Échapper à la conscription militaire russe est un acte d’autodéfense

Ceux qui fuient la conscription correspondent à la définition commune des réfugiés, qui sont des personnes déplacées ne souhaitant pas retourner dans leur pays d’origine en raison d’une « crainte de persécution ».

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Poutine (Crédits : Platon, CC-BY-NC-SA 2.0)

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Échapper à la conscription militaire russe est un acte d’autodéfense

Publié le 29 septembre 2022
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Par Ryan McMaken.

 

Au cours des deux dernières semaines, la Pologne et les États baltes ont tous fermé leurs frontières à la plupart des Russes qui cherchent à les franchir, en particulier ceux qui voyagent avec un visa de tourisme. L’interdiction des voyageurs russes (jusqu’à présent) ne restreint pas l’entrée en Pologne et dans les pays baltes des Russes provenant d’autres pays de l’espace Schengen. Cependant, depuis samedi dernier, la Finlande s’oriente également vers une interdiction des voyageurs russes et va plus loin en cherchant à restreindre même les Russes ayant des visas provenant d’autres pays d’Europe.

L’interdiction en Pologne et dans les États baltes était peut-être prévisible, car ces États membres de l’UE ont depuis longtemps laissé entendre qu’ils fermeraient leurs frontières aux voyageurs, au motif que trop de Russes soutiendraient l’invasion de l’Ukraine orientale par l’État russe.

La question de la fermeture des frontières est particulièrement sensible à l’heure où l’on rapporte que des « milliers » de jeunes hommes fuient la Russie pour éviter la conscription. Les rapports suggèrent que beaucoup fuient vers la Turquie, mais beaucoup d’autres ont essayé de s’échapper vers l’Union européenne, certains via la frontière extrême nord avec la Norvège. La vague d’émigration en temps de guerre semble s’être accélérée durant les semaines qui ont suivi l’annonce par l’État russe d’une « mobilisation partielle », qui a suscité des appels à un recours plus important à la conscription en Russie.

En conséquence, le diplomate français Gérard Araud a cherché à encourager les émigrés russes qui cherchent à éviter le service militaire, en tweetant la semaine dernière que « aider les hommes qui veulent fuir à ne pas être mobilisés serait une bonne décision humanitaire et militaire [sic]. »

De leur côté, cependant, certains politiciens baltes n’en n’ont cure et semblent poursuivre ce qui pourrait être décrit comme une politique frontalière punitive. Le ministre des Affaires étrangères de Lettonie, Edgars Rinkēvičs, par exemple, cherche à interdire les immigrants russes potentiels parce qu’ils ne se sont pas opposés à Moscou assez tôt pour satisfaire les politiciens baltes. Pendant ce temps, le Premier ministre estonien Kaja Kallas a insisté sur le fait que tous les Russes sont personnellement responsables de la guerre en Ukraine. Il n’est donc pas surprenant que les représentants des États baltes aient rapidement déclaré que les objecteurs de conscience russes ne se verraient pas accorder le statut de réfugié.

Cette situation permet de mettre en lumière deux questions importantes liées à la conscription.

La première est qu’accorder l’asile aux personnes fuyant la conscription est la chose humanitaire à faire. La seconde est que c’est une bonne chose que les conscrits aient au moins la possibilité de fuir à travers les frontières pour échapper à la conscription. Ce n’est que l’un des nombreux avantages de la décentralisation politique mondiale. Même les États très grands et très puissants finissent par se heurter aux limites de leur pouvoir aux frontières.

 

La conscription est une violation des droits de l’Homme, c’est-à-dire des droits de propriété

Araud a raison quand il dit que ce serait une bonne chose d’aider ceux « qui veulent fuir à ne pas être mobilisés ». Mais « mobilisés » n’est ici qu’un euphémisme. Le service militaire forcé n’est rien d’autre qu’un enlèvement et un asservissement temporaire. Bien sûr, pour ceux qui en meurent, la conscription équivaut à une condamnation à mort. De plus, le fait de fuir la conscription a une longue tradition. C’est pourquoi les États assortissent souvent la « désertion », c’est-à-dire le fait de ne pas se présenter au service militaire forcé, de peines draconiennes.

Ainsi, de nombreux êtres humains ont longtemps cherché des moyens d’échapper à ce sort, et nous pouvons trouver une multitude d’exemples.

Par exemple, le régime russe lui-même – sous Catherine la Grande – a offert l’asile aux appelés du contingent, invitant les Européens à s’installer en Russie. Ce sont surtout des Allemands qui ont répondu à l’appel et qui sont devenus ce que l’on appelle aujourd’hui les Allemands de la Volga.

De nombreuses familles fuyant le service militaire ont également émigré vers les Amériques, et plusieurs millions d’Américains descendent de ceux qui ont fui les régimes des États allemands, de l’Empire ottoman, de l’Autriche-Hongrie et de l’Europe de l’Est.

Les Américains eux-mêmes ont une longue et glorieuse histoire d’évitement du service militaire. Pendant la guerre civile américaine, par exemple, de nombreux Américains ont fui à l’étranger. Comme le dit un historien : « Des hommes à la santé robuste découvraient soudain une terrible maladie et devaient se faire soigner sous un autre climat. Le Canada devint aussitôt la Mecque de ces invalides ».

Ceux qui s’opposaient à la conscription à cette époque n’hésitaient pas non plus à recourir à la violence pour le faire. On sait que des hommes et des femmes attaquent physiquement les agents de la conscription et s’emparent des listes de noms des agents pour les détruire.

