Interdiction du bitcoin en Inde : une ineptie

Un projet de loi devrait interdire l’usage et la circulation des cybermonnaies privées, laissant le champ libre pour la cyber-roupie que prévoit ce gouvernement, vers la fin de 2021. 

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Indian Prime Minister Narendra Modi By: Foreign and Commonwealth Office - CC BY 2.0

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Interdiction du bitcoin en Inde : une ineptie

Publié le 3 décembre 2021
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Par Jean-Pierre Chamoux.

Le Premier ministre indien, M. Narendra Modi, vient d’annoncer que les cybermonnaies comme le bitcoin ou l’ether, seront prochainement proscrites en Inde ; et que la monnaie nationale, la roupie, circulera bientôt sous forme électronique.

Un projet de loi devrait interdire l’usage et la circulation des cybermonnaies privées, laissant le champ libre à l’introduction de la cyber-roupie que prévoit ce gouvernement, vers la fin de 2021.

Modi est coutumier du fait : son interdiction soudaine des cybermonnaies prolonge sa décision du 9 novembre 2016, deux ans et demi après sa prise de fonction en mai 2014. Son gouvernement retira brutalement de la circulation les billets de 500 et de 1000 roupies, sous prétexte que ces billets facilitent la fraude fiscale.

Le gouvernement indien : un faux-monnayeur ?

En annulant ces billets qui constituaient l’épargne de nombreuses familles modestes démunies de tout compte bancaire, M. Modi spolia une population laborieuse, pauvre et souvent rurale ! Cette manœuvre reproduisait la démonétisation des mêmes billets de banque supprimés en 1978 par son lointain prédécesseur, M. Desai.

La méthode expéditive de M. Modi devrait nous surprendre : superficiellement, elle rappelle celle des communistes chinois qui mettent brutalement sous tutelle entreprises, financiers et entrepreneurs et multiplient les oukases du gouvernement central. Ces dernier mois, l’usage et le minage de toute cybermonnaie ont été interdits en Chine et les mineurs de bitcoin sont condamnés à l’exil, notamment vers l’Amérique, ce qui est un comble.

La Chine n’est pas l’Inde

Or l’Inde n’est pas la Chine, elle en est même l’exact contraire. Tout le prouve : ce sont des ennemis héréditaires. De fait, l’Inde est une grande et vraie démocratie, active, entreprenante, moderne et inventive. Mais une démocratie qui traîne des tares héritées de son histoire : une énorme bureaucratie gangrenée, il est vrai, par une corruption endémique.

Gigantesque pays, cette fédération comprend une trentaine d’États fédérés et des territoires d’une très grande variété, tant en termes de population que de géographie, de climat et de développement : 200 millions d’habitants en Uttar Pradesh au nord ; un million d’habitants dans le territoire de Pondichéry au sud-est ; dix-huit millions d’habitants dans l’agglomération de Bombay à l’ouest, la capitale économique de l’Inde.

Bien que soumis à de fortes tensions religieuses (entre hindous, musulmans et chrétiens, notamment), ce grand pays se divise entre castes et entre ethnies diverses ; on y parle aussi de très nombreuses langues. En bref : ce sous-continent est l’une des zones les plus vivantes et, finalement, les plus libres du monde actuel.

Soutenir les Trente glorieuses de l’Inde

La croissance indienne d’aujourd’hui (5 à 8 % l’an récemment, malgré le covid) est portée par une classe moyenne qui égale, voire surpasse celle de nos pays d’Europe occidentale par son éducation, son inventivité et sa capacité d’initiative : 80 à 100 million d’Indiens, au bas mot, égalent ou dépassent la France, l’Allemagne ou l’Italie en termes de pouvoir d’achat, de compétitivité et même de bien-être.

Ce n’est pas en spoliant l’épargne liquide de sa population laborieuse, comme l’a fait M. Modi il y a cinq ans, ni en interdisant à sa classe moyenne entreprenante d’investir son épargne dans des cryptomonnaies qui pourraient protéger une partie de leurs biens contre l’inflation de la monnaie publique, que l’Inde relancera sa croissance.

