Nataliya Melnyk : « Nous construirons une Ukraine bien meilleure »

Entretien avec Nataliya Melnyk, directrice de la communication pour le Bendukidze Free Market Center en Ukraine qui nous livre son témoignage du terrain.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 2
Crédits Nataliya Melnyk

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nataliya Melnyk : « Nous construirons une Ukraine bien meilleure »

Publié le 3 juin 2022
- A +

Lors de l’Europan Liberty forum à Varsovie en mai 2022, la rédaction de Contrepoints a pu rencontrer des personnalités importantes du mouvement libéral européen telles que Nataliya Melnyk.

Nataliya Melnyk est Ukrainienne et directrice de la communication pour le Bendukidze Free Market Center, un groupe de réflexion ukrainien créé pour promouvoir la liberté, un État limité, une société ouverte et un marché libre, par l’analyse et le développement d’options politiques nouvelles et modernes, l’introduction de programmes éducatifs et l’engagement direct avec les décideurs de l’État, des entreprises et de la société civile. Avant de rejoindre le Centre, Nataliya était responsable du développement dans plusieurs organisations. Elle est chercheuse post-universitaire à l’Institut d’études politiques et ethniques Kuras. Nataliya a mené des recherches sur les questions de souveraineté nationale dans le monde globalisé et d’identification politique dans la société ukrainienne. Elle est diplômée de l’université nationale de « Kyiv-Mohyla Academy ».

Cet entretien a été réalisé par Alexandre Massaux, secrétaire de rédaction à Contrepoints.

 

Alexandre Massaux : Comment avez-vous commencé à vous impliquer dans le mouvement pour la liberté ? Pourquoi avoir choisi de défendre la liberté comme choix de carrière ?

Nataliya Melnyk : Avant 2013, j’étais surtout impliquée dans le développement des affaires, mais la révolution de la Dignité (NDLR aussi connue sous le nom de l’Euromaidan) a changé la donne, tant pour moi personnellement que pour la société ukrainienne dans son ensemble. Au départ, il s’agissait d’une manifestation d’étudiants contre les projets du gouvernement de se détourner de l’intégration européenne. La manifestation s’éteignait lentement lorsque la police de Kiev a été envoyée pour expulser par la force les quelques manifestants restants au milieu de la nuit. Ils ont fini par les battre violemment, ce qui a déclenché des protestations à grande échelle dans tout le pays.

Mes amis et moi avons participé activement à ces manifestations, et après avoir vécu des expériences inoubliables, nous n’avons plus jamais été les mêmes. Je ne pourrai jamais oublier que je me suis rendue sur la place de l’Indépendance, où se déroulait la majeure partie de l’action, en transportant des provisions, notamment du pain, du lait et du chocolat, et qu’il y avait des groupes d’hommes pouvant à peine marcher (tant ils étaient épuisés) qui traversaient la fumée d’un bâtiment en feu et des piles de pneus pour aller chercher de la nourriture et se reposer un peu après une nouvelle confrontation nocturne avec la police et la Garde nationale. Plus de 100 manifestants ont été tués, des centaines ont été blessés.

Après la victoire de la révolution, la plupart des jeunes ont pris la décision consciente de travailler pour un meilleur avenir de l’Ukraine. Certains d’entre eux ont rejoint diverses agences gouvernementales, d’autres sont entrés dans le secteur non gouvernemental. Je faisais partie de ces derniers. J’ai d’abord travaillé au International Center for Reforms, puis en 2016 j’ai rejoint l’équipe du Bendukidze Free Market Center. Comme on dit, le reste appartient à l’histoire. Il est très gratifiant de travailler dans une organisation qui s’aligne sur vos objectifs et vos valeurs, et encore plus gratifiant de faire partie du mouvement qui poursuit une vie meilleure et plus prospère pour les gens du monde entier.

 

Vous travaillez pour le Bendukidze Free Market Center en Ukraine. Avant la guerre, quelle était la situation de la liberté économique en Ukraine ?

Au BFMC, nous utilisons le rapport annuel sur la liberté économique dans le monde de l’Institut Fraser comme outil d’analyse de la liberté économique en Ukraine. Selon ce rapport, l’Ukraine n’a jamais quitté le groupe des pays les moins libres économiquement dans le monde.

