Inspiration4, premier vol d’un albatros dans l’espace

Inspiration4 signe le début d’une entreprise de rentabilisation d’équipements pour aller à la surface de la Lune et sur Mars.

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Inspiration4, premier vol d’un albatros dans l’espace

Publié le 16 septembre 2021
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Par Pierre Brisson.

Ce 15 septembre (en Europe 16 septembre, 2 h), la société d’Elon Musk, SpaceX, lance le premier voyage dans l’espace à objet purement touristique. C’est une première bien différente des petits sauts en altitude effectués par Richard Branson le 11 juillet puis de Jeff Bezos le 20 juillet. C’est aussi le début d’une entreprise de rentabilisation d’équipements qui doit permettre d’aller pour moins cher à la surface de la Lune et surtout, aussitôt que possible, sur Mars.

Richard Branson et Jeff Bezos n’ont séjourné en altitude, au-dessus de la maintenant fameuse ligne de Karman qui marque la limite entre le domaine de l’aviation et l’espace, que trois ou quatre minutes. Et encore, si l’on peut dire que c’est bien le cas pour Jeff Bezos, ce n’est pas tout à fait vrai pour Richard Branson qui a utilisé une définition ancienne et aujourd’hui un peu abusive de cette ligne. Toujours est-il que 50 miles (environ 80 km) pour le premier et 107 km pour le second c’est vraiment un minimum.

L’ingénieur et physicien hongro-américain Theodore Von Karman (décédé en 1963) estimait que la limite devait être déterminée par une densité de l’atmosphère ne pouvant plus permettre un contrôle aérodynamique des aéronefs. Cette limite est bien évidemment floue, car largement dépendante de la technologie ; elle a fluctué entre 80 et 100 km. Aujourd’hui, une meilleure définition pourrait être 150 km, c’est-à-dire l’altitude à partir de laquelle un tour de la Terre n’est pas possible sans propulsion (en raison du freinage de l’atmosphère résiduelle).

Inspiration4, un vol plus ambitieux que ceux de Bezos et Branson

Avec SpaceX, on entre dans la « cour des grands » puisqu’il s’agit de tourner autour de la Terre à 575 km d’altitude (apogée), c’est-à-dire bien au-dessus des 420 km de la Station Spatiale Internationale (ISS) et encore au-dessus des 540 km du télescope Hubble. Là-haut on est vraiment dans le domaine que les hommes de l’astronautique appellent LEO (Low Earth Orbit), celui où évoluent les vaisseaux qu’ensuite on envoie dans l’espace profond. Cette altitude a un gros avantage, elle permet une orbite stable. Une fois qu’il y est placé, un satellite peut sans problème tourner plusieurs jours sans propulsion autour de la Terre.

C’est exactement ce que va faire la capsule Dragon « Resilience » de SpaceX qui va orbiter pendant 72 heures. Cela va en faire des « tours du monde » (avec levers et couchers de Soleil), puisqu’à cette altitude on parcourt une orbite en 90 minutes (à la vitesse de 28 000 km/h) ! Jules Verne n’aurait jamais imaginé une telle prouesse ! À leur retour, après tous ces km parcourus, les astronautes ne seront pas dépaysés, car ils seront tout près de leur point de départ. En effet ils décolleront de Cap Canaveral en empruntant la magnifique et futuriste tour d’accès utilisée par les passagers pour l’ISS et reviendront dans l’Océan, un peu au large de la côte du même état (Floride), donc peut-être un peu mouillés (les Américains parlent joliment de « splash down »).

Sur le plan technique rien de bien difficile pour SpaceX puisque trois capsules capsule Dragon (Resilience, Endeavour et CRS-23) sont déjà allées et revenues de l’ISS, les deux premières avec équipage. Resilience était en charge du premier vol, que l’on a appelé « Crew-1 ». Par ailleurs, il n’y aura pas de manœuvre de docking (arrimage) à l’ISS, ce qui est toujours « délicat » bien qu’on l’ait pratiquée de nombreuses fois (si on accélère on s’élève, si on freine on redescend !).

Le lanceur sera également une fusée qui n’a plus à faire ses preuves puisqu’il s’agit d’un « Falcon-9 block-5 », lanceur de puissance moyenne (ce n’est pas le Falcon Heavy, ni bien sûr le Starship) composé de deux étages, le « B1062 » qui a déjà volé deux fois. Car, vous l’avez compris, la capsule et le lanceur sont réutilisables donc moins cher et… moins polluants que les fusées concurrentes (notamment hélas, les européennes d’Arianespace !). Bon ! Le carburant n’est pas très « propre » puisqu’il s’agit de kérosène (qui brûle dans de l’oxygène), mais on ne fait pas (encore) de vols de ce type tous les jours et l’impact environnemental est, de ce fait, microscopique !