Au contraire, pareilles vexations ne peuvent que susciter la rogne, la triche et la discorde civile et ce n’est pas ainsi que Modi, l’implacable nationaliste hindou, vaincra les difficultés de cette très grande et très diverse fédération qui constitue le plus grand pays libre et bientôt le pays le plus peuplé du monde actuel.

Pour conclure, je reprends ces mots de l’économiste libéral Steve Hanke, qui n’est guère suspect de collusion avec les geeks qui animent les cyber-monnaies :

En cassant la confiance dans la monnaie publique et dans sa banque centrale, on ouvre un boulevard aux monnaies privées (comme bitcoin).

Quel mouche a donc piqué M. Modi ? Voudrait-il donner des leçons à son prédécesseur, M. Singh, un économiste apprécié par la finance mondiale, qui n’avait pas démérité lors de la grande crise des années 2007 à 2009, qui rappelle le souvenir de notre Premier ministre Raymond Barre que le président Giscard d’Estaing avait qualifié publiquement : le « meilleur économiste de France » à la fin des années 1970 ?

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Créer un compte Tous les commentaires (14)
  • Toutes sortes de rêveurs ont pensé que les monnaies numériques pourraient court-circuiter les monnaies fiat et offrir une indépendance de l’état.
    Ils ont juste oublié une chose fondamentale: les « fournisseurs d’accès » sont le passage obligé de tout paquet numérique et ils sont très facilement contrôlables par l’état. J’avais prédit que le jour où ces monnaies dérangeraient les Léviathans ceux-ci fermeraient simplement les robinets. Chine, Inde, en projet dans l’UE etc.
    Croire dans les monnaies numériques pour s’affranchir de l’état, c’est comme confier sont or au Reichstag en 1933 et espérer pouvoir s’en sortir.

    • >les « fournisseurs d’accès » sont le passage obligé de tout paquet numérique et ils sont très facilement contrôlables par l’état: vous attribuez à l’état des capacités qu’ils n’ont même pas. Ce que vous décrivez s’appelle du DPI et on a déjà bien du mal à gérer la surveillance numérique d’une bête PME, alors un état, vous n’y pensez même pas. La seule chose que peut faire l’état, c’est juste mettre la pression sur les Exchangers et pisser toujours plus de restrictions dont tout le monde se moque. Tout le reste n’est que de la fumisterie, voir juste du fantasme.

      • Vous parlez de l’état français qui semble totalement impuissant mais c’est seulement dans les domaines qui l’arrangent ou ne le dérangent pas. Quand le sujet est crucial pour lui comme la fiscalité, il est par contre redoutablement efficace.
        Le jour où ces monnaies dérangent l’état, stopper les paquets bitcoin est technologiquement extrêmement facile comme l’ont montré la Chine et d’autres pays. Il suffit d’avoir des appareils chez les fournisseurs qui sniffent et bloquent les paquets, vous pouvez même avoir l’origine des paquets et coller ceux qui s’amusent à ça en prison. Les 1000 arrestations en Chine c’était juste pour envoyer un signal aux autres mais ça pourrait bien se durcir.
        .
        Je ne fais qu’énoncer une réalité.

        • Cryptage, encapsulation http et VPN sont quand même des outils vachement efficaces. Même la Chine ne voudrait pas bloquer les paiements sécurisés sur le web, qui sont alors indistinguables de ce genre d’échanges. Mais c’est sûr que ça complique les échanges bitcoins dans la vie de tous les jours, et c’est la principale source de recette fiscale.

