Comment Ayn Rand a anticipé la « cancel culture »

Une des œuvres de fiction les moins connues d’Ayn Rand décrit un phénomène brûlant d’actualité.

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Comment Ayn Rand a anticipé la « cancel culture »

Publié le 5 juin 2021
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Par Caroline Breashears.
Un article de The Foundation for Economic Education

De récents législateurs, activistes et réformateurs de l’éducation ont promis de nous mener vers un nouveau monde d’équité. Il n’y aura plus de groupes ayant un mode de vie différent des autres. Il n’y aura plus de groupes ayant une éducation différente des autres. Il y aura la réforme ou sinon, nous avertit Hawk Newsome, « nous détruirons le système pour le remplacer ».

Pour avoir un avant-goût de ce temps glorieux, il nous suffit d’ouvrir Hymne d’Ayn Rand. Dans ce roman dystopique, les collectivistes atteignent leur idéal en brûlant villes et livres puis en instaurant une planification centralisée. À partir de là tous sont égaux : également pauvres, également logés, également limités dans ce qu’ils peuvent dire, faire et penser.

Si les fictions dystopiques nous aident à comprendre les dangers qui nous menacent, comme le fait observer Jen Maffessanti, alors il n’y a pas de roman plus pertinent pour notre époque que celui d’Ayn Rand.

Ce qu’Hymne met en lumière c’est la véritable signification des idéaux et du langage collectivistes qui minent non seulement nos droits, mais notre capacité à les exprimer.

« Notre nom est Égalité 7-2521 »

Hymne s’ouvre en mettant en avant le triomphe du collectif au travers du narrateur qui se débat pour exprimer et justifier ses pensées. Dans ce monde il n’y a pas de « je », seulement le « nous » collectif qui est devenu synonyme du bien.

Le roman commence par :

C’est un péché que d’écrire ceci. C’est un péché de penser des mots que personne d’autre ne pense et de les coucher sur un papier que personne d’autre ne doit voir… Et nous savons bien qu’il n’y a pas de plus noire transgression que de faire ou de penser seul.

Seul le « Conseil des vocations » peut approuver un tel écrit. Le narrateur, Égalité 7-2521, lutte pour se conformer aux règles alors même qu’il les brave :

Nous nous efforçons d’être comme tous nos frères humains, car tous les hommes doivent être semblables.

Mais il n’y parvient pas.

Du haut de son mètre quatre-vingts, Égalité 7-2521 domine les autres garçons. Son professeur le prévient : « Il y a du mal dans tes os. »

À l’école il est malheureux car « apprendre était trop facile. C’est un grand péché d’être né avec une tête trop rapide ».

Comment le sait-il ? « Ce sont les professeurs qui nous l’ont dit ».

En fin de compte, Égalité 7-2521 essaye d’imiter ceux qui apprennent lentement.  Mais les professeurs s’en aperçoivent « et nous étions réprimandés plus souvent que tous les autres enfants. »

Et lorsqu’il atteint l’âge de quinze ans, le Conseil des vocations le place au Foyer des balayeurs de rues, où il n’aura plus l’occasion d’afficher son esprit rapide. Équité parfaite.

« Notre langage empoisonné »

Hymne préfigure les avertissements de Hayek au sujet de « notre langage empoisonné ». Dans La présomption fatale : les erreurs du socialisme, Hayek remarque que « aussi longtemps que nous parlons un langage qui s’appuie sur une théorie erronée, nous générons et perpétuons de l’erreur. »

Cette erreur est évidente dans l’usage de mots qui transmettent des jugements de valeur tout entiers.

Dans Hymne, « nous » et « le collectif » sont « bons », exactement de la même manière que, comme le fait remarquer Hayek, « social » désigne aujourd’hui ce qui est « moralement juste. » Et « ce qui semble être une description devient imperceptiblement une prescription » : la justice redistributive.

Un glissement similaire s’opère actuellement avec l’usage du terme équité.

