La loi des débouchés (1), un héritage incompris

La vision de la loi des débouchés peut être éloignée de ce qu’il entend dans les médias et la vision qu’en avaient les économistes classiques.

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J-B Say, domaine public.

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La loi des débouchés (1), un héritage incompris

Publié le 20 août 2022
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J’ai écrit à de multiples reprises sur la loi de Say, ses implications en théorie monétaire, ses reformulations diverses. Il me semble nécessaire maintenant, de faire une chronologie de l’évolution de la loi des débouchés, en même temps que les différentes étapes d’évolution de celle-ci.

Le lecteur se rendra compte à quel point la vision de la loi des débouchés peut être éloignée de ce qu’il entend dans les médias et la vision qu’en avaient les économistes classiques. Si vous souhaitez en apprendre davantage sur ce sujet, vous pouvez suivre le fil chronologique des différents auteurs cités (je vais cependant en omettre quelques-uns), ou vous intéresser directement aux travaux de l’économiste Steven Kates (qui est notamment connu pour ses travaux sur la loi de Say et ses implications). Cette série d’articles n’aurait très certainement pas pu voir le jour sans l’immense travail de recherche de notre économiste.

 

Tout a un commencement : à la base de la loi des débouchés, Commerce Defended, par James Mill

Cela pourrait étonner le lecteur, mais il n’est pas réellement assuré que la loi des débouchés soit de prime abord de Jean-Baptiste Say.

Le livre de James Mill est en grande partie une condamnation de Mr Spence, dont les idées sont autant percluses de sophismes que celles des mercantilistes. Comme l’indique le titre de son ouvrage, Mill défend le commerce comme source de richesse, tout en montrant que c’est une erreur fondamentale de rechercher absolument un surplus de la balance commerciale. C’est l’accroissement de la production en soi qui est important.

On peut voir dans cette lecture la naissance de certaines idées fondamentales, celle de la distinction entre dépenses productives et improductives, marque des classiques disparue avec l’apogée des idées de Keynes et de la Théorie Générale.

Rappelons-nous ce que disait Lord Keynes à ce sujet :

« La construction de pyramides, les tremblements de terre et jusqu’à la guerre peuvent contribuer à accroître la richesse, si l’éducation des hommes d’État dans les principes de l’Économie Classique s’oppose à une solution meilleure. »

Près d’un siècle auparavant, Frédéric Bastiat avait anticipé dans Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas que quelques thuriféraires de la sous-consommation viendraient promouvoir des incendies à Paris comme stimulant pour l’économie. Il ne s’était guère trompé.

Sur cette distinction, faite par les classiques, la guerre est condamnée car c’est seulement l’accroissement des dépenses productives qui permet de s’élever au-delà de l’état stationnaire (autre notion  importante des classiques). À cet égard, sont également condamnées les dépenses dispendieuses du gouvernement. C’est un trait caractéristique qu’on retrouve chez l’ensemble des classiques par la suite.

Le passage le plus important de l’ouvrage est bien entendu celui du chapitre « La Consommation », qui nous concerne particulièrement ici. C’est dans celui-ci que la première formulation de la loi des débouchés de Say voit le jour (Mill ayant, probablement, lu la première édition du Traité de Say en 1803 pour formuler la loi des débouchés, et sur laquelle Say brodera lui-même dans les rééditions ultérieures). La demande est une composante de l’offre. Dans le même passage, Mill réfute l’hypothèse de surabondance générale (general glut).

En effet, c’est dans son Commerce Defended qu’on trouvera la première version de la loi des débouchés (the law of outlets). Bien sûr, Commerce Defended sort en 1807, quelques années après la toute première édition du Traité d’Économie Politique de Jean-Baptiste Say, et les prémisses de celle-ci sont déjà présentes.

C’est sur ces prémisses que Mill donnera la première formulation de la loi de Say, dans son argumentaire contre l’économiste Spence :

La production de marchandises crée, et est la cause unique et universelle qui crée un marché pour les marchandises produites.

Lorsque des marchandises sont transportées sur le marché, ce que l’on recherche, c’est quelqu’un qui achète. Mais pour acheter, il faut avoir les moyens de payer. Ce sont donc évidemment les moyens de paiement collectifs qui existent dans l’ensemble de la nation qui constituent l’ensemble du marché de la nation.

Quelle que soit la quantité supplémentaire de marchandises qui est créée à un moment donné dans un pays, un pouvoir d’achat supplémentaire, exactement équivalent, est créé au même instant ; de sorte qu’une nation ne peut jamais être naturellement surchargée, que ce soit en capital ou en marchandises, car l’opération même du capital crée un débouché pour son produit.

Il apparaît donc que la demande d’une nation est toujours égale au produit d’une nation. Il doit en être ainsi, car qu’est-ce que la demande d’une nation ? La demande d’une nation est exactement son pouvoir d’achat. Mais quel est son pouvoir d’achat ? L’étendue sans doute de son produit annuel. L’étendue de sa demande et l’étendue de son offre sont donc toujours exactement proportionnelles. Chaque particule du produit annuel d’un pays revient à quelqu’un comme revenu.

