Gaspard Koenig et Nicolas Gardères « Simplifions-nous la vie » 

ces deux auteurs proposent un bon livre qui doit, pour être plus solide, résoudre la contradiction entre les deux premiers éléments.

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Gaspard Koenig et Nicolas Gardères « Simplifions-nous la vie » 

Publié le 2 janvier 2022
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Un constat lucide sur la complexité administrative aux solutions trop lacunaires

On attendait le livre de ces deux auteurs depuis longtemps. Paru le 17 novembre 2021, Simplifions-nous la vie ! offre un juste constat sur les dangers de la complexité normative engendrés par une inflation législative générant un désordre normatif. Si le constat est juste, les solutions proposées, intéressantes cependant, souffrent de certaines lacunes.

Un constat juste : la complexité normative engendre des inégalités et affaiblit la cohérence de l’ordre juridique

Le livre commence fort avec la description de situations abracadabrantesques dignes d’un roman de Kafka.

Dès la page 15, les auteurs rappellent très justement :

« Face à la réglementation qui continue de s’accumuler, les artisans ont le choix entre deux formes de renoncement : le travail non déclaré et l’embauche par des grands groupes chargés de l’administratif ».

Ils montrent bien par la suite que la « complexité favorise le fort et écrase le faible » (page 21) et que, comme déjà évoqué dans divers articles, l’inflation normative amène un déficit d’exécution. De ce fait, « plus personne n’est capable de la respecter ». Page 26, les auteurs décrivent bien la maladie normative qui caractérise notre époque, celle où le zéro hasard est devenu un objectif politique conduisant le législateur à se perdre dans les détails des lois prévoyant un principe général, puis des exceptions, puis des nouvelles dérogations etc. qui nous enferment dans une cage d’acier (page 67).

Les auteurs expliquent ensuite que la complexité administrative voulue par une bureaucratisation omnipotente, centralisée, exclusive et paradoxalement impuissante, conduit à une insécurité normative qui « maintient les citoyens dans un état permanent de tension » (page 53). Dès lors, la simplification devient une question de justice sociale (page 52) qui plus est quand la complexité normative conduit à une myriade de statuts, « générateur de frustration et d’acrimonie ».

Les effets de l’inflation législative sont bien connus et ce livre permet de les illustrer. Elle a conduit à une instrumentalisation de la loi par le politique, amenant à une dépréciation de sa valeur dans la société. La mise en place au niveau rédactionnel de neutrons législatifs sans aucune charge législative certaine a obstrué et complexifié les textes normatifs, empêchant une bonne assimilation de ces derniers.

La multiplication des textes et leur plus grande complexité ont donc diminué leur assimilation et ont donc conduit à un déficit de leur exécution. Enfin, les lois sont le plus souvent frappées d’obsolescence du fait de leur inapplicabilité. L’activité incessante du législateur génère une baisse de la valeur  accordée à la loi. Aujourd’hui, le droit ne se découvre plus, il est produit d’en haut de manière centralisée.

Portalis disait déjà en 1801 :

« Les lois doivent être préparées avec une sage lenteur. Les États ne meurent pas, et il n’est pas expédient de faire tous les jours de nouvelles lois. »

Pour répondre à cela, les auteurs proposent le Projet Portalis.

Une projet de solution courageux mais lacunaire

Inspiré par l’un des plus grands juristes français de notre histoire, les auteurs tentent à leur manière de faire revivre le goût de la simplicité.

Jean-Étienne Marie Portalis est certainement le juriste qui a le plus marqué sa génération tant son œuvre, le Code civil, est le produit de la civilisation occidentale, reproduit et diffusé au reste du monde. Libéral classique, Portalis exprimait lui aussi le goût pour la simplicité normative. Les auteurs le rappellent très bien.

Se fondant sur son Discours préliminaire du 21 janvier 1801, ils rappellent la méthode Portalis dont l’objectif était clair : « tout simplifier » ; ses principes lumineux : « Les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois » ; son attitude modérée : « Nous nous sommes préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et de tout prévoir » ; sa méthode, implacable : « L’office de la loi est de fixer, par des grandes vues, les maximes générales du droit : d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions  qui peuvent naître dans chaque matière ». (page 76)

Le Code civil sera promulgué  le 21 mars 1804, véritable masse de granit du système napoléonien et chef-d’œuvre juridique jamais égalé.