C’est le seul pays économiquement non libre en Europe. Cette situation est principalement due à l’absence d’État de droit. C’est le domaine dans lequel nous avons le plus besoin d’améliorations pour lutter contre la corruption, faire respecter les accords, protéger la propriété privée et la vie des gens.

Nous sommes également toujours aux prises avec la réglementation soviétique, qui est dépassée et qui va trop loin. Pensez-y : notre Code du travail a environ 60 ans. Comment peut-il être utile et approprié aujourd’hui ?

Avant la dernière invasion à grande échelle en 2022 (car la guerre a débuté il y a 8 ans), des progrès ont été réalisés en matière de renforcement des institutions et de réforme du système judiciaire afin d’améliorer la situation générale de l’État de droit. Malgré les réticences auxquelles il faut s’attendre lorsque le système tente de se réformer ou d’éviter de se réformer.

Il faut également féliciter le gouvernement actuel d’avoir enfin levé le moratoire sur les terres qui interdisait aux propriétaires de terres agricoles de vendre leurs biens. Même s’il reste encore des restrictions, notamment en ce qui concerne la vente de terres à des étrangers, il s’agit d’un grand pas vers la liberté économique. Alors qu’il était encore en vigueur, plus d’un million de propriétaires fonciers sont morts sans héritiers ou sans que leurs héritiers puissent enregistrer leurs droits en raison du coût élevé de la procédure de succession.

 

Quelle est votre principale crainte, mais aussi votre principal espoir pour l’avenir de la liberté en Ukraine ?

La principale crainte est évidement de ne pas gagner cette guerre, car cela signifierait la fin de l’Ukraine telle que nous voulons qu’elle soit – libre, prospère et victorieuse. Si nous ne remportons pas une victoire décisive, la Russie poursuivra son objectif de transformer l’Ukraine en une autre Biélorussie, qui est de facto un pays occupé par la Russie.

Le principal espoir est également lié à cela, à savoir que nous ne gagnions pas seulement la guerre, mais que nous utilisions ce moment tragique de notre histoire comme une fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre les changements nécessaires qui nous permettraient de rejoindre les pays les plus libres et les plus florissants du monde sur le plan économique.

Nous ne pouvons certainement pas revenir à la situation d’avant la guerre, c’est une question de survie pour nous. Plus l’Ukraine sera forte et prospère, plus elle sera capable de se défendre contre la Russie à l’avenir. Nous ne voulons absolument pas nous retrouver dans une situation où notre peuple meurt tandis que nous supplions nos partenaires de nous fournir des moyens de protection, une fois de plus.

 

Comment les pays (et plus précisément la France) et les citoyens européens peuvent-ils aider l’Ukraine ?

Des armes, des armes, et encore des armes. On s’attendait à ce que nous perdions en quelques jours, et il semble que nos partenaires n’avaient pas vraiment de plan B si cela ne se produisait pas. Les Ukrainiens se battent bec et ongles, mais nous sommes en infériorité numérique. De plus, contrairement à la Russie, nous apprécions réellement notre peuple. Chaque jour de retard pour nous fournir les armes nécessaires est extrêmement coûteux.

Cela signifie plus de destruction, plus de vies ruinées et plus de vies perdues. Cela ne devrait pas se produire au milieu de l’Europe au XXIe siècle. Malheureusement, c’est le cas, à cause des illusions impériales de certaines personnes, et nous devons donc y mettre fin. Quel est l’intérêt d’avoir des règles qui ne sont pas appliquées et des valeurs qui ne sont que de jolis mots. C’est le moment idéal pour joindre le geste à la parole.

Ce serait également bien si votre gouvernement abandonnait son fantasme d’apaiser Poutine. Il voit cela comme un signe de faiblesse et un encouragement à continuer à faire ce qu’il fait. Détruire des villes paisibles, assassiner et violer des innocents. Il doit être arrêté, pas apaisé !

 

Quand la guerre sera terminée, comment comptez-vous aider à reconstruire l’Ukraine ?

