L’invention du droit en Occident : une invention romaine

L’invention du droit à Rome s’est faite en séparant progressivement l’objet « droit », de la morale et de la religion.

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L’invention du droit en Occident : une invention romaine

Publié le 24 avril 2022
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L’invention du droit à Rome s’est faite en séparant progressivement le droit de la morale et de la religion. Cette invention du droit qui se découvrait par des spécialistes, les prudentes puis par les juristes, a eu pour finalité la création d’une véritable science du droit. Le droit était défini comme « l’art du juste et de l’utile », le juste étant défini comme « rendre à chacun son droit, son dû » pour reprendre les mots du juriste jusnaturaliste Javier Hervada.

Ainsi, le droit a été pensé par les Romains comme un objet autonome par rapport à la religion, à la politique et à la morale. Le droit, devenu invariant de l’humanité, est devenu un langage, permettant de qualifier juridiquement des faits pour appliquer un régime juridique. Il ne peut donc être qualifié de l’ensemble des pratiques morales ou des usages moraux. Il transcende la morale pour avoir un objet bien à lui, un vocabulaire qui lui est propre. Il se trouve donc détaché de la morale.

Comme le rappelle Aldo Schiavone1 :

« C’est à Rome seulement que le travail d’ordonnancement fut très tôt réservé et de façon rigoureuse à un groupe de spécialistes, puis se transforma en une technologie sociale au statut fort, détachant et isolant la fonction juridique et ses experts, « les juristes », de toute autre production culturelle, de la religion, de la morale, pour en permettre une identification autonome, nette et définitive ».

Le rôle des juristes romains dans le droit occidental

De plus, les juristes romains n’eurent pas seulement le rôle de savant, de spécialiste du droit mais ce sont aussi les plus importants constructeurs et producteurs de ce droit. Ainsi, quand nous parlons de droit romain, nous faisons en réalité référence à leur droit, au droit des juristes. Ce droit est issu de leur création selon une logique inductive ; en partant de faits particuliers, les juristes romains ont élaboré des règles générales.

C’est donc au travers de dispositifs casuistiques et grâce aux savoirs des experts que le droit romain s’est formé. Cette logique inductive fait donc du droit romain un « droit coutumier vivant » pour reprendre Schiavone, très loin donc de la croyance selon laquelle le droit romain était un droit codifié, écrit. Cette logique de raisonnement rapproche beaucoup plus le droit romain de la logique de la common law que de la logique du droit civil. C’est seulement à partir du IIIe siècle que le droit romain va quitter ce mode d’élaboration au travers d’experts et de la jurisprudence, pour aller vers un modèle où la production normative se trouvait concentrée dans une logique « législativo-bureaucratique », avec un rôle plus important de l’État.

Fondamentalement, le droit romain, le ius, est un droit jurisprudentiel issu de la pratique des juristes et des experts. Déjà sous la Rome archaïque se forme une polarité entre le modèle de la loi et du code et celui de la pratique coutumière fondée sur l’oralité. Cela se traduit par l’opposition entre deux projets de souveraineté, l’un fondé sur la primauté de la politique et de ses institutions, l’autre sur la suprématie d’un cercle d’experts et de spécialistes, en clair, les juristes.

Ce dualisme marque profondément le droit en Occident et son développement comme les cas des parlements sous l’Ancien Régime avec les remontrances ou les lettres de jussion avant que le roi ne fasse lit de justice, peuvent l’illustrer.

Un autre élément caractérisant le droit romain et qui pour rappel, fonde le droit en Occident, se trouve être l’importance de l’abstraction et du formalisme. Comme dit précédemment, le droit à Rome provenait des experts, des juristes. C’est donc à travers eux, grâce à leurs écrits, que sont apparus les concepts juridiques, les qualifications juridiques que l’on connaît aujourd’hui, ou du moins cette façon de raisonner propre aux juristes. Ainsi, c’est notamment sous les écrits de Quintus Mucius (140 à 82 av J.-C) que le formalisme juridique apparaît.

Selon Schiavone, les concepts de Mucius « trouvaient leur point de référence dans la structure de la socialité privée, dans un milieu civique désordonné mais développé ». Les concepts « naissaient de la capacité à séparer analytiquement les formes fonctionnelles des rapports pris en considération par le ius de la matière vive qui les composait, et de leur donner une consistance tout à fait autonome, détachée des déterminants concrètes qui en constituaient le contenu dans la réalité ». Dès lors, au travers de concepts juridiques propre, « chaque forme ainsi élaborée aura son propre nom juridique, lui reconnaissant une existence séparée et une substance qui lui est propre ».

Le formalisme moderne

Par ce formalisme moderne, « se construisait un droit capable d’atteindre une dimension entièrement formelle, au travers de dimensions abstraites dans les rapports qu’il pouvait prendre en compte, à laquelle était liée le déploiement d’une raison pratique spécifique, fondée sur l’évaluation « calculante » et quantitative ». Outre ce formalisme purement intellectuel, le droit, dans sa formation vit une autre scission. En effet, au travers de ces éléments abstraits, « le ius, commençait à se détacher non seulement des sphères sociales et institutionnelles (religion, politique, morale) mais de la matérialité même de la vie à laquelle pourtant le droit se référait », élevant une barrière épistémologique entre le monde et lui-même. Ainsi, par son aspect totalisant, le formalisme juridique a libéré « une immense force de réglementation, une prise incomparable sur la vie nue, laissée à l’écart dans le seul but d’être mieux maîtrisée ».

Loin d’être purement intellectuel, ce formalisme a eu des répercussions sur la vie sociale, notamment dans le développement de l’économie et du commerce, faisant du droit l’objet de la modernité notamment en constituant un lien entre marchandise et argent, se substituant aux échanges biens contre biens.

La nature du ius était comme l’avait dit Bruno Leoni, un droit issu de la découverte.

En effet, comme l’affirme Schiavone :

« La règle juridique n’apparaîtra plus autrement que comme un acte de connaissance et non de volonté, une adéquation de la pensée à l’être, le résultat d’une opération cognitive rationnellement contrôlable dans toutes ses phases, entièrement soustraite à l’arbitraire ou à l’autoritarisme ».

Dès lors que le droit est objet de connaissance, la création d’une science juridique peut avoir lieu. Ainsi, « le droit allait s’en remettre aux principes d’une nouvelle pratique intellectuelle que la modernité n’hésitera pas à appeler « science », génératrice d’une logique qui réussissait à combiner positivité et abstraction ». Cette science juridique « sera rapidement enfermée dans un univers possédant sa propre temporalité, rempli d’essences éternellement égales à elles-mêmes, autosubsistantes, immuables mais susceptibles d’acquérir toujours d’autres attributs et qualités, en un jeu de spécifications techniquement illimitée et à son tour constitutif de socialité ».

Parce que le droit était le fruit de découvertes, il fallait en découvrir l’esprit (la mens), pour bien le comprendre. Le ius qu’il fallait fouiller avec les instruments adéquats pour en révéler la cohérence. Cette technicisation du savoir juridique continua à s’accroître durant les temps Romains, la force du droit devenant son autonomie par rapports aux autres sphères de la vie sociale.

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  • Article très intéressant, le droit qui est si souvent bafoué, fouler au pied, la France a pu après mai 1968 connaitre la renaissance du droit

  • Les commentaires sont fermés.

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