C’est à partir de là que les auteurs dressent en cinq points le projet Portalis :

  1. Réduire les normes à des principes fondamentaux.
  2. Limiter le pouvoir des juges.
  3. Élaborer des contrats-type équilibrés et accessible à tous.
  4. Systématiser l’illustration et les outils de compréhension des normes.
  5. Créer des Maisons des Citoyens.

Sur ces cinq points, les trois derniers sont à développer dans l’immédiat, notamment pour améliorer la compréhension des normes, des lois, de la jurisprudence afin de permettre aux citoyens, aux professionnels de s’approprier les normes applicables à leurs situations.

Les deux premiers points sont ceux qui posent le plus de soucis.

Prenons les deux premiers, le premier étant ici lié au second. Il s’agit de réduire les normes aux principes fondamentaux de chaque matière juridique par la création d’un Code unique, intitulé la Loi et contenant 5000 articles de quelques lignes. Dans le même temps, il s’agit de réduire les pouvoirs du juge grâce aux MARL ou MARD (article 750-1 du Code de procédure civile). Et ensuite de limiter leurs pouvoirs aux seuls contrôles restreints de l’erreur manifeste d’appréciation, notion chère aux administrativistes.

Le problème ici est que le juge sera forcément enclin, et c’est sa fonction de juge, de créer du droit de manière supplétive bien que les auteurs limitent et canalisent cette fonction par les mécanismes cités ci-dessus.

Mais Portalis ne disait-il pas dans ce même discours préliminaire :

« Il est rare qu’il naisse des contestations sur l’application d’un texte précis. C’est toujours parce que la loi est obscure ou insuffisante, ou même parce qu’elle se tait, qu’il y a matière à litige. Il faut donc que le juge ne s’arrête jamais ».

Il ajoutait :

« Il faut donc laisser alors au juge la faculté de suppléer à la loi par les lumières naturelles de la droiture et du bon sens. Rien ne serait plus puéril que de vouloir prendre des précautions suffisantes pour qu’un juge n’eût jamais qu’un texte précis à appliquer ».

L’article par excellence auquel on pense est l’article 1382 du Code civil sur la responsabilité civile (aujourd’hui 1240), qui est une maxime générale, et que la jurisprudence de la Cour de cassation a interprété, fixé son régime général et qui n’a pas encore puisé toute sa richesse interprétative. Les principes fondamentaux appellent nécessairement une interprétation par le juge et une interprétation par les cours suprêmes, pour la fixer dans un système juridique décentralisé. L’avantage de la jurisprudence c’est qu’elle part d’une situation concrète avant d’être abstraite, elle est donc le résultat de prétentions individuelles.

Au final, ces deux auteurs proposent un bon livre qui doit, pour être plus solide, résoudre la contradiction entre les deux premiers éléments.

Voir le commentaire (1)

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  • Le marais législatif existe parce que pour chaque cas particulier on amende la loi ,quand on en crée pas une nouvelle…
    Cependant le simple « cadre législatif » souhaité donne de facto une grande latitude aux juges dans leurs décisions. Les juges n’étant « que » des hommes, avec leurs propres opinions et issus d’une formation « bien-pensante-de-gauche » (mur des cons, école de la magistrature avec une doxa nettement de gauche), mettant plus l’accent sur le futur bien-être de l’agresseur (avec l’objectif de le sauver, même de lui-même) que sur la juste réparation envers l’agressé (qui peut avoir été tué) et la société (déliquescence) , on se retrouve à considérer qu’il est préférable de les « brider » tant la jurisprudence prend par la suite le pas sur la loi et son esprit.
    Nulle alternance « politique » en ce sens. Ils n’ont, à ce jour, de compte à rendre à personne.
    C’est un constat mais quant à la solution ??
    Vouloir enlever le pouvoir aux politiques (qui devraient être plus facilement « déboulonnages ») pour le donner à des personnes formatées, non sujets à sanctions réelles, ne s’apparente pas pour autant à de la liberté.
    Au total ,et en pratique, le préambule à cette réforme législative souhaitable est de « tenir » les juges dans leurs dérives.

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