Le pansement Schubert c’est l’idée que la musique apaise un moment la douleur. Bien agréable mais ne soigne rien. L’index senior proposé par le gouvernement, c’est un peu ça.
Au départ, tout part d’une bonne intention. Il s’agit de sauver le soldat senior. Pas celui à la retraite, pas celui qui bosse encore, mais l’autre. Le senior bancal, celui qui se trouve entre les deux : « suspendu entre rien et rien » (Pessoa).
Sans revenu car sans emploi (trop vieux), et sans pension car sans retraite (pas assez vieux). Ce senior- là voudrait bien continuer d’exercer mais les conditions favorables à l’expression de son savoir-faire ne sont pas réunies. Il souffre d’une liberté négative : il peut faire car il est capable mais ne peut pas faire car on ne lui en donne pas les moyens. Il est libre d’exercer, mais nulle part.
Alors le gouvernement a longuement réfléchi et a finalement trouvé une idée plutôt sympathique : l’index senior. Il s’agit de donner une bonne note aux entreprises qui font l’effort de compter un senior dans leur effectif. Et donc une mauvaise note aux entreprises qui pratiquent une forme de wokisme grisonnant, consistant à déboulonner du senior. Pourquoi pas. Un genre de label « vieille cuve » ou « millésime exceptionnel » pour les bons élèves et de « gérontophobes » pour les mauvais élèves.
Et après ? Que se passe-t-il pour les entreprises mal notées ? Voire celles qui refusent de jouer le jeu ? Hé ben c’est pas bien ! Bouh ! Mais c’est tout.
Mauvaise note cherche punition
Pour l’instant, aucune sanction juridique ou financière n’est prévue. Et pour cause. Difficile d’aller plus loin. On ne va pas quand même pas sanctionner une startup spécialisée dans l’intelligence artificielle parce qu’elle n’a que des geeks encore puceaux dans son effectif. Oui le senior est capable de coder. Mais bon, c’est juste qu’on ne pense pas à lui en premier pour ce poste. En vérité, on ne pense jamais à lui en premier, quel que soit le poste. On en restera donc au coût éthique à supporter pour l’entreprise mal notée ou qui refuse de l’être : on pointe du doigt mais on ne touche pas.
Il y a quand même quelque chose de tordu dans cette histoire. Le senior est vieux, soit. Il n’a plus les mêmes réflexes, c’est vrai. Il dit qu’avant c’était mieux, ok. Les signes extérieurs de sa séniorité sont donc multiples. Pas de soucis, il assume. Mais a-t-on vraiment besoin de lui rappeler en continu qu’il est senior en lui collant une étiquette sur la tronche ? « Hé Jeannot, t’as vu on parle de toi ; là sur le mur à côté des chiottes, grâce à ta contribution à l’index senior de la boite, le CE propose des chèques culture et des places pour le cirque ».
Bref, l’index senior n’est pas forcément le truc qui va provoquer le déclic en termes d’emploi des seniors. La mesure manque de punch fiscal, juridique, économique, elle est à court d’arguments convaincants pour l’entreprise mal notée ou qui refuse de l’être. Certes, il s’agit d’une annonce gouvernementale agréable à entendre pour le senior, on pense à lui et ça l’apaise un moment. Mais si la musique vous fait oublier un instant la douleur, elle ne vous guérit pas de votre séniorité. L’index senior est un genre de pansement Schubert.
Deux fictions alternatives
Une solution radicale pour les seniors serait une forme de confinement à l’envers, non pas à domicile mais sur le lieu de travail. Ainsi en poste en marche forcée, ils seraient protégés d’un avenir précaire par le versement d’un salaire jusqu’à la retraite. Et cerise sur le gâteau, ils contribueraient même au sauvetage collectif des pensions par leur propre cotisation. Coup double. Évidemment, une telle mesure est excessive. En effet, il ne suffit pas de confiner le senior au bureau, encore faut-il qu’il existe un bureau où le confiner. Autrement dit, on ne va quand même pas forcer l’employeur à employer du senior. Si ?
Ou bien il existerait une autre solution moins radicale mais moins propre également. Le grey washing. Après tout pourquoi pas, puisque cela existe déjà dans un autre domaine : le green washing. Dans le cas du senior, le grey washing serait une technique utilisée par une entreprise afin de redorer son blason. Ayant quelques profits à se reprocher, l’entreprise se rattraperait en recyclant du senior. La productivité du travail est ici secondaire, l’objectif premier est l’index senior obtenu. Pour le senior en quête de sens professionnel, il y a un petit coût à l’ego à supporter.
« Le moi des vieillards est proche de celui des mourants » (Edgar Morin). Mais le moi des seniors reste quand même plus proche de celui des vivants.
Séniorité : Prééminence et garanties déterminées par l’ancienneté au sein d’un groupe social. (Le Robert)