Selon le dictionnaire anglais d’Oxford, la première occurrence enregistrée date de 1315. À partir de ce moment, equity a été utilisé pour signifier « le fait d’être égal ou juste ; l’honnêteté, l’impartialité, l’égalité des chances. »

À présent équité signifie l’impératif moral d’assurer des résultats égaux, comme dans le concept d’éducation équitable : « l’équité reconnaît le fait que certains sont plus désavantagés que d’autres et vise à compenser la malchance et les handicaps de ces personnes. »

Comment l’équité le permet-elle ?  Elle « vise à prendre des mesures supplémentaires pour donner à ceux qui sont dans le besoin plus qu’à ceux qui ne le sont pas. L’équité vise à faire en sorte que le mode de vie soit le même pour tous, même si c’est au prix d’une répartition inégale des accès et des biens. »

En d’autres termes, pour atteindre l’équité, les fonctionnaires traitent sans le reconnaître les gens de manière inégale.

Pour Ayn Rand, le collectif va à l’encontre de la liberté

Dans Hymne, Ayn Rand illustre les résultats produits par de tels comités. Le Conseil des vocations obtient des modes de vies égaux en regroupant diverses personnes dans le Foyer des balayeurs de rues, où l’équipe de Égalité 7-2521 se compose d’un artiste talentueux et d’un homme incapable d’utiliser son balai en raison de convulsions incessantes. Leur travail est irrégulier, c’est le moins qu’on puisse dire.

Lorsqu’Égalité découvre secrètement l’éclairage électrique et le présente au Conseil des érudits, celui-ci rejette son invention car il en est le seul inventeur. De plus, elle détruirait le Département des chandelles et « ruinerait les plans du Conseil mondial » qui a mis cinquante ans à approuver la chandelle. Le Conseil exige qu’elle soit détruite, voulant métaphoriquement conserver le monde dans l’obscurité.

Pour le collectif, l’objectif est de contrôler les résultats, et non la liberté ou l’épanouissement humain. Et pour garder le contrôle, il s’assure que personne ne puisse voir la vérité et encore moins la dire.

Dans le Foyer des balayeurs de rues, le soir les hommes se déshabillent silencieusement à la pâle lueur des chandelles :

Car chacun doit être d’accord avec tous et on ne peut pas savoir si nos pensées sont celles de tous, donc on a peur de parler.

Pour Ayn Rand, « la plus petite minorité sur Terre c’est la personne »

Au cours des derniers mois nous nous sommes rapprochés de la dystopie de Rand faite de peur, de censure et d’équité pervertie.

Lors d’une enquête récente à l’Université de Caroline du nord, des étudiants de toutes les sensibilités politiques ont déclaré que (comme les balayeurs de rues) ils adoptaient l’auto-censure en classe, se taisant même lorsque leurs opinions étaient en rapport avec les sujets en classe. Ils ont peur.

Ils ne sont pas seuls. Des foules en ligne détruisent des carrières et des vies, comme John Stossel le remarque dans « La cancel culture est hors contrôle»  Il exhorte ceux d’entre nous qui peuvent parler à le faire.

Pourtant il est de plus en plus difficile de pratiquer la liberté d’expression et d’autres droits, alors que des États font pression pour les éliminer.

La loi californienne a récemment fait passer ACA 5, qui permettrait de corriger des différences dans les admissions à l’université et dans les marchés publics par « des remèdes qui tiennent compte de la race et du genre ».

Cette mesure pour l’équité abrogerait la Proposition 209 qui interdit à l’État de discriminer ou de favoriser un groupe ou une personne sur la base de la race, du sexe ou de l’origine ethnique.

Si les citoyens de Californie l’approuvent, l’État sera légalement en mesure de discriminer des personnes. Pourtant, comme l’avance Ayn Rand :

Les droits des personnes ne sont pas l’objet d’un vote du public ; une majorité n’a pas le droit de retirer des droits à une minorité ; la fonction politique des droits est précisément de protéger les minorités contre l’oppression des majorités (et la plus petite minorité sur Terre est la personne).

