Un budget de l’Agence spatiale européenne peu convaincant

Pour l’astronautique l’Agence spatiale européenne continue sa dépendance au partenaire américain.

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GPM Core Observatory By: NASA Goddard Space Flight Center - CC BY 2.0

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Un budget de l’Agence spatiale européenne peu convaincant

Publié le 27 décembre 2022
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Mi-novembre, la conférence interministérielle des pays membres de l’ESA a discuté et approuvé son nouveau budget. Il est en forte hausse : 17 % soit 16,9 milliards d’euros pour 3 ans (contre 24,4 milliards de dollars pour la seule année 2022 pour la NASA). Les ministres ont « confirmé la nécessité absolue pour l’Europe de disposer d’un accès indépendant à l’espace ». Mais aussitôt cette forte déclaration faite, il est précisé que son objet est de « continuer à bénéficier des retombées du spatial sur Terre ». Là, on retombe effectivement bel et bien sur Terre.

Je ne veux pas noircir le tableau et dire que tout est à jeter dans ce budget. En particulier je souscris totalement au programme d’exploration robotique. Je veux seulement exprimer qu’il est très décevant à cause de son orientation principalement terre à terre à cause de l’absence d’ambition concernant les lanceurs ; à cause du manque d’ambition pour les vols habités (on reste dans l’ADN de l’Europe spatiale) ; à cause de l’allégeance de bon ton à la mode écologique du moment ; enfin à cause de l’insuffisance de son montant global comparé à celui des États-Unis.

Pour l’astronautique le résultat sera la continuation d’une dépendance au partenaire américain pour tout ce qui est vols habités et faiblesse concurrentielle sur le plan économique ; pour la science, l’insuffisance d’un programme qui aurait pu être plus ambitieux. Je détaille.

 

Écologie

En effet le premier point sur lequel le compte rendu officiel de l’ESA insiste est « l’enjeu climatique et le développement durable ». Selon ce document, c’est ce que Josef Aschbacher (directeur de l’ESA) a déclaré devoir rester la première priorité de l’ESA. Comment peut-on être aussi conformiste (pour ne pas dire hors sujet) quand on est responsable d’une institution qui ne peut réussir que si elle ne l’est pas ?!

En allant plus loin, on constate que c’est Robert Habeck, ministre allemand de l’Économie et de la Protection du climat mais auparavant député du groupe parlementaire allemand de centre gauche écologiste, Alliance 90/Les Verts, qui présidait le conseil de l’ESA au niveau ministériel. Nous ne sommes décidément pas dans l’aventure ni dans la conquête de l’espace.

D’ailleurs il insiste :

« Nous avons franchi une nouvelle étape vers le renforcement des infrastructures spatiales européennes qu’utilise au quotidien chaque citoyen, dans des domaines tels que la surveillance du climat, la navigation et les télécommunications par satellite ».

Pour ces responsables, l’espace c’est bien très principalement l’espace proche de la Terre et l’objet c’est bien le quotidien. D’ailleurs une des réformes phares programmées est le développement d’un mix d’ergols « propres ». Quand on est dans un contexte aussi pitoyable de l’astronautique européenne presque éliminée du marché mondial des lanceurs et dans une concurrence économique aussi féroce (États-Unis, Russie, Inde…), il devrait y avoir d’autres priorités (d’abord et avant tout le réutilisable !). Ce monsieur n’a hélas ni bien conscience des contraintes économiques que lui impose la concurrence ni aucune étoile dans les yeux.

Mais le plus étonnant dans ce contexte où l’on parle d’écologie, donc de protection de l’environnement, c’est de constater l’engagement pour le financement d’une constellation européenne de satellites. On ne peut que s’étonner de la désinvolture avec laquelle l’ESA s’engage dans un programme de pollution de l’espace-proche dont les satellites vont s’ajouter aux myriades déjà existantes. Les astronomes et astrophysiciens européens apprécieront !

 

Autonomie

Dans le domaine des lanceurs, cette politique se veut bien sûr ambitieuse (quelle politique ne veut pas l’être, en paroles du moins ?).

Mais aucun progrès n’est envisagé en matière d’autonomie pour les vols lourds dans l’espace lointain même si l’ESA va bien développer un atterrisseur lunaire (en fait un « troisième étage ») pour les vols robotiques. Et faute d’autonomie elle se condamne à rester dans la coopération et dans la dépendance en dehors de l’orbite basse terrestre. La rupture forcée par la guerre en Ukraine de la coopération avec les Russes pour lancer le rover d’exploration ExoMars, prêt depuis deux ans, n’aura servi à rien en matière d’incitation à faire mieux.

