Dans l’ISS, les Russes tiennent les Américains par la barbichette

La Station Spatiale Internationale est donc très largement une station américano-russe avec participation marginale du Japon et de l’Europe (plus précisément ESA).

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SpaceX SN8 Flight BY Ron Frasier (CC BY 2.0)

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Dans l’ISS, les Russes tiennent les Américains par la barbichette

Publié le 9 octobre 2022
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Ce 6 octobre, une fusée Falcon 9 de SpaceX est partie de Cap Canaveral en Floride, emportant dans sa capsule Crew Dragon, « Endurance » (également conçue et produite par SpaceX), quatre astronautes dont deux Américains (une femme commandante), un Japonais et une Russe, Anna Kikina (« spécialiste de mission »). L’arrimage à la Station Spatiale Internationale, l’ISS se fera le 7 octobre à 11 h 00.

Anna Kikina n’est pas une touriste mais une vraie cosmonaute, sélectionnée comme telle en 2012. C’est par ailleurs une ingénieure diplômée et qualifiée pour intervenir sur les équipements russes intégrés à l’ISS. Son vol fait partie de la routine d’une présence continue et nécessaire de Russes à bord. Il était programmé depuis juin 2020 et on peut déjà dire qu’elle aura des successeurs (et il y a déjà deux autres Russes à bord… qui redescendront avant elle).

C’est la première fois depuis vingt ans qu’un cosmonaute russe a décollé depuis le sol américain. La fois précédente, c’était un Américain qui était parti de Russie dans un vaisseau Soyouz. Mais surtout, ce qui est a priori troublant compte tenu du contexte de guerre, c’est que l’une et l’autre partie trouvent cela (presque) normal alors que la plupart des pays Occidentaux dotés de dirigeants pudibonds refusent de recevoir des touristes russes ou d’accueillir des musiciens pour jouer dans leurs orchestres.

En fait il faut bien voir que l’ISS ne pourrait pas fonctionner sans les équipements russes et la présence continue de personnel russe à bord pour les faire fonctionner. L’ISS est constituée de 16 modules pressurisés dont six russes, huit américains, un japonais et un européen. La Station Spatiale Internationale est donc très largement une station américano-russe avec participation marginale du Japon et de l’Europe (plus précisément ESA). Plus important, l’un des modules russes, « Zvezda », est en quelque sorte la salle des machines de la station. Les équipements qu’il contient et dont les Russes gardent le contrôle, permet notamment de remonter en orbite quand inexorablement la gravité terrestre entraine la masse de l’ensemble de l’ISS vers le sol terrestre, c’est-à-dire bien avant, vers des couches d’atmosphère de plus en plus denses ou un engin circulant à quelques 28 000 km heure se consumerait presque complètement (mais pas tous) après avoir été démantelé et déchiré. Pour mémoire, l’ISS évolue entre 330 et 420 km d’altitude.

En fait lorsque l’ISS a été lancée, en 1993, les États-Unis qui projetaient de monter une station spatiale depuis le début des années 1980, n’en avaient pas l’expérience (du moins celle d’une station vraiment fonctionnelle) et ils furent très heureux de faire sur ce plan une alliance avec les Russes qui venaient de faire imploser l’URSS et qu’ils considéraient comme devenue une puissance de second rang, tout en bénéficiant d’une bonne partie de leur technologie sans avoir à la développer eux-mêmes. Les Russes étaient à l’époque en avance dans le domaine des stations orbitales puisqu’ils avaient opéré leur station MIR pendant plusieurs années avec succès (1986 à 2001). Les Américains avaient bien tenté une expérience propre avec leur Skylab en 1973/74 mais cette mini station (un seul module) n’avait pas pu être maintenue en orbite. Par ailleurs, avant l’implosion de l’URSS les Russes avaient préparé une station MIR2 et Zvezda devait en être le cœur. Ils pouvaient donc ainsi poursuivre leur activité et surtout leur recherche en technologie astronautique en expérimentant un nouveau moteur, alors que cela aurait été impossible dans leur contexte de politique intérieure de 1993.

