Grandeur et décadence de l’Islam

L’islam est une religion pratiquée par un peu moins d’un quart des habitants de la planète. C’est donc une réalité importante. Or elle est mal connue, même par les musulmans.

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Grandeur et décadence de l’Islam

Publié le 15 janvier 2023
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Poursuite de mon dossier consacré à l’Islam, avec un I majuscule c’est-à-dire le monde ou la civilisation musulmane et non pas seulement la religion qui s’écrit « islam » avec un i minuscule, avec la deuxième partie historique, des origines au courant du XXe siècle.

 

Pourquoi ce dossier ?

L’islam est une religion pratiquée par un peu moins d’un quart des habitants de la planète. C’est donc une réalité importante. Or elle est mal connue, même par les musulmans. Et cette méconnaissance tourne bien souvent à l’hostilité réciproque du fait de la violence de certains de ses courants.

Les fidèles sont pénétrés de leur foi et le dialogue est difficile alors que d’autres religions, soit par nature, soit du fait de gouvernements laïques, ont l’habitude d’un examen critique.

Toutes ces raisons font qu’il me semble qu’un état des lieux est utile tant pour les musulmans que pour les non musulmans.

J’ai eu l’occasion de le faire dans une grande école française pour un groupe d’une trentaine d’élèves composée de Maghrébins, de musulmans grandis en France, de chrétiens arabes et de Français non musulmans curieux.

Cet article est le deuxième d’une série, le premier traitant de la controverse sur les origines de l’islam, et le troisième, à paraître bientôt, traitera des problèmes contemporains.

Je commencerai par évoquer des origines de cette religion notamment parce que les musulmans abordent leur religion par les textes décrivant cette époque, généralement dans l’enseignement public de leur pays.
Il en résulte des convictions profondément ancrées pour une partie importante des croyants. Ils sont donc heurtés par les analyses historiques dubitatives que nous avons vu dans l’article précédent.

 

Les débuts de l’islam vu par les musulmans

Selon la tradition, Mahomet a reçu la parole de Dieu et l’a transmise oralement à ses disciples à partir de l’année 610. Il meurt en 632. Le relevé de sa parole, le Coran, n’a été écrit qu’en 647 en rassemblant, à la demande du calife Othman, des témoignages verbaux et parfois écrits.

Les croyants insistent sur le fait que la perfection de cette parole montre bien qu’elle est d’origine divine. Le texte lui-même est souvent construit comme une sorte de poème destiné à être psalmodié. De nombreuses allusions au contexte de l’époque sont obscures aujourd’hui et font l’objet de controverses entre spécialistes.

Au Coran s’ajoutent deux textes et l’ensemble des trois constitue « la Sunna », que l’on traduit en général par « tradition ». Il s’agit de la Sira et des hadiths. Le premier est le récit de la vie du prophète et le second des témoignages écrits transmis par une chaîne de témoins et très difficiles à authentifier. Néanmoins un énorme travail fut accompli dans ce domaine et une petite minorité de ces témoignages furent officialisées.

Contrairement à d’autres leaders religieux tels que Jésus ou Bouddha, Mahomet fut aussi (et peut-être avant tout) un commerçant, un homme politique et un chef de guerre. Il était donc profondément impliqué dans la vie civile autant que dans la vie religieuse.

Pour certains problèmes concrets, il eut une révélation sur la façon de les régler qu’il transmit verbalement à ses compagnons.

Une partie du Coran comprend donc des règles à appliquer à la vie économique et politique, par la guerre si nécessaire, instituant une unicité du temporel et du spirituel : la vie civile doit suivre les principes de la religion révélée.

Cette partie du Coran est appelée « les sourates médinoises » qui contrastent avec « les sourates mecquoises » plus axées sur les grands principes religieux et révélées à une époque où Mahomet vivant à la Mecque et marié à une femme riche, n’était pas impliqué dans les problèmes concrets. Remarquons que c’est un classement « intellectuel », ces deux types de sourates étant mélangées dans le texte actuel.

Cette vision traditionaliste et très largement enseignée des débuts de l’Islam n’est aujourd’hui plus la seule, comme je l’exposais dans l’article précité.

 

L’apparition d’une « civilisation islamique »

Dès la fin du VIIe siècle, après la mort de Mahomet, les Arabes prirent le contrôle du sud et de l’est de l’empire byzantin de culture gréco-latine, ainsi que de la Perse, aujourd’hui l’Iran, pays de très ancienne culture.

Ce dernier pays se distingua rapidement du monde arabe en choisissant une variante de l’islam, le chiisme, dont l’organisation et la théologie ressemblent davantage à celle de l’Église catholique. Mais cette branche de l’islam étant très minoritaire (de l’ordre de 3 % des croyants), je n’en parlerai pas davantage.

« Les Arabes » – terme qui désignait à l’époque les peuples d’Arabie considérés comme des guerriers incultes – encadrèrent donc des populations non arabes ayant les savoirs et pratiques politiques, scientifiques et architecturales de ces civilisations.

Ces populations soumises s’arabisèrent et se convertirent peu à peu, notamment pour des raisons sociales et fiscales, tout en gardant leurs savoirs. Il en résulta ce que certains appellent « la civilisation islamique » à forte teinture grecque et perse, notamment en mathématiques et en médecine.

Il en découla notamment deux positions sur la question de l’unicité du temporel et du spirituel :

  1. La « tradition longue » qui distingue le politique du religieux et permet à ce dernier de se séparer (jusqu’à un certain point) du religieux.
  2. La « tradition courte » qui considère qu’en tant que réceptacle de la parole de Dieu, le religieux doit diriger l’État. Elle est à l’origine des partis islamistes.

 

Dans le premier cas, le Palais est prépondérant sur la Mosquée pour ce qui concerne l’organisation de la vie civile ; dans le deuxième cas, la Mosquée a la mainmise sur le Palais.

Je laisse aux exégètes le soin de dire si l’opposition entre ces deux tendances recoupe plus ou moins celle entre les mutazilites, plutôt rationalistes, et les hanbalites dont une partie des partisans ont donné les islamistes d’aujourd’hui.

Cet « Âge d’or de la civilisation islamique » fut caractérisé par une fécondité intellectuelle qui dura jusqu’aux alentours de l’an 1000 et est toujours célébrée aujourd’hui.

Certains musulmans vont même jusqu’à dire que la transmission des œuvres antiques prolongées par des travaux arabes sont à la source du développement de l’Occident. Ce contre quoi s’élèvent d’autres historiens qui privilégient l’apport direct des Byzantins et les échanges entre monastères chrétiens occidentaux et orientaux.

Mon objet ici n’est pas d’entrer dans cette querelle, que je trouve un peu abstraite.

Je remarque simplement que le tournant musulman dont je vais parler plus bas fit que l’Occident fut ensuite le seul à se développer à partir de la deuxième partie du Moyen Âge.

 

L’extension du monde musulman pendant le Moyen Âge

Les musulmans allèrent rapidement au-delà de cette partie de l’empire byzantin et de la Perse.

Ils conquirent le Maghreb malgré une longue résistance des Berbères, puis plus facilement l’Espagne et remontèrent jusqu’à Poitiers où il furent arrêtés par Charles Martel en 732. Son fils Pépin le Bref reprit Narbonne en 759. Cette contre-offensive occidentale culmina avec les croisades au IXe et Xe siècle.

Cet épisode qui nous paraît maintenant lointain a durablement marqué l’imaginaire musulman et est encore utilisé aujourd’hui comme argument anti-occidental.

En Orient, les musulmans convertirent des peuples mongols dont les Turcs qui prirent finalement Byzance en 1453 et soumirent l’Europe centrale et balkanique jusqu’à Vienne. D’autres Mongols islamisés conquirent l’Asie centrale puis le nord-ouest de l’Inde, ancêtre du Pakistan actuel.