Après avoir gagné la guerre, nous ne reconstruirons pas, nous construirons une Ukraine bien meilleure. Pour les raisons que j’ai expliquées plus haut. Nous travaillons déjà à la formation d’une coalition d’individus et d’organisations partageant les mêmes idées, qui élaborera une liste de solutions pour l’Ukraine du futur.

Sur la base de cette liste, nous élaborerons des projets de loi que nous soumettrons aux décideurs ukrainiens, et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir (et plus encore) pour nous assurer que le plus grand nombre possible d’entre eux deviennent des lois. Rendre l’Ukraine forte, libre et prospère. Ce ne sera pas facile, mais nous payons un prix terrible pour ne pas avoir suivi les traces de l’Estonie et de la Lituanie, les pays post-soviétiques les plus prospères. Il est donc temps d’agir maintenant.

Voir les commentaires (16)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (16)
  • « Nous sommes également toujours aux prises avec la réglementation soviétique, qui est dépassée et qui va trop loin. Pensez-y : notre Code du travail a environ 60 ans. Comment peut-il être utile et approprié aujourd’hui ? »

    Vous ne voudriez pas venir passer quelques temps en France, Madame Melnyk? On aurait plein de belles choses à vous montrer!

  • Avatar
    jacques lemiere
    3 juin 2022 at 7 h 35 min

    le titre me dérange un peu… pot pot aurait dit ce genre de chose..
    le but est JUSTE de maintenir une Ukraine souveraine..

    plus libérale..plus juste..

    • J’ai aussi tiqué sur le titre, je me méfie toujours des gens qui prétendent construire un monde meilleur. En général, ça se termine toujours très mal. Bon, le reste de l’article est plus rassurant!

      • Pas plus rassurant que ne l’étaient les petits candidats libéraux français à l’élection présidentielle…
        Pour construire, il faut des ingénieurs. Que ces ingénieurs aient de bonnes idées. Que la logistique leur apporte des moyens dans un cadre libre de corruption et où les règles du libre marché soient donc appliquées (no free lunch). Dans les écoles d’ingénieurs que j’ai fréquentées, on n’imaginait pas commencer une construction par un appel aux dons d’armes, on aurait commencé par un appel à construire la paix ensemble.

        • Les écoles d’ingénieurs que vous avez fréquentées n’étaient peut-être pas aussi envahies et écrasées par les tanks d’un autocrate à l’opposé des idées libérales peut-être…

          -1
          • Il y avait pas mal d’écrasement, merci. Mais j’y ai appris que les idées libérales ne servent à rien si on se contente de les agiter dans des cercles détachés des réalités, et aussi que les luttes contre les écraseurs servent d’excuse facile à ceux qui n’aboutissent à rien parce qu’ils ne savent que planifier au conditionnel.
            On ne construit pas « contre » mais « pour ». Mais vous semblez mieux savoir… Où donc vous êtes vous éduqué ?

            • C’est aussi une question de contexte: en situation d’extermination le plus urgent est peut-être de s’armer plutôt que tirer des plans sur la comète.
              On peut regretter que la paix n’ait pas été construite avant mais c’est trop tard.

              • Peut-être, bien que personnellement je ne crois pas qu’il soit trop tard, parce que je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une guerre d’extermination. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas simplement réclamer les armes, sans faire des promesses libérales éthérées ?

        • Exactement !

  • Pas un mot de cette charmante ukrainienne sur le sort subi par les populations russophones qui subissent la guerre depuis 8 ans… Dommage, ça l’aurait rendu un peu plus crédible…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Les Gilets verts ont bloqué le pays avec leurs tracteurs en demandant notamment que l'on n’importe pas ce que l’on interdit en France. Leurs revendications ont également porté sur l’accès à l’eau et sur la rigueur des normes environnementales françaises, qui seraient plus exigeantes que celles de leurs concurrents.

C'est la hausse du prix du gazole agricole qui a mis le feu aux poudres, en reproduisant les mêmes effets que la taxe carbone sur tous les carburants, qui avait initié le mouvement des Gilets jaunes cinq ans plus tôt.

Poursuivre la lecture
Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette vill... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles