Par Gérard-Michel Thermeau.
The Wolf ou Le Loup tel est le titre de la série chinoise qui inaugure cette série d’articles. La méchante Covid et les confinements, couvre-feux et autres joyeusetés des temps de pandémie m’ont fait plonger l’an dernier dans l’univers des séries asiatiques.
J’avais consacré il y a plus d’un an deux articles détaillés à la série The Untamed qui avait remporté un succès au-delà des frontières habituelles de l’Asie orientale. Cette série offrait des réflexions intéressantes sur la liberté individuelle. Elle donnait aussi une vision critique des monde des arts martiaux et des figures du pouvoir.
Le monde pléthorique des séries chinoises
Depuis j’ai eu l’occasion de regarder plusieurs séries relevant plus ou moins du wuxia. La production chinoise est pléthorique et relève de genres divers. Beaucoup sont des romances à l’eau de rose situées dans la Chine d’aujourd’hui. D’autres relèvent du film policier etc. comme partout ailleurs.
Mais pour un Occidental, ce sont les séries situées dans le passé chinois qui offrent le plus grand dépaysement. Je laisserai de côté les séries ayant pour cadre la Chine du siècle dernier, exaltant la lutte contre les méchants Japonais ou l’ascension du glorieux Parti unique.
Voici au hasard de mes visions cinq séries qui ont toutes connu un certain succès et même un succès certain sans aucune prétention d’exhaustivité.
Les séries chinoises situées dans le passé impérial supposent cependant un bon entrainement. Elles comptent d’ordinaire une cinquantaine d’épisodes, un grand nombre de personnages qui, non contents de porter des noms chinois, sont désignés de trois façons différentes. Les dialogues sont surabondants et les sous-titres trop longs souvent impossibles à lire. Le mandarin n’est visiblement pas facile à traduire dans nos langues occidentales. Un personnage dit trois mots et une phrase interminable en anglais est supposée en donner l’équivalent.
De l’Indompté au Loup
Ajoutons que la plupart des intrigues reposent sur des éléments du passé qui sont invoqués à grands coups de flash-back où les personnages sont incarnés par d’autres acteurs. Bref, on peut se paumer facilement dans le dédale des histoires racontées. D’un autre côté, soucieux de ne pas trop perdre le public, les personnages font régulièrement le point sur l’action et ses tenants et aboutissants. N’empêche, mieux vaut regarder deux fois une série chinoise pour vraiment tout comprendre. Le seul problème est que l’on n’a pas toujours envie de revoir ladite série. The Untamed ou l’Indompté offre un étalon de mesure redoutable. Je m’en suis rendu compte en regardant The Wolf.
L’acteur Xiao Zhan était devenu du jour au lendemain une star. Un scandale internet avait beaucoup agité les esprits. La pandémie ayant perturbé les tournages et les sorties des séries annoncées, beaucoup se demandaient s’il ne s’agissait pas d’une étoile filante. L’année 2020 l’avait à la fois rendu célèbre et fragilisé. L’année 2021 a confirmé semble-t-il son statut de star. Mais avant de triompher dans Douluo Continent, série dont je parlerai dans le prochain article, son nom a été associé à The Wolf.
The Wolf ou Mowgli chez les hommes
Après bien des bruits et des rumeurs contradictoires, la série The Wolf, tournée avant The Untamed, a fini par être publiée sur youtube. J’ai suivi du mois de novembre 2020 à début janvier 2021, au rythme de six épisodes hebdomadaires, cette très longue série selon les habitudes chinoises, 49 épisodes contre 50 pour The Untamed. Les sous-titres internationaux n’existaient alors qu’en anglais et en espagnol. Depuis, une chaine de MZTV sur youtube, Le Cinéma français en VOSTFR, s’est prise à proposer une version avec des sous-titres français. Bien que Xiao Zhan ne joue qu’un rôle secondaire et n’apparaisse pas dans les premiers épisodes, le battage médiatique s’est fait sur son nom.
Comme ne l’indique pas le titre original, Le Loup, cette série a pour protagoniste non pas un quadrupède à poils qui a eu longtemps mauvaise réputation dans nos contrées, mais un humain élevé par les loups. Précisons tout de suite que les effets spéciaux numériques calamiteux ne donnent aucune crédibilité aux loups en question pas plus qu’à des papillons qui jouent leur rôle dans notre intrigue. Mowgli à la sauce pékinoise, le louveteau bipède a connu le bonheur et le malheur de rencontrer une jeune princesse chinoise. Mais victime de la cruauté humaine, il disparaît dans un gouffre et tout le monde le croit mort. C’est une fâcheuse habitude des personnages de wuxia de tomber dans le vide et d’en réchapper miraculeusement.
Louveteau devient le Prince Bo
En effet, il a été recueilli par l’empereur de Yang qui va en faire un instrument de destruction à son service. Louveteau (Wolfie) devient ainsi le prince Bo (Lord Bo) (interprété par le ténébreux Darren Wang) et le troisième fils du cruel Chu Kui. Mais le destin va placer de nouveau sur son chemin la demoiselle de sa jeunesse qu’il n’a jamais cesser d’aimer. Cependant cette belle princesse, enjeu à la fois politique et amoureux, est également aimée par le fils cadet du roi de Jin, le mystérieux Ji Chong (Xiao Zhan). Cette Ma Zhai Xing (Li Qin) est la réelle protagoniste de l’histoire, douée pour faire le maheur de tous ceux qui l’approchent.