Beaucoup plus loin à l’est, hors de portée des armées arabes ou mongoles, les « commerçants–missionnaires » arabes convertirent l’actuel Bangladesh et le monde malais : Malaisie, Indonésie, une partie des Philippines et une petite minorité de Chinois, soit environ le tiers des musulmans d’aujourd’hui.

Ce fut une avancée pacifique, peu connue en Occident où l’on se souvient plutôt d’invasions.

 

La « première réaction islamiste »

Je baptise ainsi ce retour aux sources et à une vision radicale de l’islam. Il fut assorti d’autodafés des livres non musulmans, de violences et d’assassinats d’hommes politiques non conformes à la nouvelle position de l’islam, notamment par la secte des ashashins, littéralement « drogués au hashich pour aller au bout de leur mission », d’où est tiré le mot français « assassin ».

On pourrait résumer cette réaction islamiste par :

« Les ennemis ne pouvant triompher que si Dieu en décide ainsi c’est qu’il veut nous punir de nous être écartés du véritable islam. Revenons à la source, à l’époque des anciens (salafiya, d’où salafiste) et à la volonté de Dieu (par opposition au raisonnement) », ce qui revenait souvent à nier toute causalité et donc toute démarche scientifique ou tentative d’innovation, considérées comme hérétiques. Attitude résumée par la formule « bila kayf » (il n’y a pas de pourquoi).

Ce retour à une vision fondamentaliste explique probablement les déboires économiques et militaires des peuples arabes pendant la seconde moitié du Moyen Âge face aux Mongols et aux Turcs. Puis ceux de l’ensemble du monde musulman face aux Occidentaux dans un contexte de stagnation économique et donc démographique.

 

L’irruption de l’Occident au XIXe siècle

Le XIXe siècle représenta un nouveau tournant pour le monde musulman.

Il fut préparé par deux chocs psychologiques importants : la déroute turque après le siège de Vienne en 1683 et surtout l’arrivée de Napoléon Bonaparte en Égypte en 1798.

Ces évènements engendrèrent deux types de réactions : celle des modernistes et celle des futurs islamistes.

Les modernistes imitèrent les institutions occidentales et firent appel aux Européens à titre privé. Ces derniers prirent alors conscience de leur formidable supériorité technique, organisationnelle et (alors) démographique.

Le Japon fit de même mais à la différence des pays musulmans les modernistes gardèrent le pouvoir et rattrapèrent le niveau occidental par imitation dans un premier temps, par leurs propres forces ensuite. La Chine est lancée dans une évolution analogue mais beaucoup plus tardive. Le « communisme féodal » de Mao, que l’on pourrait qualifier d’équivalent lointain des islamistes reprenant actuellement du poids.

Finalement, les réformes des musulmans modernistes échouèrent face à ce que j’appelle la deuxième réaction islamiste, notamment en Égypte où elles avaient été lancées à la suite du passage de Napoléon.

Ce non-développement permit aux Européens de s’implanter par le colonialisme direct (Algérie, Indonésie, futur Pakistan…) ou indirect (Égypte et dans une moindre mesure le reste du Maghreb et du Moyen-Orient).

 

Le XXe siècle, l’inversion démographique et la réaction anticoloniale

Il n’y a qu’en Turquie que le kémalisme s’opposa à l’islam dogmatique et réussit à le mettre sous tutelle dans les années 1920, jusqu’à la contre-révolution islamiste conduite aujourd’hui par le président Erdogan.

Cet échec des modernistes musulmans et la colonisation qui suivit firent que les contacts avec les Occidentaux eurent lieu dans des situations d’infériorité et souvent d’humiliation pour les populations locales.

Un formidable ressentiment mâtiné d’impuissance s’accumula tant envers les Européens qu’envers les élites occidentalisées souvent chrétiennes au Moyen-Orient parce que scolarisées à l’occidentale.

C’est dans ce ressentiment que les islamistes puisent leur force.

Les islamistes s’allièrent aux nationalistes pour lancer la lutte anticoloniale qui se termina par des indépendances dans l’ensemble pacifiques (Maroc, Liban et bien d’autres) mais parfois à la suite de véritables guerres (Algérie, Indonésie…).