        • Vous parlez de surveillance de masse, un truc qui coûterait une blinde, techniquement très difficile à mettre en oeuvre et généralement très loin de tout ce que l’on peut voir dans les séries à la télé. Le côté, « il suffit de mettre des appareils chez les FAI » représente un challenge technique dont vous n’avez même pas idée. Un de ces « appareils » les plus performants comme vous dites est capable au mieux de gérer efficacement juste 1 à 2 mégabits de données au maximum. 10 mb si l’on veut une surveillance basique, et je ne parle même pas d’interception. Donc, je vous laisse faire l’addition de ce que cela représenterai pour inspecter et ou intercepter l’ensemble du backbone francais. C’est peine perdu et surtout cela reviendrait à des milliards d’euros pour rapporter des cacahuètes.

          Je ne fais qu’énoncer la réalité technique. Et pour votre information, j’installe justement ce genre de chose dans les entreprises, c’est mon métier.

  • « En annulant ces billets qui constituaient l’épargne de nombreuses familles modestes démunies de tout compte bancaire, M. Modi spolia une population laborieuse, pauvre et souvent rurale. »

    Il n’a pas annulé ces billets il a imposé leur échange avec contrôle de l’origine. Les familles modestes ont simplement changé de couleur de coupure moyennant j’imagine quelques jours de chaos.

    • Et moyennant une déclaration à l’Etat avec qq redressement fiscaux à n’en pas douter… Il n’y a pas de petits profits étatiques à négliger.

  • mis à part le fait que le bitcoin peut jouer au yoyo sans quelque « modération » que ce soit

  • Le bitcoin peut lui aussi jouer le rôle de spoliateur. . .

  • Cela prouve que la suppression des gros billets n’a été qu’un coup d’épée dans l’eau comme toute mesure étatique de contrôle de l’argent des autres ne touchant que les petits épargnants.
    Une bonne partie des indiens se sont reportés sur les cybermonnaies pour échapper aux griffes tentaculaires de l’Etat.
    Conséquences et bis repetitas, suppression des cybermonnaies par l’Etat! Ce qui est quand même plus difficile et n’empêchera pas d’en acquérir en contournant les interdictions ou à l’étranger.

    Enfin, cela poussera les indiens à stocker leurs réserves de cash en devises étrangères.
    Et ce n’est pas la convertibilité partielle de la roupie limitée par de multiples entraves étatiques qui l’empêchera. Cela ne fera que majorer un peu le prix de ces devises sur le marché noir.
    A l’époque de l’Union soviétique, la non convertibilité du rouble n’a jamais empêché un marché parallèle au noir de devises étrangères et du dollar en particulier. Et c’est le cas dans tous les pays dont la monnaie n’est pas convertible.

    • Oui, mais le marché noir ne les a pas sortis de la misère, ça leur a juste permis de survivre. Il y a un monde entre être libre et gratter quelques miettes pour survivre.
      Si les états totalitaires tapent maintenant sur les monnaies numériques c’est parce qu’ils appellent de leurs vœux le remplacement du cash par du numérique parce que cette monnaie passe par des tuyaux facilement contrôlables: un bouton et vous êtes pauvres.

  • Ce sont plus les banques et les grandes corporations qui voient le bitcoin d’un mauvais œil. Les états se soucient surtout de la fiscalité et du manque à gagner mais il y a aussi un soucis de contrôle qui est présent.
    Pour les premiers, le but et de préserver leur petit prés carré. Il faut éviter que le péquin moyen accumule même un peu de richesse en dehors des circuits traditionnels. Cela veut dire que Jo Shmo avec un compte bitcoin gagne en pouvoir décisionnel, donc en autonomie et donc en liberté. Nos « élites » n’aiment pas du tout ça.

    • J’ai oublié de mentionner également un petite expérience que j’ai conduit il y a quelques semaines. J’ai tapé bitcoin dans google; tout ce que vous aurez sont des articles qui traitent du sujet. J’ai fait la même requête sur DuckDuckGo, la première entrée était le site de bitcoin.

      Cela a du se voir car ceci a été rectifié depuis sur Google. Leurs algorithmes ont parfois des comportements bien étranges.

  • Les commentaires sont fermés.

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