SNCF : le modèle de Singapour est-il exportable ?

Les transports publics franciliens sont réputés insalubres et peu performants. Pour améliorer la situation, les responsables du réseau sont tentés de s’inspirer des solutions mises en œuvre à Singapour. Elles sont pourtant difficilement exportables.

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SNCF : le modèle de Singapour est-il exportable ?

Publié le 23 août 2022
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Sur la ligne P du réseau transilien, celle qui dessert l’est de la région parisienne, la voiture située au bout du quai est surnommée « le wagon fumeur ». Depuis des années, malgré les amendes, des usagers ont pris l’habitude d’y fumer, boire, manger et de jeter leurs détritus à même le sol…

Ce n’est qu’une déviance parmi bien d’autres dans un océan d’incivilités qui ne frappent pas que les trains de banlieue mais aussi les rames du métropolitain et les vélos en libre accès.

 

Un tsunami d’incivilités

La firme hongkongaise Gobee.bike en a fait la triste expérience en 2018, obligée de se retirer 4 mois à peine après avoir tenté de s’installer dans la capitale.

Interrogé par La Tribune sur les causes de cet échec, son responsable évoque sans détour le « tsunami de vandalisme » qui a fracassé son matériel :

« À vrai dire, c’est la totalité de notre flotte qui a été endommagée à Paris […] les gobee. bike sont devenus la version 2 du jeu « Pokemon Go ».  Casser pour le plaisir, c’était le nouveau passe-temps de certains jeunes mineurs de 14-15 ans.

Quand on lui demande ce qu’a pu faire la police, la réponse est éloquente :

« Nous avons rempli plusieurs centaines de dossiers de plaintes. Savez-vous combien d’entre eux ont donné suite ? Un seul. Nous avons récupéré un seul chèque. J’imagine que le reste des dossiers a été classé comme « rappels à la loi » par les magistrats. Je ne crois pas que ce soit une bonne façon de montrer l’exemple. »

Évoquant des transports en commun « sales et bondés, des trains tagués, des stations de Vélib’ parfois totalement HS », il ajoute :

« Il manque une dimension importante si l’on veut réellement changer la donne : les pouvoirs publics doivent davantage sensibiliser les populations au respect de l’espace public et du bien commun, et davantage sanctionner en cas de dérives ».

Le constat est sévère mais conforme à la réalité d’une situation qui n’est plus maitrisée.

 

SNCF : le coût exorbitant du laxisme

Dégradations, fraudes… le fléau de l’incivisme coûte des fortunes aux collectivités et aux contribuables. Les opérateurs de mobilité déploient pourtant des moyens considérables pour le combattre. En Île-de- France, la SNCF n’emploie pas moins de 3850 agents de propreté. Chaque jour ils récupèrent l’équivalent de 10 500 sacs poubelles, soit 36 tonnes de déchets auxquelles s’ajoutent les 2,5 tonnes de détritus jetés directement au sol alors qu’on trouve une corbeille tous les 50 mètres sur les quais et dans les gares. Parmi ces détritus, 11 millions de mégots de cigarettes sont ramassés chaque année.

La RATP n’est pas en reste. Pour assurer la propreté des stations de métro, 1200 agents sont à l’œuvre tous les jours.

Mais en dépit de budgets nettoyage dont le montant en hausse constante dépasse désormais 700 millions d’euros, les transports publics d’Île-de-France continuent à mériter leur triste réputation, d’autant plus qu’aux coûts directs des souillures en tous genres s’ajoutent des coûts indirects encore plus élevés.

En 2017 ce sont 20 % des rames du RER A qui ont été retardées pour incivilités alors qu’en 2016, le taux de fraude dans les transports en commun francilien a atteint 8,4 % à Paris (contre 1 % à Londres et 0,1 % à Tokyo) pour un coût estimé à 300 millions d’euros pour la SNCF, à 100 millions pour la RATP et à 30 millions pour les cars Keolis. En outre, ces comportements entretiennent un sentiment général d’insécurité impossible à quantifier mais qui est préjudiciable à tous.

 

La tentation de Singapour

La facture devenant exorbitante les opérateurs de mobilité et leurs instances de régulation réfléchissent activement aux moyens de l’alléger et cherchent l’inspiration du côté de Singapour dont le système de transports publics est réputé être le plus propre et le plus efficace du monde.

Située au sud de la Malaisie cette cité-État peuplée de 5 686 000 habitants (2020, Banque Mondiale) couvre une superficie de 728,6 km², un peu moindre mais comparable à celle de Paris et de sa petite couronne. Son réseau public assure chaque jour 12 millions et demi de voyages, un chiffre qui devrait passer à 18 millions en 2030.

