Par Jean-Philippe Feldman1.
Droite, gauche, centre, peu importe : nos gouvernants sont fréquemment accusés d’être plus ou moins déconnectés de la réalité. Leurs analyses semblent hors-sol, les normes qu’ils prennent dépassées ou inefficaces.
La planification comme panacée ?
Pourtant, à partir du milieu du XXe siècle, le développement des ordinateurs avait laissé croire à certains que la planification centralisée serait la panacée et que, conséquemment, les pays du socialisme… réel, dont nos intellectuels ne manquaient de chanter si souvent les louanges, écraseraient de leurs performances les contrées où l’ignoble capitalisme subsistait encore.
Hormis quelques attardés, plus personne ne défend officiellement ce type de position, mais notre nation s’enorgueillit encore de l’existence d’un Haut commissaire au Plan…
La centralisation, puissance ou impuissance de l’État ?
La gestion calamiteuse de la pandémie actuelle par nos gouvernants amène à s’interroger sur les raisons de l’inefficacité, parfois de l’incompétence, des hommes politiques français au pouvoir depuis quelques décennies.
Valéry Giscard d’Estaing n’a ainsi jamais réussi à surmonter les deux crises pétrolières, François Mitterrand a fait en 1981 le contraire de ce qu’il fallait faire et leurs successeurs ont été dans l’incapacité de répondre aux crises financières successives.
Pourtant, la centralisation, la puissance procurée par les prélèvements obligatoires les plus élevés qui soient au monde, la règlementation foisonnante et l’armée des sept millions de fonctionnaires devraient nous permettre de gérer avec brio, d’anticiper les crises, sinon de les résoudre au mieux.
Les leçons de l’épistémologie
Malheureusement, les leçons que l’on peut tirer d’une épistémologie bien entendue nous montrent que plus le monde est complexe, moins une autorité centralisée est en phase pour le gérer.
Cependant, l’excuse habituelle des hommes au pouvoir est de dire, non que les politiques menées étaient une ineptie, mais qu’ils ont mal expliqué leur politique aux Français, décidément trop stupides pour l’avoir comprise.
C’est ce que l’on avait entendu de la bouche des ministres sarkozystes, puis hollandais, et c’est ce qui ne manquera pas de survenir dans les derniers mois de l’actuelle présidence.
La difficulté provient du fait que nos gouvernants en restent trop souvent, et paresseusement, aux idées du passé. Or, plus les frontières s’estompent, n’en déplaise à certains, plus la puissance des États se dilue. Le simplisme de nos hommes politiques ne résiste plus à la pensée complexe.
Prétendre régir la société avec quelques normes centrales comme sous Napoléon est de plus en plus voué à l’échec car les actions et les interactions des individus se mêlent d’un bout à l’autre de l’univers, et non plus seulement dans une aire limitée.
Ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est incompréhensible. Cette boutade, comme toute boutade, recèle au moins un fond de vérité : contrairement à quelques apophtegmes, gouverner n’est ni simple ni facile.
Gouverner est complexe et c’est justement ce qui devrait inciter nos gouvernants à faire preuve d’un peu plus d’humilité. Cette humilité à l’égard du processus social si chère à Friedrich Hayek.
- Jean-Philippe Feldman vient de faire paraître Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020. ↩
Dans le principe libéral de subsidiarité, chaque question requière une réflexion sur le niveau de légitimité optimal de la mesure à prendre, lequel peut être local, régional ou national.
Cette réflexion nécessaire n’est jamais entreprise en France où l’on part toujours du niveau central pour arroser l’organisation administrative existante, le plus souvent à des fins politiques et selon le mode jacobin habituel.
Or le choix du niveau de décision devrait toujours prendre en compte sa composante démocratique : ce niveau de décision représente-t-il les parties les plus concernées par la décision à venir ? de même que sa composante économique : ce niveau de décision offre-t-il la meilleure efficience (résultats/coûts) notamment au regard des économies d’échelle potentielles de la mesure potentielle.
On ne devrait d’ailleurs pas se contenter de ces préalables à toute décision, mais exercer de surcroit un contrôle systématique a posteriori de ses résultats pour corriger ses carences éventuelles, tant en terme de représentativité que de performance économique.
Ce n’est pas fait non plus en France, y compris en cas d’alerte caractérisée comme par exemple dans les rapports de la Cour des Comptes.
Que répondre à un tel discours ?
Alain Juppé, sors de ce corps, on t’a reconnu.
“mais exercer de surcroit un contrôle systématique a posteriori de ses résultats pour corriger ses carences éventuelles, ”
Et hop, on revient dans l’interventionnisme étatique!
Comme quoi, même ceux qui veulent y échapper finissent par retomber dedans. Le conditionnement étatiste de la population française est une réussite même chez ceux qui pensent arriver à y échapper.
Vous pensez vraiment que l’Etat sera capable de corriger n’importe quelle “carence” aussi minime soit-elle, sans effet de bord plus délétère?
Il ne suffit pas de dire “il faut une réflexion sur le niveau des attributions et un contrôle des résultats”.
Il faut les conditions pour que cette réflexion soit incontournable, et ça ne peut passer que par la subsidiarité des financements.