Comprendre la théorie sur les taux d’intérêts

Comprendre la théorie du taux d’intérêt est important pour saisir les cycles monétaires inflationnistes et déflationnistes.

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Comprendre la théorie sur les taux d’intérêts

Publié le 1 janvier 2022
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La théorie du taux d’intérêt naturel trouve ses fondements dans les travaux de l’économiste Knut Wicksell, un économiste suédois (1851-1926). Il est un des fondateurs de la macro-économie moderne.

Sa théorie inspira les premiers travaux de Lord Keynes, des économistes autrichiens et de certains théoriciens du déséquilibre monétaire. Comprendre la théorie du taux d’intérêt est important pour saisir les cycles monétaires inflationnistes et déflationnistes.

Description de la théorie du taux d’intérêt naturel

Avant Knut Wicksell, le concept de taux d’intérêt naturel est abordé dans l’ouvrage de Henry Thornton, An Inquiry into the Nature of the Paper Credit of Great Britain (1802) ; Knut Wicksell (1906) y fait notamment plusieurs fois références dans ses Lectures on Political Economy.

En quoi consiste donc le taux d’intérêt naturel ? Wicksell fait la distinction entre deux types de taux d’intérêt :

Celui qui est déterminé sur les marchés bancaires et financiers : le taux du marché

Celui qui est fixé dans un monde réel sans monnaie, ou taux d’intérêt d’équilibre : le taux naturel. Ce taux n’est pas observable dans la réalité, mais a fait l’objet de certaines études empiriques dans le but d’être approximé.

 

Au lieu de chercher à savoir si les prix élevés s’accompagnent de taux d’intérêt élevés ou bas, il aurait été bon d’élucider la signification réelle d’un taux d’intérêt élevé ou bas. On aurait alors pu constater qu’il s’agit d’une conception essentiellement relative et qu’il faut fournir une donnée supplémentaire, à savoir le niveau du taux naturel, avant de pouvoir déterminer si un taux d’intérêt particulier doit être considéré comme élevé ou comme faible.

 

Bien entendu, il n’y a pas un mais une multitude de taux d’intérêts dans la réalité.

Si le premier taux est déterminé par l’offre et la demande de monnaie, le second est fixé par des facteurs réels, c’est-à-dire pour lesquels la demande de fonds empruntables (projet d’investissement) coïncide avec l’offre de fonds empruntables (l’épargne volontaire). En effet, Wicksell étend la théorie des fonds prêtables des classiques aux questions monétaires : le marché du crédit n’est qu’un marché comme un autre, et l’offre et la demande sont équilibrés par le prix (le taux d’intérêt).

Pour Knut Wicksell, si les deux taux divergent, cela aura un effet sur le niveau des prix. Si le taux du marché tombe en dessous du taux naturel, l’investissement dépassera l’épargne, et le niveau des prix augmentera ; si le taux du marché est supérieur au taux naturel, le niveau des prix diminue.

Lorsque les deux taux sont égaux, les niveaux de l’épargne et de l’investissement sont égalisés. Cependant, la monnaie peut potentiellement s’immiscer dans le mécanisme des prix du taux d’intérêt : par un acte de création monétaire de la part de la Banque Centrale, les taux d’intérêts sur le marché peuvent être artificiellement plus bas que le taux naturel qui équilibre l’épargne et l’investissement. Par exemple, la création d’une nouvelle monnaie de crédit bancaire s’ajoute à l’offre actuelle d’épargne volontaire et pousse le taux d’intérêt du marché en dessous du taux (naturel) qui aurait autrement été maintenu. Ce faisant, la création de crédit bancaire modifie (par le biais de l’épargne forcée) l’ampleur et la direction des dépenses d’investissement et, par conséquent, réoriente le cours de l’activité économique réelle.

L’équilibre S (épargne) = I (investissement) est donc rompu. Que se passe-t-il dans ce cas ?

La divergence des taux

Nous l’avons vu, selon Knut Wicksell, une expansion non désirée du crédit bancaire n’a qu’un effet sur le niveau des prix.