Telles sont les propositions de base de la loi des débouchés.

 

Le débat contre Malthus : Say et Ricardo contre la rhétorique de la demande déficiente 

Dans ses Lettres à Malthus, Jean-Baptiste Say  réitère sa défense de la loi des débouchés contre les partisans d’une explication des crises par une déficience de la demande. Il attaque Robert Malthus (et mentionne également Sismondi dans ses lettres), qui est à l’origine de la notion de demande effective, et que Keynes reprend à son compte après ses travaux sur Malthus, dans ses Essays on Biographie (1933). La boucle est bouclée. Dans ces lettres, Jean-Baptiste Say abordera loi des débouchés sous plusieurs aspects, montrant par cela qu’il a étendu le champ d’action proposé par James Mill :

Il soulève le rôle primordial de l’entrepreneur, ainsi que le rôle stimulant de l’accumulation du capital et de l’épargne, en même temps que les effets néfastes de la dette publique et des impôts excessifs sur l’amélioration du bien-être des masses.

Les grandes fortunes peuvent être favorables à l’accumulation des capitaux (à cet égard, il est en opposition avec d’autres classiques, comme John Stuart Mill ou Bentham) ; c’est la mode et la diffusion du luxe qui empêchent celles-ci de se traduire par l’accumulation de capital et l’amélioration du bien-être général des masses (on en revient à la morale victorienne, condamnée par Keynes) ;

Il s’attaque aux adversaires du bon marché et du machinisme (comme le fera de manière plus systémique Frédéric Bastiat dans ses Sophismes Économiques) : en effet, des prix bas peuvent être synonymes de profits élevés, puisque chaque entrepreneur bénéficie de la plus grande productivité et de la concurrence dans les autres secteurs. Dans le même temps, les produits ne trouvent pas de débouchés à cause des droits de douane et des impôts renchérissant les « frais de production », mais aussi à cause d’erreurs dans « la structure de production » (Haberler) ou encore à cause des guerres, qui dissipent les produits en consommations improductives ; l’effet des machines est néfaste pour les débouchés que si leur adoption est rapide et effrénée, et leur adoption se fait toujours avec lenteur, ce qui en résout presque tous les inconvénients, en fournissant en même un pouvoir d’achat supplémentaire à tous (John Stuart Mill abordera plus profondément ce sujet par la suite).

Fait intéressant, pour Jean-Baptiste Say, le Malthus des Principes est en désaccord avec le Malthus de l’Essai sur la Population (loi de la population qui est une des grandes vérités de Malthus, selon Say), car c’est précisément le fonctionnement de la loi des débouchés qui est derrière l’accroissement de la population suite à l’augmentation de la production, et que c’est elle qui fixe la limite naturelle de la population (sur ce point, Say est donc en désaccord avec David Ricardo).

Dans ses Lettres à Malthus, Ricardo s’attache quant à lui à critiquer la thèse de surabondance générale défendue par Malthus, en même temps que l’augmentation de la production doit être accompagnée d’une augmentation des dépenses improductives pour empêcher l’oisiveté de certaines ressources :

Je diverge autant que je l’ai jamais fait avec vous dans le chapitre sur les effets de l’accumulation du capital. Jusqu’à ce qu’un pays soit arrivé à la fin de ses ressources, en raison de la diminution des pouvoirs de la terre, pour permettre une nouvelle augmentation, [je tiens] pour impossible qu’il y ait en même temps une surabondance de capital et de [marchandises]. [Je] conviens que les profits peuvent être pendant un certain temps très faibles parce que le capital est abondant par rapport au travail, mais ils ne peuvent pas, je pense, être tous deux abondants et [en même temps].

En admettant que vous ayez raison sur ce [point, je doute] que la déduction que vous tirez soit la bonne, [et il ne me semble pas] sage d’encourager la consommation improductive.

En s’en prenant à Say (pour des questions de théories de la valeur ou d’interprétation de la loi des débouchés qui sont plus spécifiques à Say et Torrens), Ricardo soulève cependant le fait que des erreurs des entrepreneurs peuvent entraîner une redondance de capital et de travail.

La Loi de Say peut expliquer les crises, elle n’admet simplement pas l’explication de demande déficiente :

Les hommes se trompent dans leur production ; il y n’y aucune insuffisance de la demande. Si je veux du tissu et vous des produits de coton, ce serait une grande folie, en vue d’un échange entre nous, que l’un de nous produise des velours et l’autre du vin ; nous nous rendons coupables d’une telle folie aujourd’hui, et je ne peux guère expliquer le temps que dure cette illusion. […] Je ne puis concevoir qu’il soit possible, sans la plus grossière erreur de calcul, qu’il y ait surabondance de capital et de travail.

 

Nous en avons ici fini avec la première partie de notre série d’articles sur la loi des débouchés, qui concernait d’abord la formulation de celle-ci, puis la rencontre de son adversaire de toujours, la doctrine de la sous-consommation.

 

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