Le nombre de personnages, très réduit pour une série aussi longue, contraint les scénaristes à des retournements de situation incessants parfois peu crédibles. Mais c’est la loi du genre feuilletonnesque et le mot rocambolesque n’a pas été inventé pour rien. Les séries chinoises s’inscrivent ainsi dans la tradition du roman-feuilleton illustré par les Eugène Sue, Alexandre Dumas et Ponson du Terrail. Bien que l’action se disperse entre trois royaumes (Yang, Jin et Khitan), les distances géographiques ne paraissent poser aucun problème aux personnages qui par quelque téléportation magique se retrouvent instantanément ailleurs. Sauf, évidemment, si les nécessités de l’intrigue exigent qu’ils se trainent interminablement sur des sentiers montagneux.
Deux royaumes adversaires
Les principaux protagonistes se répartissent entre les deux royaumes adversaires et par rapport à l’héroïne : le prince Bo face au prince Ji Chong, l’empereur Chu Kui et le roi de Jin, le grand devin Yao Ji (Xin Zhi Lei) en rivale de Ma Zhai Xing. Côté Jin, Ji Chong aime désespérément Ma Zhai Xing de même que côté Yuan, Yao Ji éprouve les mêmes vains sentiments à l’égard du prince Bo.
Mais les personnages sont loin d’être aussi intéressants que dans The Untamed. À la différence de cette dernière série où les personnages, même secondaires, étaient tous très soigneusement caractérisés, beaucoup sont ici à peine esquissés. Le second fils de l’empereur est ainsi un méchant sans beaucoup de caractère et d’envergure. Le fils aîné du roi de Jin tout comme le roi du Khitan voisin sont ectoplasmiques.
Quelques figures ressortent heureusement : la fidèle compagne de l’héroïne qui apporte un contrepoint comique, les trois serviteurs du Prince Bo, les deux eunuques des cours rivales, l’ambigu et fidèle servant du grand Devin, le jeune orphelin recueilli par le Prince Bo.
The Wolf ou l’esprit de sacrifice
Xiao Zhan tenait là son premier rôle important avant de devenir la star incontestée des séries chinoises. D’une allure juvénile, il témoigne déjà de son talent dans un personnage complexe mais qui malheureusement gaspille toutes ses cartouches avant la fin de la série. Chasseur de primes, il se révèle un prince royal en bisbille avec son père et surtout il tombe amoureux pour son malheur de la trop belle dame Ma. Mais il ne fait pas le poids face au prince Bo.
Les deux personnages masculins rivalisent d’ailleurs en désintéressement : impossible de trouver plus noble et chevaleresque. Ils sont toujours prêts à se sacrifier pour la Noble Dame dont ils sont amoureux. Or cette Dame ou Demoiselle qu’elle est-elle ? En voilà un personnage impossible malgré tout le talent de Li Qin. Tantôt suprêmement intelligente, tantôt d’une niaiserie insondable, Ma Zhai Xing ne rate aucune bêtise et tombe dans tous les pièges qu’on lui tend. Heureusement, il se trouve toujours un de ses deux chevaliers servants prêt à la sauver. Les seuls traquenards qu’elle déjoue sont ceux où l’intervention d’un des deux protagonistes masculins est impossible. Le grand talent de l’actrice arrive presque à nous faire avaler une pilule de plus en plus indigeste.
Une débauche de bons sentiments
L’intérêt de la série finit cependant par s’épuiser en raison d’une débauche de bons sentiments dégoulinants. Ceux qui auraient du être les méchants deviennent tous gentils ou presque. Par exemple, le cruel Devin (j’écrirais bien la cruelle Devineresse mais cela sonne mal) Yao Ji est une Milady qui se métamorphose en Florence Nightingale. Tant mieux pour l’humanité mais tant pis pour l’intérêt dramatique. La mort du seul méchant intéressant, l’abominable empereur, porte un coup fatal à l’intérêt dramatique des derniers épisodes.
Le prince Ji Chong, dont le rôle devient décoratif, se console vite de n’être pas aimé de Dame Ma et reçoit, en lot de consolation, la rigolote mais peu consistante princesse des contrées barbares. La fin de The Wolf, interminable, est assez confuse mais bien triste. Les mouchoirs sont de rigueur. Bref, tout cela a fort plu au public chinois.
Quelle image du pouvoir nous donne The Wolf ?
L’empereur Chu Kui intelligent, impitoyable, manipulateur et machiavélique, est le seul méchant d’envergure de la série. Cela d’ailleurs ne lui porte pas bonheur. Il a provoqué la mort de son premier fils tué à la guerre, son second fils est un comploteur de bas étage qui ne songe qu’à le renverser, le quatrième, faible et velléitaire le déteste. Nous avons vu que le Loup était son troisième fils par adoption. Tout n’est donc que trahison au royaume de Chine. Le tyran finit donc seul et aveugle, tué par son perfide second fils.
Le royaume de Jin se présente en opposition comme l’État de justice. Ainsi au mauvais souverain s’oppose le bon souverain, au royaume d’ombre, le royaume de lumière. Le prince rebelle campé par Xiao Zhan finit par comprendre que son père avait eu raison d’agir comme il l’avait fait. À la fin, le Bien triomphe sur le Mal. Bref, l’intrigue politique ne mène pas très loin ou plus exactement offre une image aseptisée qui convient parfaitement au régime chinois.
Peu après la sortie tardive de The Wolf, Douluo Continent saison 1 plaçait cette fois Xiao Zhan en vedette. Mais ce sera l’objet de notre second épisode.
J’ai moi-même beaucoup apprécié l’adaptation du « Voyage Vers L’Ouest » réalisée dans les années 2010. La réalisation est de plutôt bonne qualité pour une série télévisée (notamment les maquillages du Roi-Singe et des différents démons). C’est une adaptation qui semble assez fidèle au matériau original, faisant même l’effort d’adapter les premiers chapitres (qui se passent avant le voyage proprement dit) dans leur intégralité.