Selon Keynes, dans A Tract for Monetary Stability (publié avant sa Théorie générale, et dans lequel il reste quelques liens avec la théorie de Knut Wicksell), celui-ci défend une assertion similaire, où l’action des taux d’intérêt influe sur le prix des actions et donc sur l’arbitrage entre préférence pour les bons et obligations et préférence pour la liquidité et, in fine, sur le prix des biens  :

Considérons maintenant un scénario parallèle, dans lequel les transactions sur les marchés de titres (reflétant des préférences changeantes pour la monnaie ou les obligations ou une combinaison couverte des deux) influent sur le processus d’ajustement. Dans ce contexte, supposons que l’activité commerciale normale entraîne une hausse du taux d’intérêt. Une réduction du prix des obligations (avec leur valeur de coupon fixe) diminue le risque de perte en capital. Comme les détenteurs d’actifs écartent de plus en plus la possibilité d’une perte en capital (c’est-à-dire lorsque le marché devient haussier), une préférence accrue pour les obligations exerce une pression à la baisse sur le taux d’intérêt du marché ; et, comme il tombe en dessous du taux naturel, il y a une demande excédentaire de produits de base. Les prix augmentent généralement.

Dans la séquence inverse (déflationniste), supposons que l’activité commerciale normale entraîne une baisse du taux d’intérêt. La hausse du prix des obligations (dont la valeur du coupon est fixe) augmente le risque de perte en capital. Lorsque les détenteurs d’actifs craignent de plus en plus la possibilité d’une perte en capital (c’est-à-dire lorsque le marché devient baissier), une préférence accrue pour la monnaie maintiendra le taux d’intérêt du marché au-dessus du taux naturel, ce qui implique une offre excédentaire de marchandises. Les prix baissent généralement. » G.R. Steele, Keynes and Hayek; The Money Economy

 

L’effet du taux d’intérêt est indirect car pour Keynes, la théorie des fonds prêtables des économistes classiques n’est pas valide. Il n’est pas réellement un mécanisme coordinateur entre l’épargne et l’investissement, ou du moins, pas le taux d’intérêt à long terme.

Soulignons également qu’à cette époque, Keynes était un partisan de la stabilité des prix, et que même plus tard, à l’époque où il écrit la Théorie générale, il n’est partisan de politique discrétionnaire et active que tant que le plein emploi des facteurs n’était pas atteint et qu’aucun risque d’une montée de l’inflation ne se faisait ressentir (à l’inverse de certains de ses élèves post-keynésiens, comme Joan Robinson).

 

La divergence des taux selon Hayek

Selon Hayek, une des raisons qui a pu conduire Wicksell à ne considérer que les effets nominaux est qu’il considérait une économie stationnaire, sans changement de productivité ou de l’offre de travail.

R. Stucken, dans sa Theorie der Konjunkturschtcankungen (Jena, 1926, p. 26) a été l’un des premiers à attirer l’attention sur le fait que la relation, indiquée par Wicksell, entre un taux d’intérêt monétaire s’écartant du taux naturel et les mouvements du niveau des prix n’existe que dans une économie stationnaire ; tandis que, si le flux de marchandises augmente, seul un supplément de pouvoir d’achat peut assurer la stabilité du niveau des prix.

Il reste cependant entièrement imprégné de l’opinion répandue selon laquelle un niveau de prix stable est indispensable à un développement économique non perturbé, et il estime donc que l’argent supplémentaire nécessaire pour assurer cette condition ne peut être considéré comme un élément de perturbation du processus économique.

De même, M. D. H. Robertson a fait remarquer à peu près à la même époque (Banking Policy and the Price Level, Londres, 1926, p. 99) que le taux d’intérêt qui maintient le niveau des prix stable ne doit pas nécessairement coïncider avec celui qui égalise l’offre d’épargne avec la demande de capital. Friedrich Hayek, Monetary Theory and The Trade Cycle

Sur les fondations posées par Wicksell, Ludwig von Mises, puis Friedrich Hayek, vont formuler la théorie autrichienne du cycle économique (ABCT), basée sur la théorie du capital de Eugen von Bohm-Bawerk (théorie du détour de production, comme l’était la théorie des taux de Wicksell) et la théorie monétaire de Richard Cantillon.

La diminution artificielle des taux de marché par les politiques monétaires expansionnistes de la Banque centrale occasionne des effets qui vont au-delà d’une simple augmentation des prix.

