Scandale, amour et fantaisie : une histoire chinoise (1)

Il y a quelques mois, le 24 février 2020, éclatait en Chine ce qu’on a appelé le « 227 Incident ». La source se trouve dans un article de fan fiction dépeignant une star chinoise, Xiao Zhan, acteur principal de The Untamed.

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Scandale, amour et fantaisie : une histoire chinoise (1)

Publié le 30 mai 2020
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 Par Gérard-Michel Thermeau.

Cet article est né d’une suite de hasards placés sous le signe d’un destin qui a nom Youtube. Au départ, je voulais simplement parler d’une série chinoise intitulé The Untamed ou l’Indompté.

Et puis je suis tombé sur un scandale de censure d’Internet. Enfin, un de ces scandales internet qui mêle bons motifs et n’importe quoi. Et je me suis aperçu que mon propos ne serait pas si simple que cela.

Mais commençons par la fin. Ce sera un bon début.

Un scandale Internet

Il y a quelques mois, le 24 février 2020, éclatait en Chine ce qu’on a appelé le « 227 Incident ». La source se trouve dans un article de fan fiction dépeignant une star chinoise, Xiao Zhan, sous les traits d’un prostitué travesti tombant sous le charme d’un lycéen incarné par une autre star populaire Wang Yibo.

Cette production homo-érotique provoquait la fureur des fans de Xiao Zhan. Aussi un grand nombre d’entre eux signalèrent ce contenu aux autorités chinoises pour le faire censurer. Deux jours plus tard les plateformes de publication étaient bloquées. Or, la plate forme AO3 était très populaire auprès des fans de culture chinoise populaire (Animation, BD, Jeux, romans et nouvelles associés). Elle offrait un exutoire notamment à tous les fantasmes homosexuels quelque peu réprimés en Chine populaire.

Furieux, les militants de la liberté d’expression, ne pouvant s’en prendre au pouvoir chinois, se tournèrent vers Xiao Zhan, qui n’y était pourtant pour rien. Ces champions de la tolérance ne toléraient visiblement pas le silence de la star chinoise face à l’attitude de ses fans. Une campagne de boycott extrêmement agressive fut lancée contre les marques de luxe (Estée Lauder, Piaget etc. ) qui avaient fait appel à l’image positive de l’acteur.

Le covid-19 exerçant ses ravages, l’artiste, confiné chez lui, devait longtemps rester silencieux avant de présenter début mai des excuses pour le comportement de ses fans.

Mais mon propos n’est pas de vous parler de liberté artistique ou de censure en Chine ou de l’intolérance des utilisateurs d’Internet toujours prompts à dénoncer, là un site qui leur déplaît, et ici un acteur qui n’en peut mais.

Je n’ai découvert tout cela qu’après coup.

À propos de Youtube

En fait, cette histoire a réellement commencé sur Youtube. Étant cinéphile, je passe pas mal de temps à rechercher des films un peu originaux. Le hasard m’avait fait tomber sur un film chinois très récent intitulé Jade Dynasty présenté avec des sous-titres anglais. L’histoire, mélange d’arts martiaux et de fantastique, était plaisante à défaut d’être inoubliable, et je remarquais l’acteur principal qui m’était totalement inconnu.

Et puis, vous savez comment fonctionne YT : je me vis proposer des productions chinoises et notamment des séries sous-titrées en anglais. Mais bon, lire des sous-titres défilant à la vitesse de l’éclair (Dieu que ces Chinois parlent vite ou disent beaucoup en peu de mots !) sur 50 épisodes ou à peu près relève de l’exploit olympique.

C’est alors que j’ai découvert qu’une de ses séries était aussi sous-titrée en français (et pas seulement en portugais ou en thaïlandais !). Son nom : The Untamed. Le sous-titrage, de qualité inégale et très variable selon les épisodes, permettait néanmoins de suivre facilement la narration. Je me suis donc plongé, pour une longue immersion, dans cet univers exotique.

Pour des raisons mystérieuses (limiter les piratages ?), le son connaissait quelques fantaisies : absent dans certains génériques de fin (ce qui n’est pas gênant), disparaissant parfois quelques minutes dans certains épisodes (mais les sous-titres permettaient de suivre), désynchronisé lors d’une séquence. C’est un peu irritant mais ce ne sont là que peccadilles.

Arts martiaux, sabres et compagnie

Je n’ai pas tout de suite réalisé que l’acteur principal était le même que celui de Jade Dynasty. Son nom, vous l’aurez deviné : Xiao Zhan. Son partenaire s’appelait Wang Yibo. Et leur popularité de star, à l’origine du scandale évoqué ci-dessous, était la conséquence du succès « mondial » de ce feuilleton en 2019.