Le transport par rail est assuré par un système articulant les lignes à gros débit du Mass Rapid Transit et celles du métro léger automatique (LRT) pour une longueur totale de 198,6 km. Les trains sont climatisés et dans un état impeccable. On s’attend à ce que chacun contribue à la propreté des convois et des gares en ne mangeant pas et en ne buvant pas à bord sous peine de lourdes sanctions en cas d’infraction. Il existe également un système de lignes de bus dans toute l’île mais l’objectif à terme rapproché est d’étendre le réseau ferroviaire de telle sorte que les bus ne jouent plus qu’un rôle d’alimentation d’un vaste réseau ferroviaire.

 

Les clés du succès

L’excellence des services rendus repose sur la combinaison de trois éléments : planification, centralisation et sanctions.

L’économie de marché singapourienne est reconnue internationalement comme un modèle de réussite tout en étant transparente et exempte de corruption. En nationalisant son système de transport public et en planifiant son développement, ses responsables appliquent à la lettre les recommandations des théoriciens libéraux de la croissance endogène et bien avant eux celles d’Adam Smith énonçant que le troisième devoir du souverain est « d’ériger et d’entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l’intérêt privé d’un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir parce que le profit ne leur en rembourserait pas la dépense, quoiqu’à l’égard d’une grande société ce profit fasse beaucoup plus que rembourser les dépenses » – La richesse des Nations, Livre IV, Chapitre 9.

Cette considération amène à beaucoup relativiser la portée des futures mesures d’ouverture à la concurrence du réseau de transport francilien. Imposée par l’Union européenne, leur mise en œuvre est supposée fortement inciter à l’amélioration du service. Elle devrait s’étaler entre 2021 et 2040 pour des résultats très probablement décevants compte tenu de la nature des activités concernées qui de fait sont des monopoles naturels.

Si Singapour possède l’un des meilleurs réseaux de transport public au monde (bus, train et taxi) c’est aussi dû au fait que sa gestion est centralisée. Tous les moyens de transport, métro, bus, taxis, ainsi que les routes et autoroutes, sont placés sous l’autorité administrative unique de la Land Transport Authority (LTA). Un peu comme si, en Île-de-France, la direction de la voirie fusionnait avec le Syndicat des transports (Stif) et tous les niveaux de collectivités locales. La LTA gère un plan de développement qui étendra de 178 km de voie le réseau existant, le portant à 360 km d’ici 2030.

La troisième clef du succès est l’application de lourdes pénalités pour sanctionner les éventuels écarts de comportement. À titre d’exemple, dans la « ville-jardin » un jet de mégot sur la voie publique est puni par une amende de 350 euros (contre 68 en France) et un voyageur surpris à uriner dans le métro peut avoir à débourser jusqu’à 3500 euros (contre 60 euros dans le métro parisien).

La fraude est aussi découragée par des contraventions dissuasives et par une politique de tolérance zéro alors que la part non recouvrées des amendes dressées pour fraude par les agents de la SNCF et de la RATP s’élève à 56 %.

Le tout s’inscrit dans un contexte culturel qui associe étroitement responsabilité et liberté des citoyens.

 

SNCF : le modèle de Singapour est-il exportable ?

Après des décennies de laxisme, les pouvoirs publics de l’Hexagone ont commencé à réagir.

Dans les transports en commun, la loi Savary, mise en place en 2016, a décidé d’augmenter le tarif des amendes et le nombre des caméras pour mieux réprimer les écarts de comportement.

Mais les sanctions restent trop faibles et le plus souvent non appliquées comme cela ressort de toutes les études sur le sujet.

On continue à privilégier la voie des incitations comme moyen principal pour atteindre le but qu’on s’est fixé avec au cœur du dispositif des systèmes de bonus-malus associant le montant des subventions versées aux opérateurs de mobilité à des indicateurs de performance définis par des contrats les liant à Île-de-France Mobilités.

Or le contexte d’ensemble reste très peu favorable au succès d’une telle démarche.

Faute d’une direction unique, le système favorise toujours la dilution des responsabilités entre plusieurs entités aux intérêts souvent divergents et qui ont du mal à se concerter.

Par ailleurs, le contexte culturel d’ensemble pèse toujours lourdement sur les comportements des usagers. Il cumule la dépréciation de la responsabilité individuelle et un manque prononcé de respect pour la propriété aussi bien publique que privée, ce qui est conforme à la détestation de beaucoup de Français pour l’économie de marché. Son bon fonctionnement est pourtant une garantie de prospérité comme le montre l’exemple de Singapour qui au moment de son accès à l’indépendance en 1965 n’a que très peu de ressources naturelles et est en proie à des problèmes socio-économiques importants : émeutes raciales, chômage massif, difficultés de logement et d’accès à l’eau.

Ce pays est pourtant devenu l’un des plus développés et les plus prospères du monde, en matière d’économie, d’éducation, de santé, de sécurité et d’urbanisme. Il est aussi, et ce n’est pas un hasard en tête du classement des nations selon l’indice de liberté économique calculé chaque année par le Wall Street Journal et la fondation Heritage. Il faut descendre au 64ème rang pour y trouver la France.

 

La croisée des chemins

Singapour a parcouru un long chemin pour sortir de la misère au prix d’un régime autoritaire mais qui s’est peu à peu adouci et démocratisé.