Donc la coopération americano-russe continue aujourd’hui dans ce domaine parce que les Américains ne veulent pas dire qu’ils dépendent des Russes et parce que les Russes sont satisfaits de continuer à travailler dans l’ISS dans le contexte de la préparation d’une nouvelle station entièrement russe (évidemment bien plus moderne que MIR2) dont le premier module pourrait être lancé entre 2025 et 2026. Cette station pourrait être opérationnelle en 2028. Il est implicite qu’un retrait russe de l’ISS signifierait la fin rapide de l’ISS dans de très mauvaises conditions (y compris de sécurité sur le sol terrestre) puisque les Américains ne pourraient plus la manœuvrer et puisqu’il est impensable de démonter le gigantesque mécano qu’elle a fini par constituer, pour remplacer le module Zvezda (auquel tous les autres sont reliés) par un module américain qui n’existe pas aujourd’hui.

On fait donc contre mauvaise fortune bon cœur, et avec le sourire même s’il est un peu crispé !

À terme, les Américains ont intérêt à montrer leur capacité à faire des prouesses dans l’espace en matière de vols habités s’ils veulent conserver leur prestige politique dans ce domaine. Ce n’est néanmoins pas évident qu’ils le puissent.

Il y a deux sorties possibles, Artemis ou le Starship.

Artemis est l’énorme fusée construite par ULA sous le contrôle de la NASA, qui pourrait permettre de renouveler les exploits de la fusée Saturn V des missions Apollo ayant permis les incursions sur la Lune dans les années 1960. Mais on a vu que son lancement a été reporté de mi-septembre à fin-septembre puis à début novembre. Après une très longue préparation (début 2005), c’est pour le moins inquiétant.

Le Starship, merveille futuriste préparée par SpaceX sous la direction d’Elon Musk devrait faire son premier vol orbital autour de la Terre en novembre également. SpaceX a démontré ses capacités en faisant voler et surtout en récupérant puis en réutilisant ses lanceurs, Falcon9 et Falcon Heavy. Mais avec le Starship on monte plusieurs barreaux de l’échelle des difficultés. Le Starship lui-même peut voler, la preuve en a été donnée (vol SN15) mais s’il a réussi quelques mises à feu statiques (au sol) son lanceur SuperHeavy qui doit le mettre sur orbite n’a pas encore démontré qu’il pouvait supporter la mise à feu simultanée de suffisamment de moteurs pour emporter dans l’espace la masse de son vaisseau, le Starship. Le risque de défaillance d’un moteur est beaucoup moins improbable quand on en augmente le nombre et les conséquences sur les autres peuvent être catastrophiques.

C’est cela qui préoccupe les Américains, beaucoup plus que de savoir si les Russes continuent aussi discrètement que possible (pour eux) à monter à bord de « leur » ISS.

Liens :

https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4003972-20221005-guerre-ukraine-fusee-spacex-decolle-floride-cosmonaute-russe-bord

https://theconversation.com/russias-withdrawal-from-the-international-space-station-could-mean-the-early-demise-of-the-orbital-lab-and-sever-another-russian-link-with-the-west-187754#:~:text=Russia%20operates%20six%20of%20the,way%20of%20dangerous%20space%20debris.

https://kosmosnews.fr/2022/10/05/lancement-danna-kikina-les-declarations-de-krikalyov-et-nelson/

Les modules russes : http://www.russianspaceweb.com/iss_russia.html

 

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  • Passionnant , merci !

  • Joe ne doit pas être au courant et même que la grande majorité des citoyens des Etats Unis soient au courant de ces petits détails, dans leurs esprits, c’est des fusées US qui décollent de Russie, les sites de lancement sont dirigés .par des spécialistes qui sont prêtés par le pentagone

  • Les commentaires sont fermés.

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