Un exemple emblématique de cette union fut la prise de pouvoir par le président Nasser en Égypte qui se fit avec l’appui des Frères musulmans contre lesquels il se retourna dans un deuxième temps. Nasser fut un temps le grand espoir du monde arabe, même si avec le recul actuel sa réputation est plus nuancée aujourd’hui.

Le succès de cette lutte anticoloniale découla en grande partie du renversement de la situation démographique par la colonisation.

Cette dernière a largement diminué la mortalité en diffusant le progrès médical mais aussi en apportant de la nourriture pendant les périodes de famine qui étaient dévastatrices auparavant. Mais parallèlement la fécondité traditionnelle s’est maintenue du fait de la coupure culturelle elle-même cultivée par le religieux.

Il en est résulté une explosion démographique, avec par exemple le passage de la population égyptienne de deux à trois millions sous Napoléon à 103 millions aujourd’hui, ou celle de la population musulmane d’Algérie, de deux à trois millions en 1830 à 45 millions aujourd’hui.

 

Et maintenant, passons au XXIe siècle

Vous connaissez maintenant les principales données : la démographie, les indépendances, la rivalité entre islamistes (au sens large) et modernistes. Dans mon tout prochain article, je vous dirai comment ces éléments se combinent et interfèrent avec reste du monde et notre actualité.

C’est-à-dire que nous passerons de l’histoire à la géopolitique.

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  • Les musulmans se fichent pas mal de l’Islam : ils se disent « peu importe le flacon, pour que l’on ait l’ivresse ! ».

    • Les musulmans se fichent pas mal de l’Islam : ils se disent « peu importe le flacon, pourvu que l’on ait l’ivresse ! ».

  • Que disent les musulmans : « peu importe le flacon, pourvu que l’on ait l’ivresse ! ».

  • « Mahomet a reçu la parole de Dieu et l’a transmise oralement à ses disciples à partir de l’année 610 ».
    Si vous parlez à Dieu, vous êtes croyant, s’il vous répond, vous êtes schizophrène (Desproges).
    Aujourd’hui, tout ça n’arriverait plus. On a d’excellents asiles psychiatriques.

  • Merci pour cet article très intéressant. Qui a éclairé ma lanterne sur une question que je me posais depuis longtemps : comment la grande civilisation arabe avait-elle pu se fourvoyer autant ? En fait non, les Arabes n’avaient absolument pas une civilisation élaborée, au contraire même c’étaient « des guerriers incultes », mais ils ont soumis des gens intelligents, les ont convertis à l’islam (pas si intelligents que ça donc) et se sont appropriés leur civilisation développée par cette assimilation. Civilisation islamique développée ? Plutôt civilisations développées converties à l’islam, nuance.

  • J’ai cru comprendre qu’un calife, le 3ème, nommé Omar, avait fait brûler la plupart des livres rédigés sous la dictée de Mahomet.
    J’ai aussi lu, dans un livre d’histoire pour les 5ème, d’un n texte datant de l’epoque, que la conversion à l’islam, en partant de la Mecque jusqu’à l’actuel Maghreb et toute la péninsule arabique, ne s’était faite sans le sabre (donc seulement avec).
    J’ai aussi cru comprendre que Mahomet était analphabète, et que niveau commerce et chef de guerre, il attaquait plutôt des caravanes ou des villages peu défendus (et que sa sagesse le menait à organiser le partage de butin suivant la surface de sang sur la lame du sabre).
    Quant aux hadiths, ils ont été écrits plusieurs décennies après sa mort etbqu’ils étaient surtout commandes par des califes pour se donner une légitimité auprès des croyants.
    J’ai aussi entendu ce qui était arrivé aux descendants, ainsi qu’au demi-frère et sa femme. Les descendants ont été capturés, traînés et exhibés dans toute la péninsule arabique. Le demi-frère a lui été décapité pour que sa femme soit libre et disponible.

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