Dans tout cela, bien sûr, ceux qui évitaient le service militaire forcé étaient moralement justifiés. Il s’agissait simplement d’actes d’autodéfense.

Ainsi, lorsque des États étrangers offrent un refuge à ces hommes, ils accomplissent un acte humanitaire. Cependant, dans la plupart des cas, les États ont été réticents à définir le fait d’éviter le service militaire comme une qualification pour l’asile. La raison en est évidente : la plupart des États veulent pouvoir continuer à imposer leur propre conscription militaire, et définir la conscription étrangère en général comme une violation des droits de l’Homme suggérerait que la conscription est moralement illégitime. Il est clair que la plupart des régimes ne veulent pas l’admettre. Ceux qui fuient la conscription correspondent néanmoins à la définition commune des réfugiés, qui sont des personnes déplacées ne souhaitant pas retourner dans leur pays d’origine en raison d’une « crainte de persécution ».

Le sentiment nationaliste peut également jouer un rôle dans ce domaine. Il est probable qu’au moins une des raisons pour lesquelles les politiciens des États baltes et de la Pologne hésitent à accepter les Russes fuyant la conscription est que de nombreux électeurs de ces pays n’aiment tout simplement pas les Russes et ne veulent pas de leur présence. C’est un sentiment compréhensible, compte tenu du contexte historique, mais cela ne change rien au fait qu’en principe, ceux qui fuient le service militaire forcé sont bel et bien des réfugiés.

 

Les avantages de la décentralisation mondiale

Nous avons la chance de vivre dans un monde où aucun État n’a réussi à imposer un gouvernement mondial. Si c’était le cas, ceux qui fuient la coercition gouvernementale n’auraient aucune possibilité de s’échapper. Un monde à deux États ne serait pas beaucoup mieux non plus, comme le montre le fait que l’UE dans son ensemble s’oriente déjà vers l’interdiction des émigrés russes.

Heureusement, le monde compte des centaines de politiques indépendantes. En effet, Rinkēvičs a résumé la situation lorsqu’il a justifié la fermeture de la Lettonie aux Russes par le fait qu’« il y a […] beaucoup de pays en dehors de [l’]UE où aller. » Il a raison, et heureusement, il existe de nombreux endroits dans le monde hors de portée de l’UE. Ces endroits sont souvent plus difficiles à atteindre pour les Russes, mais au moins ces pays existent indépendamment des caprices des régimes de la Russie et de l’UE.

Malheureusement, l’émigration est généralement une solution coûteuse. Fuir son pays d’origine avec des perspectives incertaines de retour légal a en effet un coût élevé. C’est encore pire lorsqu’on est résident d’un très grand État où la délocalisation peut signifier une séparation de centaines, voire de milliers de kilomètres avec les amis et la famille. Les émigrés russes potentiels doivent également faire face à des coûts supplémentaires s’ils ne parlent que le russe. Le russe n’est une langue officielle que dans trois pays autres que la Russie. L’État russe a réussi à obtenir un quasi-monopole sur le monde russophone.

Aussi imparfaite soit-elle, l’option de sortie constitue toutefois une limite importante au pouvoir des États de violer les droits naturels par le biais de la conscription, et pour de nombreux réfugiés, elle peut effectivement constituer une option viable.

 

Traduction Contrepoints.

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  • Echapper à une conscription est toujours une légitime auto-défense. Que cette conscription soit écologique, russe, ukrainienne ou autre est hors sujet.

    -1
    • Tout à fait !
      La conscription est anti-libérale. Pouratnt elle donne même sa réalité à l’Etat-nation. Parce que si on devait compter sur les volontaires comme le montre l’expérience historique partout et de tout temps, alors les guerres se limiteraient à quelques escarmouches. La première circonscription en France au moment de la révolution, a fait l’objet de nombreuses résistances dans les campagnes comme celle des paysans vendéens.
      Face à cette résistance, ils pénalisérent le refus, faisant d’un individu libre un malheureux traître totalement virtuel.
      Mais la propagande et la glorification finirent par l’emporter, les monuments aux morts (pour la patrie) siégeaient désormais sur la place de chaque village tel un témoignage. Ne vous défilez plus, des inconnus ont donné leur vie pour que la vôtre existe.
      Mais le patriotisme n’est pas une valeur, c’est une injonction déguisée en valeur. La véritable valeur est la loyauté. Et cette valeur là n’est pas hors sol, elles lient des individus concrètement avec ce qui comptent pour eux. Vous ne serez pas loyal pour d’obscures raisons qui ne sont pas les vôtres.
      Je ne suis pas patriote, je suis loyal à des valeurs réelles pour moi, seules la défense de ses valeurs me fera combattre.

  • Je ne moquerai pas trop de la conscription en Russie. Je ne prendrai pas des paris sur le fait qu’il n’y en aura pas en Europe d’ici quelques temps (mois, années,j’espére me tromper).Il y a une siècle, chez nous, ceux qui refusaient de se battre dans les tranchées, on les passaient par les armes. Quand a imaginer que si la France mobilise pour aller se battre en Ukraine;l’Allemagne va accueillir les déserteurs. L’auteur de l’article est un doux rêveur. Peut-être pourront-ils fuir en Russie?Si on les laisse sortir de France!…

  • S’opposer à l’accueil des russes en Europe c’est les pousser à se révolter contre le pouvoir de la Russie. Ils ont alors le choix entre aller se faire tuer pour Poutine ou se révolter contre lui. Personne d’autre qu’eux ne pourra faire changer les choses en Russie.

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