Guerre Ukraine-Russie : accélératrice de l’inflation en Europe

L’inflation que ce conflit va inévitablement accélérer est pourtant grosse de conséquences économiques qui vont durement affecter des millions d’Européens.

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Inflation BY Michael J. Slezak(CC BY-NC 2.0)

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Guerre Ukraine-Russie : accélératrice de l’inflation en Europe

Publié le 28 février 2022
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Alors que l’invasion de l’Ukraine y provoque morts et destructions il peut paraître bien dérisoire de parler de hausse des prix. L’inflation que ce conflit va inévitablement accélérer est pourtant grosse de conséquences économiques qui vont durement affecter des millions d’Européens.

Dans l’épisode électoral que traverse la France le sujet prioritaire de la campagne devrait tourner autour des moyens d’alléger le poids de l’inévitable facture.

Et le Roi vit qu’il était nu

Avec stupeur on découvre que l’économie russe souvent présentée comme faible et peu performante dispose d’énormes atouts dans les secteurs clés de l’alimentation, de l’énergie et des matières premières industrielles, ce dont l’homme de la rue ne va pas tarder à s’apercevoir.

La Russie, qui en est devenue un des premiers producteurs sur la planète, assure déjà près de 20 % des exportations mondiales de blé et l’Ukraine est un gros fournisseur de maïs. Comme le note le site spécialisé Terre-net, en attaquant l’Ukraine la Russie provoque une explosion historique des cours du blé et du maïs :

Paralysée par l’attaque russe, l’Ukraine a donc dû cesser ses activités portuaires tandis que la Russie a bloqué tout trafic commercial dans la mer d’Azov, confirmant ainsi le risque de perturbations logistiques dans la région.

De fait, le conflit perturbe gravement les marchés agricoles qui souffraient déjà d’une forte volatilité et deviennent extrêmement nerveux. Le 24 février, premier jour des hostilités, la tonne de blé tendre a atteint un pic inédit à 344 euros. Dans la foulée, le maïs a embrayé à 304 euros par tonne contre 280 à l’ouverture.

On peut donc prévoir une forte accélération du coût de l’alimentation en Europe, en particulier en Italie qui importe 64 % de son blé (pour la production de pain et biscuits) et 53 % de son maïs (pour l’élevage). En outre, si demain la Russie assoit sa domination sur l’Ukraine (12 % des exportations mondiales de blé), elle occupera une position dominante sur le marché des matières premières agricoles et sera en mesure d’influencer structurellement les prix, ce qui ne peut que les pousser durablement vers le haut en réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs.

Une Europe droguée au gaz russe

L’autre courroie de transmission de l’inflation, plus puissante encore, est l’énergie. Troisième producteur mondial de pétrole, la Russie occupe aussi la première place pour le gaz. Le conflit a déjà propulsé le cours du baril de brent nettement au-dessus de 100 dollars le 24 février. Selon les spécialistes il pourrait atteindre rapidement les 125 dollars. Cette forte poussée catalyse une tendance de fond à la hausse due à un sous-investissement chronique dans l’exploitation d’une source d’énergie jugée sale et qui l’est effectivement mais pour laquelle on n’a encore guère de substituts performants. Le consommateur doit donc s’attendre à ce que le prix du litre d’essence atteigne prochainement des niveaux inédits qui vont fortement pénaliser son niveau de vie et ses possibilités de mobilité.

Pour ce qui est du gaz, le stress ukrainien survient alors que les fondamentaux sont déjà plus que tendus. Le quadruplement des prix depuis l’été 2021 en témoigne et le conflit devrait considérablement amplifier le phénomène pendant de longs mois.

