Le vote des minorités pour Trump et le parti républicain : une tendance sous-estimée

Les minorités ne sont pas un tout unique et ne sont pas animées par une seule question politique. Le maintien d’une telle analyse par le parti démocrate risque de se retourner contre lui.

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Donald Trump 2015 by Matt Johnson (CC BY 2.0)

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Le vote des minorités pour Trump et le parti républicain : une tendance sous-estimée

Publié le 5 décembre 2020
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Par Alexandre Massaux.
Un article de l’Iref-Europe

L’élection présidentielle américaine de 2020 a mobilisé un nombre considérable d’électeurs. Joe Biden et Donald Trump ont tous les deux battu des records en nombre de voix. En 2008, Barack Obama avait atteint 69,5 millions de voix et en 2016, Donald Trump en avait eu 63 millions.

Les deux candidats de 2020 dépassent chacun largement les 70 millions (on ne connaît pas encore le nombre exact, des vérifications étant en cours). On peut donc avancer que cette élection a mobilisé des personnes qui ne s’étaient pas déplacées pour les précédents scrutins.

Les données déjà disponibles sur la composition des votes présentent quelques surprises.

Les minorités ethniques ont surtout voté pour le parti démocrate dans la seconde moitié du XXe siècle

Selon le Roper Center, qui analyse la composition des votes depuis les présidentielles de 1976, les minorités ont toujours voté majoritairement pour le parti démocrate. Le meilleur score des candidats républicains auprès de l’électorat afro-américain est de 17 % avec Gerald Ford en 1976.

En ce qui concerne l’électorat hispanique, c’est George Bush Jr. (en 2004) et Ronald Reagan (en 1980) qui l’ont le plus séduit avec respectivement 44 % et 37 %. Les démocrates, qui mettaient en avant leurs politiques sociales, avaient une bien meilleure cote auprès de ces populations généralement plus pauvres que la moyenne.

En 2016, beaucoup de médias ont présenté Trump comme le favori ; surtout des populations blanches terrifiées par les minorités. Son électorat avait pourtant une composition tout à fait classique pour un candidat républicain. Il avait même obtenu de meilleurs scores auprès des Afro-Américains (8 %) que Mitt Romney en 2012 (6 %) et John McCain en 2008 (4 %), et un peu plus que Romney auprès des Hispaniques (28 % contre 26 %).

De plus, la proportion de Blancs/caucasiens votant pour Trump (57 %) était légèrement moins élevée que pour Romney (59 %). Donald Trump pouvait donner l’impression d’être clivant dans son discours, mais dans les faits, il l’était moins que Romney, voire McCain.

2020 : hausse du vote des minorités pour Trump et des Blancs pour Biden

En 2020, les tendances bougent. Si les Blancs votent encore en majorité pour Trump et les minorités pour Biden, le candidat républicain a gagné des voix auprès des secondes, au détriment des électeurs blancs.

Comme le fait remarquer le New York Times, dans les comtés/circonscriptions comptant une majorité de minorités ethniques, l’augmentation des votes en faveur de Biden a été de 22 %, et de 30 % pour Trump.

L’écart est encore plus grand dans les comtés à majorité hispanique : + 19 % pour Biden, + 37 % pour Trump. Même dans les comtés majoritairement afro-américains, c’est +7 % pour Biden et +8 % pour Trump.

Inversement, c’est dans les circonscriptions urbaines et des sous-urbaines à majorité blanche que Biden a percé avec + 26 % de votes en sa faveur contre +18 % pour Trump. L’écart est encore plus grand dans les comtés peuplés de Blancs éduqués et traditionnellement républicains, avec + 21 % pour Biden et seulement + 7 % pour Trump.

Ces changements doivent être corrélés à la polarisation que connaissent actuellement les États-Unis. Le développement d’une gauche radicale socialiste au sein du parti démocrate est mal vue chez certains Hispaniques.

Pour certains démocrates, le socialisme est une sorte de vision fantasmée des pays scandinaves. Mais pour les Hispaniques, il évoque surtout les dictatures qu’ils ont jadis fui en Amérique centrale et du Sud.

