Israël aide l’Ukraine en piégeant Washington

La Russie ne sera plus un partenaire énergétique de confiance, mais il se pourrait bien que l’Iran ne vienne pas la remplacer en mettant fin à l’accord nucléaire. Cela fera l’affaire d’Israël.

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Hand reaching for cheese in a mousetrap By: Marco Verch - CC BY 2.0

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Israël aide l’Ukraine en piégeant Washington

Publié le 15 mars 2022
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Dans le numéro de juillet-août 2015 de La Revue de l’Énergie j’écrivais au sujet de l’accord nucléaire iranien signé le 14 juillet 2015 :

« Avec l’exportation du gaz iranien, le rôle du gaz russe va être redimensionné au point que l’on se demande quelle contrepartie la Russie a bien pu obtenir pour laisser ce futur grand concurrent venir sur le marché international du gaz. ».

Cette interrogation reste plus que jamais d’actualité et explique pourquoi le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, est allé rencontrer le maitre de Moscou.

Vladimir Poutine a perdu son honneur. On applaudit les tentatives d’Emmanuel Macron et d’Olaf Scholz pour tenter de négocier avec Vladimir Poutine la fin de l’ignoble guerre que la Russie mène en Ukraine. Plus surprenant, le Premier ministre d’Israël s’invite dans un conflit qui ne le concerne pas autant que la France ou l’Allemagne. Certes, vue l’impérieuse nécessité de mettre fin à cette guerre immédiatement, tous les canaux diplomatiques tentent aussi ce qui ressemble à l’impossible.

Le problème de l’accord iranien

À Vienne, les négociations entre les États-Unis et l’Iran avec aussi les autres membres (le groupe 5 +1) sont sur le point de boucler le nouvel accord iranien (Joint Comprehensive Plan of Action – JCPOA). Israël a fait savoir à son allié privilégié tout le mal qu’il pense de cette négociation. Mais Joe Biden, en continuité avec la ligne qu’avait Barack Obama lorsqu’il était son vice-président, refuse de changer cette négociation.

Bien qu’il ait promis lors de sa campagne électorale que « we’re going to phase out fossil fuels », l’explosion des prix des produits pétroliers aux États-Unis qu’il a contribué à créer, l’embarrasse énormément. Cet accord avec le régime des mollahs permettrait à l’Iran de revenir dans le marché mondial du pétrole actuellement sous-approvisionné.

Il manque quelque 9 millions de barils par jour (Mb/j) de pétrole brut et de produits pétroliers provenant de Russie. Cela explique aussi le revirement de Washington envers le gouvernement de Caracas qu’il estimait illégitime il y a encore quelques jours.

L’Iran comme la Russie possèdent d’énormes réserves de pétrole et de gaz naturel. Ils disposent respectivement de 9 % et 6 % du pétrole mondial, mais surtout 16 % et 20 % des réserves mondiales de gaz naturel. Mais à la différence de la Russie, l’Iran reste un nain pour l’exportation de gaz naturel. La Russie en exporte 250 milliards de m3 par an, dont 170 vers l’Union européenne, tandis que l’Iran en vend seulement 15, essentiellement vers la Turquie.

De plus, l’Iran ne participe pas au marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL) tandis que la Russie, avec l’aide de TotalEnergies, a en 2018 pris sa part de manière impressionnante dans ce marché en pleine expansion. L’Iran a besoin de cet accord  nucléaire, car il est économiquement asphyxié par l’embargo pétrolier. De plus, vu le besoin criant de gaz dans le monde, il pourrait apporter un grand soulagement au marché du gaz en forte croissance. Observons qu’avant la révolution islamique l’Iran exportait 5,5 Mb/j et qu’au mieux — hors embargo — ces dernières années il n’exportait plus que 2,5 Mb/j.

On comprend pourquoi, comme je l’expliquais dans l’article susnommé ce qu’on appelle l’accord nucléaire est en fait un accord pétrolier et gazier contre l’abandon de l’enrichissement de l’uranium à des fins militaires.

Le jeu habile d’Israël dans la crise ukrainienne et gazière

Puisque Israël ne veut absolument pas de cet accord, le Premier ministre israélien Naftali Bennett est allé le dire le 5 mars à Vladimir Poutine. Quelques détails montrent l’importance et le soin de cette négociation. Elle a eu lieu alors que c’était shabbat et l’interprète du tête-à-tête n’était rien moins que Zeev Elkin, ministre israélien de la Construction et du Logement. Il semble que Jérusalem se soit engagé à ne pas livrer d’armes à Kiev. Mais de quand même construire un hôpital à Lvov.

Cette intervention israélienne n’entache en rien les excellentes relations qu’Israël entretient avec l’Ukraine. La judaïté de Volodymyr Zelensky y contribue, mais aussi celle de son conseiller principal Vladislav Reutberg qui s’exprime régulièrement en hébreu dans les médias israéliens. En quelques jours, les choses ont évolué. Dans un discours « aux accents churchilliens » selon la presse britannique, depuis Kiev, le président ukrainien a fait des déclarations d’ouverture au Parlement de Westminster.

Il a affirmé qu’il réfléchit à la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée et qu’il s’engage à négocier afin de pacifier le Donbass. Alors qu’ils sont normalement interdits au Parlement, avec l’accord du speaker, une salve d’applaudissements a dû réconforter Volodymyr Zelensky. Il a laissé entendre que l’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN en avançant l’argument — étrange — que de toutes les façons on voit bien que l’OTAN ne veut pas ou ne peut pas nous aider. Vladimir Poutine doit savourer.

Le jour même de la rencontre israélienne, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, donnait une suite concrète. Il déclarait que la Russie demande « une garantie écrite » que le nouvel accord iranien ne portera pas atteinte à la volonté russe de coopérer de multiples manières, y compris militaire, avec la République islamique. Cette déclaration met de facto la négociation de Vienne en grande difficulté et peut-être même entre parenthèse.

La Russie a un intérêt vital à éviter que l’Iran ne le remplace dans le commerce mondial des hydrocarbures. Ce mouvement de Moscou perturbe Washington et paradoxalement Téhéran puisque l’argument officiel consiste à pouvoir commercer avec elle, tout en donnant satisfaction à Jérusalem. Certes, le nouveau JCPOA pourrait être renégocié sans la Russie, mais cela n’est pas simple, car c’est elle qui devait reprendre l’uranium concentré en échange de celui moins concentré que l’on utilise dans le nucléaire civil.

Cette guerre aura d’abord fait perdre son honneur à Vladimir Poutine. Tant qu’il détiendra le pouvoir, la Russie ne sera plus un partenaire énergétique de confiance, mais il pourrait bien s’arranger pour que l’Iran ne vienne pas le remplacer en mettant fin à l’accord nucléaire. Cela fera l’affaire de Jérusalem.

Dans tous les cas, Joe Biden est aussi perdant. Son accord avec l’Iran pourrait bien devenir caduc et surtout sa promesse électorale d’abandonner les énergies fossiles ne sera pas tenue et révèle son manque de maitrise de la question énergétique, tout comme d’ailleurs les dirigeants européens qui sans rire pensent à l’utopie hydrogène pour se passer du gaz russe. Au contraire des promesses irréfléchies de Joe Biden et de la Commission européenne, on observe combien les énergies fossiles continuent à faire tourner le monde et à diriger la géopolitique du monde entier.

 

Les derniers ouvrages de Samuele Furfari sont Énergie, tout va changer demain et Écologisme. Assaut contre la société occidentale (Éditions VA).

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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