La Russie assure en effet 40 % des approvisionnements de l’UE par la voie de gazoducs. Celui qui traverse l’Ukraine pourrait être coupé du fait des hostilités, ce qui ferait encore flamber les prix. À plus long terme la dépendance de l’Allemagne est particulièrement préoccupante. Passant sous la Baltique Nord Stream 1 y achemine 55 milliards de m3 par an depuis 2011. Nord Stream 2 qui suit le même parcours devait doubler cette capacité. Achevé mais pas encore en service il a coûté 10 milliards d’euros en partie financés par Engie (ex Gaz de France).

Ce conduit qui pourrait ne jamais devenir opérationnel est pourtant particulièrement important pour l’Allemagne qui, en abandonnant le nucléaire en 2012 sans plan de rechange, a construit sa dépendance au gaz russe. Trouver des substituts comme le GNL américain ou qatari fera inévitablement grimper les coûts de production de ses entreprises industrielles. La dépendance est moindre dans le cas de la France qui n’a pas renoncé à ses centrales atomiques et dont la Norvège est le principal fournisseur. Elle n’en dépend pas moins de la Russie pour 17 % de sa consommation. De plus, les stocks sont au plus bas à la sortie de l’hiver et ont toutes les chances de devoir être reconstitués au prix fort en ayant recours à d’autres sources plus coûteuses. À cela s’ajoute le fait que quel que soit le prix, il n’y a pas assez de gaz norvégien, algérien ou de GNL pour se passer du gaz de Russie dans les années qui viennent.

À moyen terme toute baisse des flux de gaz russe a donc pour corollaire une accélération encore plus forte de la hausse des prix qui pourrait devenir stratosphérique.

L’envolée probable des coûts de production

Tout converge donc pour provoquer une envolée encore plus forte des coûts énergétiques, ce qui va pénaliser les coûts de production de l’industrie mais aussi de l’agriculture. Le gaz est en effet un élément indispensable à la production d’ammoniac sans lequel on ne peut pas fabriquer d’engrais azotés. Comme le rappelle la présidente de la FNSEA, « Vladimir Poutine a la main sur le robinet du gaz et pour faire des engrais, il faut du gaz ».

Du fait de l’irrésistible ascension de son prix ces derniers mois, plusieurs producteurs d’engrais comme Yara ou Eurochem ont déjà dû fermer des usines. Cette raréfaction de l’offre ne peut qu’entretenir le cercle vicieux de la hausse des prix. La situation est d’autant plus préoccupante que la Russie est aussi un gros producteur de potasse et fournit directement à l’UE en tant que produits finis le quart de ses importations d’engrais azotés (ce que la France produit sur son sol ne couvre plus que le tiers de ses besoins, pollution oblige).

Cela aura inévitablement des répercussions sur les prix de production des industries agroalimentaires et des conséquences potentiellement désastreuses pour les agriculteurs qui subiront la hausse des coûts bien avant de bénéficier de la hausse des prix de leurs produits. Quant aux consommateurs, ils devront tôt ou tard payer plus cher leur alimentation.

À ces facteurs d’inflation s’ajoute tout ce qui touche aux métaux devenus indispensables pour assurer la transition énergétique. La Sibérie détient d’énormes réserves de cuivre. Indispensable à la nouvelle économie verte, les cours de ce « métal du futur » sont déjà au plus haut et devraient continuer à grimper. Pour ce qui est d’un métal rare comme le palladium, la Russie couvre le tiers des besoins sur le marché international. On imagine l’impact sur les prix d’une interruption des échanges.

On peut d’ores et déjà en déduire que le conflit devrait avoir une forte incidence sur les coûts de production et donc sur les prix de tous les biens indispensables à la décarbonation de notre économie.

L’accentuation des déséquilibres

Nombre d’analystes ont nié la possibilité d’un retour de l’inflation en attribuant la hausse des prix à une perturbation seulement « provisoire » des circuits mondiaux d’approvisionnement. Mais de provisoire elle est devenue durable, d’autant plus qu’avec l’invasion de l’Ukraine, à la hausse des cours des matières premières s’ajoutent celles des coûts du fret et des tarifs d’assurance. Les délais de livraison vont donc encore s’allonger et les contrats devenir plus chers.

