Réinventer la nation espagnole est-il encore possible ?

Invoquer aujourd’hui la Constitution de 1978 comme un rempart de la paix civile a peu de chances d’être entendu des nouvelles générations d’Espagnols qui n’ont vécu ni le franquisme ni la Transition.

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Réinventer la nation espagnole est-il encore possible ?

Publié le 5 octobre 2017
- A +

Par Stéphane Michonneau.
Un article de The Conversation

Questions de chiffres d’abord. Au-delà du problème de la recevabilité des résultats de la consultation dont les conditions de déroulement sont loin de répondre aux critères de légalité et de tranquillité que requiert ce type de vote, 2,2 millions de Catalans se sont exprimés sur un corps électoral de 5,4 millions d’inscrits – soit environ 42 %. Si 90 % des votes exprimés sont en faveur de l’indépendance, ces résultats semblent confirmer que l’indépendantisme n’a pas la majorité.

Mais il reste des inconnues : que penser des 700 000 bulletins confisqués par la police lors du scrutin ? Quel aurait été le taux de participation à un référendum légal ? Le réflexe légitimiste dans un pays où l’attachement aux institutions locales est beaucoup plus fort que celui aux institutions étatiques peut faire pencher nombre de Catalans vers l’indépendantisme, dès lors qu’ils perçoivent la Généralité et le Parlament en danger.

Les échauffourées de dimanche risquent bien d’avoir consommé une rupture entre l’opinion publique catalane et le reste du pays, offrant de sérieuses chances à l’indépendantisme de remporter la mise. L’erreur du chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, consiste précisément à avoir minoré la profondeur d’un mouvement qui plonge ses racines dans la mobilisation démocratique des classes moyennes, depuis plus de cent ans.

L’internationalisation de la question catalane

Question médiatique ensuite. Les images de policiers matraquant de vieilles dames ne sont généralement pas valorisantes pour un pouvoir en place. Les Européens assistent, consternés, à une scène violente dont ils comprennent mal les tenants et aboutissants, s’interrogeant sur les raisons qui ont pu mener à un tel gâchis.

Ces images ont renforcé la tendance victimiste du nationalisme catalan qui présente l’histoire comme celle d’un antagonisme séculaire entre une Catalogne persécutée, d’essence démocratique, et un État espagnol autoritaire par nature.

Il n’empêche qu’elles ont forcé des chefs d’État et l’Union européenne à réagir. Travaillée par une diplomatie espagnole efficace depuis de nombreuses années, l’Union ne s’est pas fait violence à considérer ce conflit comme du ressort de la politique intérieure espagnole, tenue qu’elle est de respecter la souveraineté des États membres. Ceci dit, la réalité régionale de l’Europe, si elle n’a pas de traduction institutionnelle dans l’Union – et pourquoi pas ? – inspire un grand nombre de peuples tels que les Flamands, les Écossais ou les Bavarois.

L’Union et les grands États craignent que le cas catalan s’étende comme une traînée de poudre à d’autres régions d’Europe : c’est méconnaître la nature du nationalisme qui dépend principalement de facteurs internes et n’est pas assimilable à une maladie contagieuse. Même en Espagne, on ne voit pas que les nationalismes basque, galicien ou andalou prennent ce chemin. Le premier, en particulier, en est revenu.

Mais quoi qu’il en soit, les catalanistes sont en passe de réussir à internationaliser la question catalane.

Le verrou du « patriotisme constitutionnel »

Question politique, finalement la plus importante. La perspective de l’indépendance a soulevé un réel enthousiasme au sein d’une partie de la population catalane : un horizon d’émancipation, d’affirmation d’un destin collectif, un espoir d’avenir.

Face à cela, le gouvernement espagnol n’offre pas d’alternative, sinon celle d’un respect de la Constitution de 1978, comme si l’histoire s’était arrêtée à un texte que la génération de la Transition démocratique a toujours considéré comme le fruit d’un compromis historique, résolvant les contradictions issues de la guerre civile.

On pourrait s’interroger sur la difficulté de Mariano Rajoy à réfléchir au-delà du cadre strict de la légalité et de l’intervention des forces de l’ordre – ce qui ne constitue pas une réponse politique au défi indépendantiste.