Rand exhorte les personnes à prendre position. Dans la préface de l’auteur de l’édition américaine de Hymne, Ayn Rand remarque que « la plus grande culpabilité aujourd’hui est celle de ceux qui acceptent le collectivisme par défaillance morale ».

Si nous avons besoin de modèles, il nous suffit de nous tourner vers Leonard Read.  Il a découvert qu’Hymne avait été publié en Angleterre en 1938 mais avait été refusé par les éditeurs américains. Ayant décidé qu’il méritait une audience plus large, il fit paraître la première édition américaine avec Les Pamphlétaires en 1946, l’année même où il a fondé la FEE.

Les choix peuvent varier pour chacun de nous, mais comme John Stossel nous y exhorte, ceux d’entre nous qui peuvent s’exprimer doivent le faire.  Sinon nous risquons de plonger dans la version du XXIe siècle de Hymne.

Traduction par Contrepoints de How Ayn Rand’s Dystopian Novella Anticipated Cancel Culture

Un article publié initialement le 18 août 2020.

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  • Lire aussi Alfred Korzybski sur « le rôle du langage dans les processus perceptuels ».

  • Ayn Rand avait en effet tout prévu. Je n’ai pas lu Hymne, mais dans Fountainhead et surtout dans Atlas shrugged, on a une encore meilleure vision de la folie d’aujourd’hui que dans 1984 ou La ferme des animaux.
    Cette femme avait la « tunnel vision » d’un Tocqueville, c’est à dire qu’en se focalisant uniquement sur les traits essentiels d’une société, on « sent » les tendances à venir dans 10, 20 ans, voire un ou deux siècles.
    Malheureusement , je ne pense pas qu’il faille attendre aussi lontemps avant le crash de cette société délabrée et de plus en plus décérébrée.

    • Il paraît que « La Grève” est le deuxième livre le plus lu aux USA après la Bible. Il n’a été traduit en français que récemment…

    • J’ai trouvé Atlas Shrugged absolument interminable et d’une qualité littéraire plus que discutable, mais je suis d’accord avec vous elle dresse un remarquable portrait de notre société et de son évolution.

      Je ne m’avancerais pas à hiérarchiser sa vision avec celle de Orwell ceci dit, qui reste encore profondément pertinent à tous les égards.

      Les deux auteurs sont des lectures nécessaires et complémentaires.

      • j’aime beaucoup 1984 mais la vision d’Orwell est presque celle d’une dictature « saine » à l’ancienne. la dictature qui est en train de se créer est infiniment plus pernicieuse et vicieuse, il n’y a pas de big brother, il n’y pas d’oppression apparente, c’est juste les cerveaux qui sont lentement rongés par une habile propagande propagande sans fin d’un coté et la mise en esclavage volontaire de la population via l’accroissement de l’état qui pénètre lentement dans nos vies de plus en plus profondément à tel point qu’il devient impossible d’exister sans l’état. le rêve de Mussolini est en train de se réalisé tout naturellement sous les applaudissements de presque tous. Les quelques récalcitrants seront tout simplement considéré comme des malade mentaux.

        • C’est déjà le cas pour les climato-sceptiques comparés aux croyants en la Terre plate! Alors que vu l’absence de preuves scientifiques ce sont les réchauffistes qui sont dans cette situation.

  • Au train où vont les choses, on va se retrouver à arroser les plantes avec du soda…

  • Excellent article, je ne connaissais pas ce livre de Ayn Rand, je sais quoi m’offrir et offrir à noël…