En tournant le dos au libéralisme économique, la France a en revanche emprunté la voie du déclassement. L’état des transports franciliens n’en est qu’un symptôme parmi bien d’autres. Mais là comme ailleurs on peut remonter la pente en s’inspirant de recettes qui ont fait ailleurs la preuve de leur efficacité, à condition de ne pas oublier qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité et que le modèle de Singapour n’est exportable qu’au prix d’une révolution culturelle. En tout état de cause, le chemin est encore long pour atteindre les performances de Singapour.

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  • C’est l’Etat qui tue la France. Au lieu d’être commerçant, entrepreneur, nounou, providence, elle devrait s’occuper seulement de son devoir régalien de protection du citoyen et de ses biens et de réguler. LA SOLUTION : suppression du statut public sauf pour l’Armée. Mais qui va scier la branche qui le porte ?

  • Le modèle de Singapour est-il exportable ?
    Tout a Fait, Il suffit de changer la Population !

    -1
  • Quand la récidive d’un vol à l’arraché est puni d’une rappel à la loi, quel peut être la sanction contre un jet de mégot au sol ou un Velib vandalisé ?
    Quand on répète qu’en France tout est gratuit, à quoi cela sert-il de prendre soin du bien public ?
    Merci l’État de ce fabuleux cadeau de liberté !!!!

  • Bien sûr qu’il est exportable ! Planification, centralisation, goût pour les révolutions culturelles et la répression… on a tout ce qu’il faut en France pour que la greffe réussisse.

  • Vous tout écrit 36 tonnes de déchets, 3 tonnes de détritus, jeunes de 14-15 ans qui détruisent pour détruire, plainte jeter à la poubelle par les magistrats tout est dit, ne vous inquiétez pas ces magistrats, ils prendront leurs retraites dans des endroits bien protéger. dans les années 1960, 70, 80 les forces de l’OTAN utilisaient des cartouches d’instruction et d’entrainement, cela permettrait à la police d’intervenir pistolet en main sans risques de tuer, ils tireront sur les gamins de 14-15 sans les blesser juste un petit hématome

  • Travaillant (par passion technique) dans le milieu, je ne peux que confirmer ce que décrit cet article.
    L’essentiel des incivilités du quotidien sont punissables par des amendes. Fraude, dégradation de l’espace public, tabac ou cannabis dans les lieux publics, salissures et souillures de toutes sortes, graffitis, insultes, etc…
    Or la plupart des personnes qui les commettent sont insolvables. Les amendes ne sont presque jamais recouvrées (dans moins de 10% des cas).

    Pour les cas plus graves, il faut faire enregistrer une plainte par la police (nationale ou municipale). La police ferroviaire n’y est pas habilitée. Ce qui implique de retenir l’auteur, de faire venir une patrouille de police, et de prouver l’infraction ou le délit (ce qui n’est généralement possible que sur la base de témoignages, les caméras étant loin de couvrir tout l’espace avec une définition suffisante pour identifier des auteurs). Un agent SNCF ou un particulier doit prendre le temps d’aller porter plainte (temps qu’on sait d’avance perdu, car les plaintes se terminent 99% du temps en rappel à la loi). Nous avons donc beaucoup de mal à convaincre les victimes de le faire. Aussi, le nombre de faits réellement commis est très supérieur à ceux enregistrés.
    La ou je travaille, nous avons tous les jours des équipes de pickpockets, toujours issus de communautés de pays de l’est, qui dépouillent ou rackettent les voyageurs alors qu’ils sont bien identifiés, des SDF habitués de l’endroit qui ne sont pas tous propres et respectueux (la plupart de ces derniers sont très corrects et dans une situation difficile, je tiens à préciser). Nous voyons aussi tous les jours des fraudeurs, pour beaucoup étrangers en situation irrégulière, qui semblent très bien renseignés sur la disposition de nos emprises et de nos dispositifs de filtrage d’accès. Cela nous oblige, en plus des prestations de nettoyage mentionnées dans l’article, à dépenser des fortunes auprès de sociétés de gardiennage et d’agents de sécurité. Le matériel ferroviaire en France contient un grand nombre de dispositifs spécialement conçus pour résister au incivilités, notamment tags et gravures, ce qui coûte cher et empêche le déploiement de nombreuses innovations. Je pourrais donner des dizaines d’exemples mais ce serait bien trop déprimant.
    En tout cas merci pour cet article qui pour une fois aborde ce que nous ressentons comme étant un frein majeur au lieu de rentrer dans le poncif habituel cheminots=fainéants.

  • l exemple des transports publics parisiens montre la déliquescence croissante de toute notre fonction publique ou l irresponsabilité règne en maitre ( surtout pas de vague)
    l état d esprit issu de 40 ans d inertie ne cesse de mordre sur notre société : manifs de plus en plus brutales, GJ, violences contre tous les représentants de l état, refus d obtempérer, rodéos déchainés……..

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