En matière de vols habités, cela fait des années qu’avant Philippe Baptiste (PDg du CNES), Joseph Aschbacher nous parle d’un changement politique. Mais renâcler devant l’obstacle est devenu une habitude depuis l’abandon de la navette européenne Hermès en 1992. On se demande pourquoi nous inonder d’informations à propos de Thomas Pesquet ou pourquoi choisir une nouvelle équipe d’astronautes européens. On se demande aussi pourquoi nous présenter à l’IAC en septembre à Paris, le concept SUSIE de navette spatiale pouvant être lancé à partir d’une Ariane 6, pour ne même pas la mentionner en novembre à la conférence interministérielle.

La conséquence c’est qu’il faudra au moins attendre la prochaine interministérielle en 2025 pour traiter du sujet sérieusement. Le fera-t-on ? De plus que faire de SUSIE après 2025 puisqu’elle doit opérer en orbite basse terrestre et que l’ISS va être mise hors service à la fin de la décennie ? J’imagine qu’on n’ira pas dire bonjour aux Russes ou aux Chinois dans leurs propres stations et je doute que les Américains faciliteront la desserte par les Européens de leurs propres stations privées alors qu’ils auront les moyens d’y aller par eux-mêmes (et d’en tirer le bénéfice pour eux-mêmes).

 

Concurrence

Il est évident que sans récupération et réutilisation, les lanceurs européens pour l’orbite basse terrestre qui déjà disposent d’un faible marché naturel par rapport à celui des Américains (publics et privés), resteront plus chers que ces derniers et bien sûr que les Indiens, les Russes ou les Chinois.

Ils continueront donc à vivre de clients institutionnels européens, contraints et peu nombreux.

 

Contributions par pays

Il est intéressant de noter l’engagement financier des divers pays européens et leur évolution. L’Allemagne (20,8 %) et la France (18,9 %) restent les leaders de l’Europe spatiale mais le pourcentage de l’Allemagne diminue (-1,9) tandis que celui de la France augmente (+0,5).

Le résultat c’est que la France n’est plus qu’à un point d’écart avec l’Allemagne (mais la France jusqu’en 2019 était le premier contributeur). L’Italie (18,2 %) suit de très près la France avec 0,7 point d’écart. À noter qu’à eux trois ces pays financent près de 60 % du budget. L’Espagne, comparable à l’Italie, est très loin derrière, avec seulement 5,5 %. Quant au Royaume Uni qui pourrait jouer dans la même cour que la France ou l’Allemagne, sa part n’est que de 11,2 % ce qui marque un désintérêt certain pour l’espace. Parmi les petits pays, la Belgique et la Suisse se détachent avec respectivement 5,6 % et 3,7%, stables, les Pays-Bas d’importance comparable ne participant que pour 2,8 % (+0,4 %).

Nul doute que l’effort par pays n’est pas très important même pour ceux du peloton de tête. Celui de l’Allemagne, pays qui dépense le plus, n’est que de 1,17 milliard par an à l’ESA, comparé aux 24,4 milliards que les États-Unis versent cette année à la NASA, c’est vraiment très peu. Rappelons qu’en 2021 le PIB de l’Allemagne était de 3,57 trillions d’euros et celui des États Unis de 22,9 trillions ; et que le budget total de l’Allemagne au niveau fédéral en 2022 était de 457 milliards. Pour la même année celui des États-Unis était de 6,27 trillions.

 

Comparaison

Pour comparaison, voici le budget de la NASA 2022 :

 

Sur le web

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  • Mais y a-t-il vraiment une corrélation positive entre le volume du budget et l’intérêt des résultats ?

    • sans parler.. de l’interet et la contribution au niveau individuel .. voire émerger un concurrent. ou une technologie qui met fin à votre activité .c’est pas plaisant..
      mais payer pour voire émerger un concurrent…

      l’espace à un interet militaire.. donc ça justifie l’argent publique mais à part ça….

  • Y a-t-il des projets de lanceurs réutilisables chez Arianespace ou à l’ESA ?

  • Quelqu’un connaît il la part de l’industrie spatiale dans le total des émissions de CO2 ? c’est probablement epsilonesque.

  • L’Allemagne n’est pas une puissance spatiale. Seules la France et l’Italie le sont. Tant que l’Allemagne ne sera pas leader dans le spatial, elle freinerra des 4 fers toute décision risquant d’augmenter l’éloignement de ses compétences en la matière. Comme pour le reste, l’Allemagne ne fait que cavalier seul en Europe.

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