Il faut relever le fait que le taux d’intérêt est le prix du temps : c’est la manifestation de la préférence temporelle des individus. Le taux d’intérêt coordonne la structure de l’équilibre intertemporel entre les biens de consommation et les biens de capital. La manipulation des taux d’intérêts va donc entraîner des effets sur ce que Hayek appelle l’équilibre intertemporel, et troubler la coordination naturelle fournie par des taux d’intérêt non biaisés.

Les taux d’intérêts artificiellement bas vont occasionner plusieurs effets. Un taux d’intérêt artificiellement diminué entraîne une augmentation de l’investissement : cet investissement supplémentaire est financé par l’épargne forcée financée par la perte de pouvoir d’achat de la monnaie des derniers receveurs de la nouvelle monnaie. En effet, ceux-ci reçoivent la nouvelle monnaie après que celle-ci se soit diffusée dans l’économie en ayant fait monter les différents prix.

À l’inverse, les premiers détenteurs de la nouvelle monnaie créée (dans ce cas, ceux qui se voient allouer des prêts financés, non pas par de l’épargne volontaire, mais par création monétaire) voient leur pouvoir d’achat augmenter, car les prix n’augmenteront que lorsque la nouvelle monnaie sera dépensée et entrera dans l’économie. C’est ce qu’on appelle l’effet Cantillon. La monnaie n’est pas distribuée de manière automatique sur le compte des individus, comme si elle était jetée d’un hélicoptère ; et même si c’était le cas, il suffirait que certaines personnes la dépensent plus rapidement que d’autres pour engendrer des effets redistributifs réels. Les politiques monétaires expansionnistes ont donc des effets sur les prix relatifs (les prix des biens en termes d’autres biens).

Dans son livre Money, Inflation and Business Cycles, The Cantillon Effect and The Economy, Arkadiusz Sieron aborde plus en détails l’effet Cantillon : c’est-à-dire les effets redistributeurs occasionnés par la création monétaire. En effet, la monnaie n’est pas distribuée par hélicoptère monétaire. Elle entre par des circuits en particulier de l’économie, et finit par bénéficier à ses premiers détenteurs (ou plutôt dépenseurs), car les prix n’ont pas encore augmentés. C’est lorsque la monnaie entre dans l’économie que l’inflation augmente et que la structure des prix relatifs est modifiée (Arkadiusz nous en fait un historique).

Le livre revient sur les différentes manières de comprendre les concepts de neutralité de la monnaie, en revenant sur ce qui détermine la non-neutralité pour les autres écoles (rigidité des prix ou asymétrie de l’information, par exemple) ; présente une vue des différents auteurs, des premiers classiques jusqu’aux représentants des écoles d’aujourd’hui ; classifie les différents types d’effets Cantillon (nommé par Mark Blaug pour qualifier les first-round effect).

Il en profite pour montrer les différentes façons dont la structure des taux d’intérêts peuvent être affectés (et pourquoi l’inflation se fait moins ressortir lorsque la monnaie passe par l’achat direct d’actifs plutôt que par l’accroissement des prêts bancaires), ou pourquoi même des pays avec des politiques monétaires saines finissent par voir l’expansion monétaire se propager vers eux, via l’influence des taux d’intérêts sur les taux de change et les flux de capitaux. Il en profite pour placer l’Effet Cantillon comme un outil supplémentaire au choix public pour comprendre l’existence de la politique monétaire comme phénomène de capture de rente.

 

Une complémentarité entre les cycles autrichiens et monétaristes

Le taux d’intérêt naturel et le taux de chômage naturel, pour Larry  J. Sechrest, sont deux notions qui trouvent leurs origines, d’un côté chez Knut Wicksell (qui se fonde sur la théorie du capital de Bohm-Bawerk) et de l’autre chez Milton Friedman, et qui peuvent être complémentaires. La conceptualisation plus récente du taux naturel de chômage est parallèle à celle du taux d’intérêt naturel. En éloignant le taux du marché du taux naturel, la monnaie n’est pas neutre. En résumé, l’expansion du crédit bancaire stimule les investissements en capital, mais son biais particulier en faveur des projets de longue haleine ne peut être maintenu en raison des pénuries toujours croissantes de biens de consommation (comme décrit par les économistes Autrichiens).

