rapports entre les pouvoirs législatif/exécutif et le pouvoir judiciaire.
Cette réforme peut être donc modulable à tout moment par l’ajout de telle ou telle proposition.
Pour l’instant elle comprend 4 axes principaux.
Le premier vise la réforme de la commission de nomination des juges (incluant l’avancement et nomination des juges de la Cour suprême). La commission actuelle est composée de neuf membres : trois juges à la Cour suprême ; deux représentants du barreau ; deux représentent l’exécutif ; deux représentent la Knesset dont l’un est de l’opposition. Le projet vise à instaurer une commission dont la majorité des membres émaneront de la majorité des élus de la Knesset. Le danger sera donc de voir des juges nommés par des politiciens pour leurs opinions politiques.
Le deuxième vise l’interdiction pour la Cour suprême de pouvoir annuler des lois fondamentales qui seront votées par la Knesset et de la limiter dans ses capacités d’annulation “inconstitutionnalité” des lois normales en requérant une majorité presque absolue des juges (ce qui est presque impossible).
Le troisième vise l’interdiction faite à la Cour suprême d’annuler les décisions gouvernementales si elles ont un caractère ” non raisonnable”.
La quatrième vise à transformer le rôle des conseillers juridiques qui siègent au sein de chaque ministère, de porter atteinte à leur indépendance par rapport au ministre, les rendant assujettis à ce ministre.
AM : Le ministre de la Défense Yoav Gallant semble s’opposer à la réforme. Quel impact cela a-t-il, compte tenu du rôle important du ministère de la Défense en Israël ?
PK : Le ministre de la Défense soutient la réforme mais s’est prononcé sur son opportunité et surtout sur le fait qu’il faut interrompre le processus afin d’arriver à un consensus plus large et qui dépasse la majorité de la coalition actuelle. Il affirme que ces dissensions ont une conséquence directe sur l’armée composée de réservistes dans tous les postes qui expriment leurs opinions.
AM : Pourquoi cette réforme intervient-elle actuellement ? Netanyahou a été de nombreuses fois au pouvoir dans le passé sans provoquer des mouvements aussi importants.
PK : Netanyahou prétend qu’il n’a jamais eu dans le passé la majorité pour faire voter une telle réforme, d’autres prétendent qu’il veut déstabiliser le système judiciaire pour influencer d’une manière ou d’une autre sur ses affaires.
AM : Qui se retrouve dans la rue face à cette réforme ? Quelles sont les revendications des différents groupes sociaux ? Est-ce que ce mouvement ne cache pas une contestation plus générale ?
PK : En fait personne n’a vraiment étudié la composition de ces manifestants mais les organisateurs ne proviennent pas du monde politique traditionnel.
Les politiciens de l’opposition y participent cependant. Il existe également un public non négligeable de manifestants de droite qui ont peur des conséquences de cette réforme.
Ces contestations ont mis en exergue les différences entre ceux qui manifestent et qui sont affiliés entre autres au secteur de la Tech israélienne, à la population qui paye ses impôts et sert dans l’armée et ceux qui ne sont pas dans ce cas-là (les Haredi entre autres qui soutiennent la réforme).
Les personnes favorables à cette réforme considèrent que la Cour suprême est le symbole de la « suprématie ashkenaze. »
AM : Quelle est la force politique du gouvernement Netanyahou ? Est-ce que le mouvement de protestation est suffisamment fort pour le mettre à mal ?
PK : Il est à la tête d’une coalition de 64 députés (la Knesset comprend 120 membres).
Le mouvement de protestation ne peut en soi changer le rapport des forces politiques mais le poids de son importance additionné aux avis des différents intervenants économiques, de la menace des réservistes de ne pas remplir leurs fonctions au sein de l’armée ajoutée à la pression de dirigeants internationaux pourrait causer des dissensions au sein de la majorité.
“suprématie ashkenaze.”
Ah !? C’est la version israélienne de “suprématie blanche” ou autre “facho-nazi-d’extrême-droite” ? Ca sent “la gauche” ça.