Comme tout un chacun, je connaissais les productions de la Shaw Brothers caractérisées par la naïveté des scénarios, la splendeur kitsch des décors, la virtuosité chorégraphiée des combats et les époustouflantes prouesses physiques des acteurs.

J’avais également eu l’occasion de voir en salle ces productions luxueuses largement destinées à un public occidental du type Tigre et Dragon, Hero ou bien Le secret des Poignards volants.

Streaming et plateformes sociales

Avec The Untamed, que l’on peut traduire semble-t-il par L’indompté, nous sommes dans un autre univers. C’est celui des séries dite « télé » mais diffusées désormais par le biais de sites de streaming (Tencent Video puis Netflix) associés à des plateformes sociales (Sina Weibo). Et finalement proposées en libre accès sur Youtube par WeTV.

La diffusion s’accompagne de tout un merchandising extrêmement lucratif : ventes de la BO et de produits dérivés, tournée de concerts avec les deux acteurs-chanteurs, rencontres payantes avec les fans (fan meetings), pré-vente du clip musical du tube  Unrestrained, vente d’un numéro spécial du magazine Bazaar.

Un succès foudroyant

On peut visionner de nombreuses vidéos sur le sujet sur YT, les acteurs effectuant une tournée passant par Bangkok, Singapour, Ho-Chi Minh ville, Tokyo, Séoul, Macao, Kuala Lumpur, Toronto, Los Angeles, New York. On le voit, ce type de productions vise en priorité le marché asiatique et accessoirement occidental tourné vers le Pacifique.

Le succès, en tout cas, fut foudroyant : très bien noté sur Douban, un des plus influents website chinois, et sur d’autres sites, gagnant divers prix, il a fait de ces deux acteurs principaux des stars asiatiques.

Comment expliquer un tel succès ?

Une habile construction dramatique

La construction dramatique est à la fois habile puisque presque toutes les séquences et presque tous les personnages ont une fonction bien précise dont les tenants et aboutissants se révéleront dans les derniers épisodes, et incohérente. Le comportement des personnages varie en effet de façon étonnante.

Le clan Lan, à cheval sur les règles, punit très sévèrement Wei Wuxian pour des peccadilles du type ivresse nocturne et ne réagit pas aux actes violents d’un Wen qui blesse dès son arrivée un disciple de la secte. Les exactions sanglantes du clan Wen sont longtemps tolérées avant de provoquer soudainement une réaction des autres clans. Le héros, Wei Wuxian, connaît des moments de totale passivité en contraste total avec son comportement habituel.

De même les méchants Wen massacrent impitoyablement les disciples de plusieurs sectes. Et peu de temps après, les mêmes sectes semblent avoir reconstitué leurs effectifs sans problèmes. Mais bon, les combattants qui repoussent magiquement, nous en avons l’habitude depuis GOT.

Il est certes difficile de maintenir la tension sur 50 épisodes1. Entre la première partie pleine de charme et d’humour et les derniers épisodes d’une forte intensité dramatique, la partie intermédiaire se révèle parfois inégalement passionnante.

Une Chine imaginaire

Le cadre général, peu original, est celui de la Chine ancienne (mais une Chine imaginaire sans ancrage chronologique) avec ses clans pratiquant les arts martiaux. Le cadre est ancien mais ce type d’histoire relève d’une littérature plus récente qui est née au XXe siècle réinterprétant le Jiang hu.

Ici les adeptes sont appelés Cultivateurs et la voie s’appelle la Cultivation. Bien sûr, aucun rapport avec la culture des radis, quoique les radis, les nèfles et les lotus, jouent un rôle dans la narration.

Cinq familles dominent les cinq clans les plus puissants aux côtés de nombreux petits clans. Leurs résidences portent toutes des noms poétiques : Port aux Lotus, Repaire des Nuages, Tour des Carpes d’or, Domaine impur, Cité Sans-Nuit. Chaque clan affiche des couleurs et des caractéristiques tranchées et un style emprunté à des périodes diverses de l’histoire chinoise.

Cinq clans nettement différenciés

Le Repaire des Nuages abrite une communauté puritaine tout de blanc vêtu aux règles innombrables et à la spiritualité intense. La Tour des Carpes d’Or est le siège de l’orgueil et de la richesse prétentieuse. Au Domaine impur, le plus militarisé et le moins cultivé, les disciples portent une sorte de hachoir de boucher en guise d’épée. Port aux Lotus est le domaine d’hédonistes à l’esprit tolérant arborant le mauve. La Cité Sans-Nuit où le noir s’associe au rouge incarne, à l’inverse, la violence et la volonté de pouvoir.