Il y a peut-être une part de calcul politique, dans la mesure où son mouvement, le Parti populaire, ne dispose pas de majorité aux Cortes : se poser en champion de l’unité de l’Espagne, c’est satisfaire son électorat qui réclame des sanctions. Est-ce aussi engranger un ample soutien populaire en vue de futures élections législatives ? Calcul dangereux mais plausible.

Mais cette espèce de « patriotisme constitutionnel » qui anime la droite espagnole et rend muette la gauche repose aussi sur une vision figée, voire fétichisée, de la Constitution de 1978. À ses origines, celle-ci était plus généreuse que la lecture que les gouvernements conservateurs ont développée depuis le milieu des années 1990.

Le recours de Mariano Rajoy déposé auprès du Tribunal constitutionnel en 2010, qui a mis en sommeil le Statut de la Catalogne pourtant approuvé par les Cortes, le Parlament et ratifié par un référendum populaire, a été vécu en Catalogne comme un déni démocratique. Dès lors, les catalanistes ont considéré que le pacte constitutionnel avait été rompu – d’où leur fuite en avant dans l’illégalité.

Sous le catalanisme, la République

Invoquer aujourd’hui la Constitution de 1978 comme un rempart de la paix civile a peu de chances d’être entendu des nouvelles générations d’Espagnols qui n’ont vécu ni le franquisme ni la Transition.

Ces derniers savent combien leurs parents et leurs grands-parents furent paralysés par la crainte d’un retour imminent de la guerre civile, une peur entretenue pour mieux borner l’horizon politique. En gagnant la démocratie, les Espagnols durent avaler la pilule de la monarchie qu’ils avaient reçue en héritage de Franco.

Aujourd’hui, les jeunes générations se débarrassent du fantôme de la guerre civile et envisagent de nouvelles options, telle que la République. L’opinion républicaine qui, il est vrai, n’a de traduction partisane qu’en Catalogne, traverse toute la société espagnole et le vieux rêve d’instauration d’une IIIe République, qu’on dit irréaliste, mine la légitimité de la royauté. À la question de l’indépendance catalane, sous le feu des projecteurs, est liée celle, sous-jacente, du régime que la classe politique n’ose pas poser.

Au fond, Mariano Rajoy a beau se poser en homme raisonnable ayant dépassé le stade enfantin du nationalisme, son problème demeure bien que le nationalisme espagnol, démonétisé par la dictature, peine aujourd’hui à rassembler en offrant une perspective politique aux Espagnols. Un certain désenchantement démocratique qui n’est pas le propre de l’Espagne est passé par là : le surgissement de Podemos et de Ciudadanos est un autre indice de la crise du système des partis traditionnels et de l’usure du régime issu de la Transition.

The ConversationLes catalanistes, en revanche, peuvent compter sur les ressorts d’un nationalisme mobilisateur qui propose un horizon démocratique de libération nationale. Ce n’est pas tant que le nationalisme espagnol soit condamné : il a, par le passé, offert de réels espoirs d’émancipation, notamment dans les années 1930 mais aussi dans les années 1980 et 1990. Il doit, par contre, se réinventer, au bénéfice de tous les Espagnols et au premier chef, des Catalans. À moins qu’après le 1er octobre, il ne soit déjà trop tard.

Stéphane Michonneau, Professeur en histoire contemporaine, Université Lille 3 – Université de Lille

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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  • 80% des enseignants sont de gauche dont 50% d’ extrême gauche, en Espagne comme en France. La propagande va bon train………

    Pour revenir à la situation actuelle il faut lire des journaux espagnols, les banques et les entrepreneurs catalans sont très inquiets, déjà des sièges sociaux commencent à quitter le navire, peu à peu la Catalogne va s’ enfoncer dans la crise économique…….Les anti capitalistes qui sont aux premères loges du séparatisme vont être contents.