Pour les économistes monétaristes, la demande de monnaie est stable. Ainsi, toute fluctuation importante de la masse monétaire est susceptible d’entraîner un déséquilibre monétaire et de provoquer des perturbations macroéconomiques. Les cycles économiques commencent par une augmentation de la masse monétaire telle que celle-ci dépasse la demande de monnaie au niveau de prix existant. Au fur et à mesure que les détenteurs de monnaie dépensent leurs excédents de liquidités, les prix augmentent.

Si le taux d’inflation réel qui en résulte est supérieur au taux d’inflation prévu par les travailleurs, les taux de salaire réels baissent, la demande de main-d’œuvre augmente et le chômage tombe en dessous du taux naturel, en supposant que les taux de salaire nominaux soient augmentés d’un montant inférieur au taux d’inflation réel.

Afin de maintenir le faible taux de chômage, le taux de croissance de la monnaie et, par conséquent, le taux d’inflation doivent non seulement continuer, mais s’accélérer. Les autorités monétaires finiront par s’inquiéter de la montée rapide de l’inflation et commenceront à réduire le taux de croissance de la monnaie (si elles ne le font pas, l’hyperinflation est inévitable).

Au fur et à mesure que la croissance de la monnaie ralentit, le taux d’inflation diminue. Cela trompe les travailleurs dans la direction opposée. Le taux d’inflation réel est inférieur au taux anticipé, les taux de salaire réels augmentent et le chômage augmente. Pour bénéficier temporairement d’un faible taux de chômage, la société doit d’abord subir une inflation croissante puis, plus tard, un chômage élevé. L’expansion nécessite la contraction. La stabilité est retrouvée lorsque le taux de chômage réel est à nouveau égal au taux de chômage naturel.

Pour toute personne qui connaît la théorie autrichienne du cycle, celui-ci verra d’importantes similitudes avec la réfutation de la Courbe de Phillips par les anticipations adaptatives décrite ci-dessus.

Voilà comment le cycle inflationniste est initié. Pour avoir une plus ample idée de ce qui se passe durant le cycle décrit par la théorie Autrichienne, j’invite le lecteur curieux à lire les prochains articles qui sont prévus sur le sujet, ou ceux qui l’abordent déjà.

 

 

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  • Bel exposé qui démontre à quel point les économistes travaillent dans un monde virtuel: les individus ne sont que des robots qui répondent de manière prédéterminées aux stimulis positifs et négatifs. Pas de notions de dépenses contraintes, d’épargne de précaution, ….
    De plus je ne vois pas que l’épargne volontaire prêtable n’a plus beaucoup d’utilités puisque les banques commerciales font de la création monétaire avec leurs prêts qui créent une demande largement supérieur à la capacité économique collective. Encore un effet de levier sur base de cette épargne et tout le monde sait bien que les effets de levier sont organisés pour satisfaire la cupidité et que le résultat est rarement bon

  • On doit pouvoir encore simplifier ces théories. Dans un monde idéal épargne = investissement car qui serait assez bête pour sacrifier sa consommation immédiat sans qu’il en tire un avantage ultérieur. Le problème commence lorsque les manipulations monétaires et fiscales ponctionnent cette épargne pour la transformer en consommation immédiate (par une des formes de la redistribution). Il en résulte un déficit d’investissement et donc une croissance moindre. Et quand l’état se pique d’investir (directement ou en orientant par la réglementation et les subventions), ce qu’il fait en réalité très peu, il le fait le plus souvent en choisissant le mauvais cheval et en asséchant encore plus les possibilités de « bon » investissement.
    La création monétaire par les banques ordinaires ne perturbe pas le schéma idéal, elle opère simplement un lissage dans le temps et elle facilite les ajustements. Car une banque sérieuse ne prête que pour un projet qui permettra de rembourser le prêt par sa création matérielle ultérieure. La monnaie ainsi créée a donc vocation à se détruire assez vite ensuite (et la masse monétaire suit le niveau de production en reflétant toujours ainsi le stock de projets en cours). Il n’y a donc pas ponction sur l’économie contrairement à ce qui se passe lorsque la dette est publique, jamais remboursée (au mieux roulée) et immédiatement dépensée par des états l’utilisant en complément aux impôts.

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