À cette intensification des pressions inflationnistes s’ajoutent de sombres perspectives pour l’investissement des entreprises. Leur gel est probable du fait de la peur et de l’incertitude que génère le conflit. Ces éléments ne peuvent qu’avoir un impact négatif sur l’emploi, sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la demande globale.

Comme le souligne les experts d’Amundi :

Les pressions inflationnistes vont mécaniquement s’intensifier avec la hausse des prix des matières premières, augmentant le risque de stagflation et mettant au défi les mesures de la BCE.

Stagflation en vue

La stagflation combine deux phénomènes qu’on a longtemps cru contradictoires, la hausse des prix et la récession de l’activité.

La reprise de l’inflation, prévisible depuis de longs mois a désormais toutes les chances de s’accélérer sous l’impulsion des éléments nouveaux introduits par le conflit.

Cela devrait forcer la BCE à sortir du bois en mettant un terme à la politique monétaire ultra-accommodante qu’elle suit depuis des années. La hausse des taux d’intérêt qui en résultera se traduira par un renchérissement du crédit pour tous les agents économiques.

En se conjuguant à la hausse des coûts de production, la hausse du coût des emprunts fera peser des contraintes plus fortes sur l’offre et poussera les économies européennes vers la stagnation.

Tout se met donc en place pour que le scénario de la stagflation qui a déjà marqué le passé des économies développées se répète dans un proche avenir, quelle que soit l’issue du conflit dont le principal effet sur notre économie est d’accélérer et de rendre inévitable une évolution dont les germes ont été méthodiquement semés ces dernières années.

 

Que faire ?

Selon Christian Lindner, ministre des Finances de l’Allemagne, l’Union européenne est en mesure de protéger son économie face à un nouvelle hausse de l’inflation. La question est de savoir comment. On attend la réponse mais manifestement cela ne semble pas préoccuper Bruno Le Maire pour lequel l’économie française serait « peu exposée » à la Russie, « un partenaire économique secondaire ». Il en déduit que « Les ménages français n’ont pas d’inquiétude à avoir » face à la hausse des prix de l’énergie.

Cela relève du déni de réalité. Il est au contraire urgent de s’en soucier et d’en faire un thème central de la campagne présidentielle. Il faudrait que tous les candidats s’en saisissent et que la réponse ne soit ni une nouvelle usine à gaz bureaucratique émettrice de chèques financés par endettement, ni un illusoire blocage des prix, ni une formule lapidaire du type : « on prendra aux riches pour donner aux pauvres ».

Il me semble qu’il est plus urgent de réfléchir au moyen de passer ce mauvais cap que d’illuminer la tour Eiffel aux couleurs de l’Ukraine.

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  • Que faire ?
    « Cela devrait forcer la BCE à sortir du bois en mettant un terme à la politique monétaire ultra-accommodante qu’elle suit depuis des années »
    Eh bien qu’elle continue encore un peu de suivre cette politique ultra-accommodante. Si elle n’y a pas mis un terme en période normale, ce n’est pas maintenant qu’elle doit le faire.

    • Ce n’est pas une solution, tout au plus un anti-douleur, à la suite de l’article il me semble que nos dirigeants doivent mettre le paquet (dont favoriser) dans l’investissement, la recherche et le développement dans les filières concernées tant que nous avons encore les moyens.

  • Très bon papier, « Paralysé par l’attaque Russe » c’est ce que voulait Poutine, paralysé l’économie Ukrainienne, les augmentations du blé, du maïs, du gaz et diverses matières premières va mettre les Européens dans une mélasse pas possible, il ne serait pas impossible que les anciens pays du pacte de Varsovie quittent UE pour revenir dans le girond Russe et Chinois

  • Domage, il fallait dialoguer avec Vladimir au lieu de suivre les directives de la maison blanche.

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