Il n’est donc guère surprenant que les Cubains de Floride se soient tournés vers Donald Trump, dont au surplus le bilan économique est positif pour les minorités. En effet, entre 2018 et 2019, le taux de pauvreté des Afro-américains a diminué (par rapport à 2018) de 2 points de pourcentage, celui des Asiatiques de 2,8 points et celui des Hispaniques de 1,8 point.

Le taux de pauvreté des Afro-américains (18,8 %) et celui des Hispaniques (15,7 %) sont au niveau le plus bas jamais connu. En outre, le taux de chômage des Hispaniques a atteint des niveaux historiquement bas de 3,9 % en 2019, tandis que les Afro-Américains ont maintenu leur taux le plus bas jamais enregistré, soit 5,5 %. Enfin, le taux de chômage des Américains d’origine asiatique était de 2,5 % tandis que celui des femmes adultes a était de 3,1 %.

La dimension religieuse de la population américaine est un autre facteur d’explication : les Blancs sont de moins en moins religieux, le nombre de croyants devient peu à peu chez eux moins important que parmi les minorités. Selon le Public Religion Research Institute, il y a vingt-cinq ans près de neuf catholiques sur dix (87 %) étaient blancs, non-hispaniques, contre 55% aujourd’hui.

Le discours hostile à la religion de la gauche radicale a pu aider Trump et le parti républicain à gagner des voix. Il faut aussi remarquer que le vote musulman, bien que minoritaire, a progressé de 13 % à 17 % entre 2016 et 2020, en faveur de Trump.

Le vote hispanique : un futur atout pour le parti républicain ?

Ce changement progressif du vote hispanique en faveur du parti républicain peut, s’il se confirme, être un atout à moyen terme pour le parti républicain, les Hispaniques étant ceux dont la croissance démographique est la plus forte aux États-Unis.

Comme le fait remarquer le Brookings Institute, entre 2010 et 2019, la population blanche a baissé de 16 000 individus alors que la population hispanique a augmenté de 10 millions.

Si la tendance des élections de 2020 se confirme – augmentation des Hispaniques dans le camp républicain et des Blancs dans le camp démocrate – elle serait un atout précieux pour le parti républicain, qui pourrait retrouver sa place de parti des minorités qu’il occupait originellement sous son premier président Abraham Lincoln.

Tout dépendra des stratégies que mettra en œuvre la droite américaine. Car si le parti démocrate cède trop de terrain à son aile gauche, il risque de devenir un repoussoir pour une partie non négligeable des minorités.

L’ancien président Obama a considéré, après l’élection de 2020, que le vote hispanique pour Trump serait lié à des questions religieuses, oubliant que les minorités ne sont pas un tout unique et ne sont pas animées par une seule question politique. Le maintien d’une telle analyse par le parti démocrate risque de se retourner contre lui.

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  • Il en ressort donc que Biden est « citadin » et Trump « cowboy »…Ma foi à les entendre c’est assez juste en définitive…

  • Je suis d’accord avec votre analyse d’un rejet du socialisme de certaines minorités issues de pays qui ont soufferts sous le socialisme.
    A l’inverse, je pense que certains blancs rejettent la tendance extrême droite du parti républicain actuel.

    • je pense plutôt que ces blancs se « boboïsent ».

      • Vous voulez dire que l’augmentation des revenus, la vie citadine, l’attention croissante apportée à des sujets situés au sommet de la pyramide de Maslow (et au delà) expliquent que ces républicains cessent des bouseux racistes ou des nazillons ?

        • Les républicains racistes voteront tjrs républicains. Je parle de ceux au milieu, les modérés. Et à mon avis, une partie d’entre eux n’acceptent pas ce qu’est devenu le parti républicain et ne se reconnaissent pas dans ces valeurs

          • D’accord avec vous : le « Lincoln project » est un exemple. Le noeud du problème du parti républicain est évidemment Trump : à la fois encombrant et à la fois utile.
            Je me demande comment ça se passe au niveau local : dans les petites villes où les grandes théories de l’un ou l’autre ne sont pas adaptées, comment se positionnent les élus. Comme beaucoup de maires de petites villes en France qui sont « indépendant » ou « liste communale » sans affiliation précise (pragmatisme local).

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