À propos de cette dernière, notons une incohérence due semble-t-il aux libertés prises à l’égard du roman d’origine. La Cité Sans-Nuit est en effet plongée dans une obscurité perpétuelle et ses blêmes habitants aux noires parures sont présentés comme des adorateurs du Soleil ! Devons-nous voir ici l’influence du Mordor et de la montagne du destin qui ont remplacé la secte solaire originelle ?

Tout est question d’effet

Les décors sont dans l’ensemble réussis avec de beaux intérieurs raffinés en harmonie avec les costumes refusant l’éclat le plus souvent au profit de couleurs blanches, crèmes ou bleues pales. La musique mélange des styles très divers, parfois lyrique, parfois banale, voire même vulgaire.

Elle passe alternativement des accents traditionnels à la musique pop en passant par le style classique occidental. Le déchainement des forces démoniaques se fait ainsi aux accents du Sacre du printemps de Stravinsky. Parfois, les instruments traditionnels, la flûte et le Guqin, sont mis à l’honneur, associés d’ailleurs aux deux héros.

S’il est question d’arts martiaux, ne nous ne sommes plus à l’époque de la Shaw Brothers, le temps des Ti Lung, des David Chiang et autres Gordon Liu est révolu. Désormais, écran bleu oblige, les acteurs ne se recrutent plus dans les salles de sport mais parmi les membres graciles et ravissants des boy’s band. Plus besoin d’exploits physiques périlleux, de maitrise réelle des arts martiaux, tout est illusion, tout est effet.

À l’image des membres du clan Nie utilisant la magie pour attraper des poissons (il est vrai qu’ils vivent dans un pays aride), les productions actuelles se passent aisément des capacités réelles des acteurs. Bon, ne médisons point exagérément : toutes ces pirouettes, ces envolées, ces chorégraphies de duels ne sont pas dénuées de charme.

Monstres et bonhommes de papier

En revanche, les « monstres » ne sont pas terribles : des espèces d’algues gluantes en guise de goules aquatiques, un canidé baveux en peluche, une tortue-serpent tout aussi ridicule et une statue animée qui fait regretter le défunt Ray Harryhausen. Et ne parlons pas des « pantins » ou « marionnettes » directement inspirés des pénibles « zombies » qui polluent les écrans depuis de trop longues années : ils sont à mourir de rire. Amateurs de Fantasy, passez votre chemin ou trépassez d’ennui.

Les effets sont plus heureux dans l’animation de bonhommes de papier « magiques » qui sont la marque à la fois de l’espièglerie et des talents inventifs du héros.

Mais, bon, tout cela n’est pas l’essentiel. Le spectacle est au service de l’histoire et des personnages au rebours de ce que nous inflige trop souvent Hollywood ces dernières décennies.

De quoi nous parle-t-on ?

Or, quelle est l’histoire contée par The Untamed et quels sont ces personnages ? C’est là que tout se complique.

L’Indompté est un récit non chronologique qui s’ouvre sur la mort du protagoniste qui connaît une résurrection ou une réincarnation, mais le terme n’est guère adéquat, seize ans plus tard. Nous suivons donc le personnage « ressuscité » qui est impliqué dans une enquête qui va l’amener à découvrir la vérité sur les événements qui ont abouti à sa chute.

Un retour en arrière d’une trentaine d’épisodes est consacré à la première vie du héros avant le retour à sa seconde vie mais le tout est ponctué de divers flash-backs sur l’enfance du héros ou d’autres personnages.

Vous suivez toujours ?

Pour simplifier les choses, notre héros est appelé, selon les circonstances et les locuteurs, A-xiang, Wei Wuxian, Wei Ying, (jeune) maître Wei, Wei-xiong mais aussi le Patriarche de Yiling. Comme il en est de même pour les autres personnages, qui sont assez nombreux, le spectateur occidental peut être quelque peu dérouté au début. De qui parle-t-on, se demande-t-on ?

Questions finales

Qui est donc ce Patriarche de Yiling à la personnalité controversée ?

Pourquoi l’acteur Xiao Zhan a-t-il inspiré la fanfiction source de scandale en février 2020 ?

Et enfin pourquoi cette série a-t-elle connu un succès sans précédent dans le monde des drames chinois en costume ?

Si cela vous intéresse, ne manquez pas le second épisode.

  1. Une édition spéciale en vingt épisodes a d’ailleurs été réalisée qui se concentre davantage sur la relation entre les deux personnages principaux
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  • Je me demande où tout cela va nous conduire, et je serai curieux de lire la suite.
    Concernant cette histoire de « cultivateurs », elle s’inspire des anciennes pratiques ésotériques taoïstes (développer et faire circuler le Qi dans le corps, ce genre de choses, d’où le terme de « cultivation »), et c’est un thème très en vogue ces derniers temps chez les créateurs de « manhua » (ou manwa), bandes-dessinées coréennes ou chinoises, appelées ainsi pour les distinguer des mangas japonais.

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