  • Ayn Rand a passé les 20 premières années de sa vie en Russie/URSS.
    On comprend qu’elle ait été vaccinée contre l’idéologie communiste.
    Mais ce livre hélas sonne comme une caricature, totalement irréaliste. Car même en URSS, les plus doués ne sont pas nivellés vers le bas ; que ce soit en politique, en sport, en science, ils sont au contraire poussés, dans des proportions exagérés (voilà le scandale) à devenir l’élite, au profit du pays. Un tel finira apparatchik, un autre dopé aux stéroïdes, etc.
    Dans une société collectiviste comme en URSS, il va de soi que jamais le pouvoir n’aurait rejeté l’électricité. Il aurait au contraire valorisé cette découverte pour montrer combien leur modèle politique est meilleur que tous les autres. Actuellement, par une logique identique, Poutine s’enorgueillit que son pays ait découvert le premier vaccin contre le Convid.
    L’Hymne manque de cohérence (interne et externe), et voulant trop en faire, manque sa cible.
    Contrairement à d’autres de ses romans, celui-ci ne finira par sur ma table de chevet…

    • les plus doués en quoi..?
      ça n’a l’air de rien mais si dans votre esprit s’insinue l’idée qu’il existe des élites… vous tombez dans lepiège…

      la majeur partie des scienteux et des matheux font cette erreur…

    • Dans la Chine de Mao, si vos parents étaient universitaires, ça devenait très très difficile pour vous d’aller à l’université…

  • J’ajoute que tout cela n’a pas grand chose à voir avec la cancel culture…
    Dans la dystropie de Rand, il s’agit d’un objectif d’égalité poursuivi par le Pouvoir.
    La Cancel culture c’est l’élimination sociale d’individus recherchée par une branche minoritaire de la société.
    L’Hymne décrit un projet politique. La Cancel culture un phénomène d’auto-justice.

    • Ne parlez pas d’auto-justice à propos de la cancel culture! Il n’y a pas de justice lorsqu’on s’attaque aux libertés imprescriptibles de l’être humain. De plus c’est ridicule, seuls les noirs sont dans la sollicitude des wokes, car ils les considèrent inférieurs aux autres. Ce qui est évidemment faux, c’est la pauvreté et leur culture gangsta qui est en cause. Il est mal vu pour les jeunes garçons de travailler à l’école; ce n’est bon que pour les filles! Cela ne concerne pas les enfants de la bourgeoisie noire (57% de la communauté font maintenant partie de la classe moyenne). Ce n’est pas le fait que ce soit une minorité, puisque les asiatiques, même de famille pauvre ou fraichement débarqués d’Asie, cumulent les meilleures notes à l’école et les places dans les universités!

    • En effet, l’URSS et ses satellites est-européens ont poussé les plus doués dans les domaines sportifs ou scientifiques au-delà de toute raison. Mais savez-vous que la première participation de l’URSS au jeux olympiques est relativement récente, à savoir 1952 ? Avant cela ce n’était apparemment pas une priorité. Et encore, le sport c’était surtout pour une question de propagande et la science pour faire avancer l’industrie de l’armement : tout ce qui venait du bloc de l’est avant ’89 était connu comme le top de la technologie… C’est au stade pré-1952 que la France se trouve : elle n’a pas encore subi les effets les plus délétères d’un égalitarisme tel que décrit par Ayn Rand qu’on trouve à l’œuvre à l’éducation nationale et n’a pas encore changé son fusil d’épaule.

      • Dans « tout ce qui venait du bloc de l’est », j’entends les produits qui étaient disponibles pour les consommateurs d’ici : appareils photo Praktica ou Zenit, automobiles Lada, Wartburg ou Skoda notamment.

  • Il est certain que cette culture qui s’est développée sur certains campus américains, sur des réseaux sociaux pour finir par atteindre aussi la France, pose problème. De plus, elle n’est pas la seule à tenter de formater les esprits! Et ce qui ressemble à une toile d’araignée qui devient de plus en plus inquiétant. Sans contradiction possible, c’est la mort de la liberté.

  • Vous avez encore l’envie de regarder la télé ? Il y a des choses bien plus intéressantes à voir ne fut-ce que sur Youtube et Netflix.

  • Remarquez qu’à cette époque où sévissait le Nazisme et le Fascisme, les éditeurs américains avaient refusé de publier son livre! La cancel culture sévissait déjà aux States!

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