Que vont faire les quatre touristes pendant le vol. Certainement pas grand-chose (même si on leur a trouvé des occupations gadgets), mais ils vont bien profiter de la vue et du spectacle de la Terre, énorme bulle bleue et vivante de toutes les lumières de la civilisation, en contraste avec le disque lumineux et mort de la Lune, les deux se détachant avec une netteté inconnue au sol (puisque « coconnée » ou si l’on vent « adoucie » par notre atmosphère) sur le ciel noir parsemé de tous les petits brillants des étoiles.

En effet, astucieusement, SpaceX a remplacé le système de docking placé dans le nez de la capsule (qui s’ouvre en pivotant sur une charnière), par un dôme de verre magnifique, d’une seule pièce, auquel les astronautes auront accès à deux ou trois à la fois (car bien que le plus grand de son genre, il ne fait que 80 cm de diamètre). Ce dôme complétera donc les deux hublots latéraux qui seront bien sûr maintenus. Car il faut bien noter que Resilience volera encore et sans doute retournera-t-il jusqu’à l’ISS ; il suffira de remplacer le dôme par l’équipement de docking qui a été soigneusement conservé.

Petit bémol pour le tourisme, les radiations. À cette altitude on est moins protégé que plus bas et mon ami l’astronaute suisse Claude Nicollier, qui est celui qui a physiquement sauvé Hubble de sa myopie en venant lui poser « des lunettes » en 1993, m’a raconté que pendant qu’il travaillait en dehors de la Navette à cette réparation délicate, il a ressenti plusieurs fois une sensation d’éclair dans les yeux, effet du passage de ces radiations (sans doute des protons solaires). J’espère que les passagers n’en garderont pas un mauvais souvenir. De toute façon, sur une durée de trois jours, ils n’ont aucun souci de santé à se faire pour cette raison.

De nouvelles possibilités technologiques

Avec ce premier séjour touristique dans l’espace on entre vraiment dans la marche vers la rentabilisation des vols annexes de SpaceX. J’emploie le terme « annexe », car le but d’Elon Musk est d’aller sur Mars. Ces vols (sans parler du séjour) vont coûter d’autant plus cher qu’ils seront rares, car on ne peut partir vers Mars que pendant un mois tous les 26 mois (fenêtre de lancement résultant de l’évolution différente des planètes l’une par rapport à l’autre sur leur orbite) et que le retour ne pourra être achevé que 30 mois après (même type de contrainte au départ de Mars). Ceci veut dire que des vaisseaux partis au mois « n » ne pourront être réutilisés une deuxième fois pour un départ pendant la fenêtre suivante (n+26).

Donc on devra pouvoir disposer de beaucoup de vaisseaux pour peu de vols et il faudra trouver des utilisations en période de non-utilisation pour Mars. NB : je parle ici des futurs Starships, mais l’économie de SpaceX forme un tout. Ces utilisations seront évidemment la desserte de l’ISS (tant qu’elle existera !), mais ce pourra être aussi des voyages vers la Lune ou des voyages ultrarapides pour aller d’un point du globe à une destination diamétralement opposée (New York – Sydney), ou des vols touristiques du type d’Inspiration4.

Un jour on pourra avoir une station spatiale établie autour d’un point de Lagrange terrestre (L5 ?), comme le magnifique double tore de 2001 Odyssée de l’Espace, où des personnes, forcément « aisées », viendront passer leurs vacances loin des tumultes de la Terre pour quelques dizaines de milliers de dollars par personne (avec sans doute des forfaits « famille » ou « lune de miel »). Les prix dépendront de l’offre et de la demande et j’espère que la société SpaceX pourra dégager une belle marge, car elle en aura besoin !

À noter que pour ce vol inaugural, le contributeur principal est Jared Isaacman, fondateur, actionnaire principal et CEO de « Shift4Payments » une société de traitement de paiements en ligne américaine, très prospère. Ce sera le commandant de bord, car c’est le principal financier de la mission et un pilote très expérimenté. Sian Proctor sera lui le pilote en titre. Il en faut, car il y aura quand même quelques manœuvres à faire une fois en orbite, ne serait-ce que les corrections d’attitude, mais aussi l’engagement dans la descente vers la surface de la Terre puis le déploiement des parachutes.

Deux passagers sans aucune compétence « aéronautique » les accompagneront, une assistante médicale de l’hôpital pour enfants, Saint Jude, Hayley Arceneaux, et Chris Sembroski un vétéran de l’US Air Force, spécialiste du traitement de données informatiques. Ces deux-là sont des invités qui n’ont pas payé leur place. La présence de Hayley se justifie, car elle est rescapée d’un cancer qu’elle a eu pendant son enfance et la mission va servir à lever des fonds pour son hôpital qui est spécialisé dans les cancers pédiatriques.

Le vol Inspiration4 me fait un peu penser à celui de l’Albatros, cet oiseau gigantesque et plus puissant que les autres qui parcourt des milliers de km sans jamais se poser. À côté de lui, les petites incursions en altitude de Virgin Galactics ou de Blue Origin sont des vols de mouette.

 

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