  • cet article est plein d’approximation et ne reflete pas la realité espagnole. La Catalogne depuis l’epoque de Franco a beneficie´de larges subventions qui ont continue par la suite ne serait-ce que les jeux olympiques
    Hier les valeursbancaires ont perdu cinq points et les deux banques Sabadelle et Caixa envisagent de demenager
    Puigdemnt est un exalté qui a pris la balle au bond après l’inahabilitation de Mas. Il manque d’etoffe. Il repete en boucle des inepties
    Souhaites vous que demain la Bretagne fasse cessession après tant de siecle oou un quelconque territoire.
    Comme me disait hier un voisin les espagnols vont se manifester ´La parodie de referendum ne presente en rien les garanties legales pour un tel scrutin

  • Je suis stupéfait de voir la naïveté et l’ ignorance de certains libéraux. A l’ heure actuelle la grande majorité des milieux d’ affaires, banques et entrepreneurs catalans sont contre l’ indépendance…….Et qui sont les séparatistes??? Les anticapitalistes de tout poil, admirateurs de Castro et Maduro. La Catalogne depuis des années sous la houlette d’ enseignants socialo marxistes a réécris l’histoire Catalane en la déformant, en supprimant des pans entier de son histoire, en se victimisant et en accusant l’Espagne de tous les mots.
    Facile aujourd’hui pour les socialo-anar, les mêmes que chez nous, de récupérer la mise, en mettant cette jeunesse fragile dans la rue pour faire la révolution… question lavage de cerveau la gauche en connait un rayon.

    • Parce que vous pensez que les libéraux sont des représentants du MEDEF ? Vous confondez avec « les républicains ».

  • « Face à cela, le gouvernement espagnol n’offre pas d’alternative, sinon celle d’un respect de la Constitution de 1978, comme si l’histoire s’était arrêtée à un texte que la génération de la Transition démocratique a toujours considéré comme le fruit d’un compromis historique, résolvant les contradictions issues de la guerre civile. »

    Sauf que la Constitution espagnole n’est pas figée, elle peut être modifiée par des procédures prévues à cet effet, même pour octroyer le droit à l’autodétermination à une partie des membres de son territoire. Possibilité qui serait déclarée inconstitutionnelle dans tous les autres pays de l’UE.

    Article 1 (Titre préliminaire)
    1. L’Espagne se constitue en un État de droit social et démocratique qui proclame comme valeurs suprêmes de son ordre juridique la liberté, la justice, l’égalité et pluralisme politique.
    2. La souveraineté nationale réside dans le peuple espagnol duquel émanent les pouvoirs de l’État.

    Article 168
    1. Toute proposition visant à la révision totale de la Constitution ou à une révision partielle du titre préliminaire, du chapitre deux, section première du titre I ou du titre Il, sera approuvée, quant au principe, à la majorité des deux tiers des membres de chaque Chambre et l’on procédera à la dissolution immédiate des Cortes.
    2. Les Chambres élues devront ratifier la décision et procéder à l’étude du nouveau texte constitutionnel qui devra être approuvé par les deux Chambres à la majorité des deux tiers.
    3. Après avoir été approuvée par les Cortes générales, la révision sera soumise à ratification, par voie de référendum.

    Autrement dit, un vote portant sur une sécession territoriale tel que celui promu par le gouvernement catalan nécessiterait, pour être démocratique, la participation de tous les Espagnols, car eux seuls peuvent décider sur ce qui leur appartient : l’État et le territoire.

    • Pourquoi l’Espagne devrait-elle changer de constitution. Est-ce le fait de tous les pays européens.?
      Les grandes banques ont donné le ton en changeant leur siège social
      Tous les jours je regarde la prime de risque l’espagnole est inférieure à celle de lItalie
      En 2011 après plus de 7 ans du calamiteux ZP Rajoy a remis de ordre même s’il est mal vu par l’extrême droite de VOX et la télé intereconomie
      Podemos est l’extrême gauche exemplaire de Venezuela si chère à Mélenchon
      Más était de centre droit ministre des finances de Puyol, depuis que ce dernier est poursuivi par la justice il est allié avec l’extrême gauche en faveur de l’indépendance ce qui lui permettrait d’avoir une justice à sa botte
      Le reste est de la littérature
      La corruption est omniprésente à droite comme à gauche

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