CRISPR : un prix Nobel pour une révolution en biologie

Comme la plupart des avancées de la science moderne, la découverte de CRISPR et son émergence en tant que méthode d’édition du génome impliquent un grand nombre de chercheurs.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
CRISPR Cas9 by National Human Genome(CC BY-NC 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

CRISPR : un prix Nobel pour une révolution en biologie

Publié le 14 octobre 2020
- A +

Par Dimitri Perrin.
Un article de The Conversation

L’Académie royale des sciences de Suède a décerné le prix Nobel de chimie 2020 à la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, pour leurs travaux sur le développement d’une méthode d’édition du génome.

Le système CRISPR-Cas est un mécanisme de défense pour la plupart des micro-organismes unicellulaires tels que les bactéries : il confère une résistance aux éléments génétiques étrangers provenant de plasmides (morceaux d’ADN qui peuvent se transmettre par transfert, de cellule en cellule) et de bactériophages (virus n’infectant que des bactéries), et fournit une forme d’immunité acquise.

Emmanuelle Charpentier (aujourd’hui directrice de l’Institut Max Planck pour la biologie des infections à Berlin, Allemagne) et Jennifer Doudna (professeure à l’Université de Californie, Berkeley, États-Unis) ont joué un rôle crucial en montrant comment ce système peut être utilisé pour cibler des séquences précises d’ADN.

Comme la plupart des avancées de la science moderne, la découverte de CRISPR et son émergence en tant que méthode d’édition du génome impliquent un grand nombre de chercheurs.

Avant les lauréates, d’autres pionniers

En 1987, Yoshizumi Ishino et ses collègues ont été les premiers à remarquer, dans le génome des bactériés E. coli, des groupes de séquences répétées interrompues par de courtes séquences (ce qui est inhabituel). Francisco Mojica et ses collègues ont montré que des structures similaires étaient présentes dans d’autres organismes et ont proposé de les appeler CRISPR, pour clustered regularly interspaced short palindromic repeats.

En 2005, Mojica et d’autres groupes ont rapporté que les courtes séquences (spacers) qui séparent ces répétitions sont dérivées de l’ADN viral.

Kira Makarova, Eugene Koonin et leurs collègues ont proposé que CRISPR et les gènes Cas associés agissent comme un mécanisme immunitaire, ce qui a été confirmé expérimentalement par Rodolphe Barrangou et ses collègues en 2007. Le système CRISPR est responsable de l’acquisition et de l’insertion des spacers, qui sont ensuite utilisés par le mécanisme de défense.

Un système programmable

L’un des gènes associés à CRISPR, Cas9, code pour une protéine qui « coupe » l’ADN. C’est le bras armé du mécanisme immunitaire. En 2012, Charpentier et Doudna ont montré de manière cruciale que les spacers sont utilisés dans le cadre d’une structure à deux ARN qui dirige Cas9 pour faire une « coupe » à la séquence que ces spacers représentent.

Elles ont également montré que cette structure pouvait être conçue comme un guide « ARN guide » unique, et qu’en manipulant la séquence de cet ARN guide, le système Cas9 artificiel pouvait être programmé pour cibler n’importe quelle séquence d’ADN in vitro.

En 2013, des groupes dirigés par Feng Zhang et par George Church ont rapporté pour la première fois l’utilisation du système CRISPR-Cas9 pour l’édition du génome dans des cultures de cellules humaines. Le système a depuis été utilisé dans d’innombrables organismes, de la levure aux vaches, aux plantes et aux coraux, et est devenu l’outil génétique privilégié par des milliers de chercheurs.

Une révolution technique avec des applications infinies

Les humains modifient le génome des espèces depuis des milliers d’années. Initialement, c’était par sélection artificielle, puis par mutation. Le génie génétique, qui consiste à manipuler directement l’ADN en dehors de la reproduction et des mutations, existe depuis les années 1970. Une bactérie est modifiée en 1973, une souris en 1974, et de l’insuline humaine est produite artificiellement par des bactéries dès 1978.

Cependant, les systèmes basés sur CRISPR ont fondamentalement changé le domaine car ils permettent de modifier les génomes in vivo avec une précision extrêmement élevée, à moindre coût et avec facilité. Il y a maintenant des milliers d’articles scientifiques publiés chaque année sur diverses applications de CRISPR. Doudna et Charpentier sont récompensées pour leur rôle clé dans cette révolution.

CRISPR est un outil révolutionnaire pour la recherche fondamentale, mais il change aussi déjà le monde dans lequel nous vivons.

Des essais cliniques sont en cours sur l’utilisation de CRISPR pour des troubles sanguins tels que la drépanocytose ou la bêta-thalassémie, et pour l’immunothérapie anticancéreuse. Dans chaque cas, des cellules sont prélevées sur les patients, modifiées, et réintroduites.

Un pas supplémentaire a été franchi en mars de cette année dans le cadre du traitement de la cause la plus fréquente de cécité infantile héréditaire (amaurose congénitale de Leber) : le système CRISPR a été injecté directement dans l’œil d’un patient, près des cellules photoréceptrices.

L’édition génomique a aussi un fort potentiel dans la production alimentaire. Elle peut être utilisée pour l’amélioration des cultures (rendement, qualité, résistance aux maladies, résistance aux herbicides). Elle a également des applications pour le bétail, où elle peut conduire à de meilleures caractéristiques de production, une meilleure résistance aux maladies et un bien-être animal accru (en éliminant par exemple le recours à des pratiques telles que l’écornage).

Un certain nombre de défis subsistent. Certains sont d’ordre technique, comme le risque de modifications hors cible.

D’autres sont sociétaux. CRISPR a été utilisé dans l’une des expériences les plus controversées de ces dernières années, avec la tentative de He Jiankui d’utiliser la technologie CRISPR pour modifier les embryons humains et les rendre résistants au VIH, qui a conduit à la naissance des jumelles Lulu et Nana. Nous avons besoin d’une discussion large et inclusive sur la réglementation de ces technologies dans une gamme d’applications.

Le prix Nobel rend hommage à deux femmes pour leur contribution essentielle dans ce domaine, mais ce n’est que le début des avancées et des changements que va engendrer CRISPR.

Dimitri Perrin, Senior Lecturer, Queensland University of Technology

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • outil de recherche formidable mais attention son utilisation en therapie humaine est beaucoup plus compliquée, problématique et nécessitera du temps.
    Le ciseau repère une séquence et la remplace à tous les endroits portant ce motif donc c’est comme si on remplaçait tous les arbres d’un certain type dans une foret. Hors le génome est très compliqué et aujourd’hui on est encore très loin de connaitre tous les arbres de la foret donc ok on règle un pb avec cas9 mais n’en a t on pas créer d’autres !

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
2
Sauvegarder cet article

Définir le contenu des programmes d’enseignement n’est pas simple. Il faut choisir et donc éliminer. Les priorités sont variables selon les milieux sociaux, les croyances idéologiques ou religieuses, les engagements politiques.

Mais le choix fondamental reste toujours le même.

Dans une démocratie, l’école doit-elle instruire ou éduquer ? En réalité, il faut nécessairement répondre : les deux, mon général. Tout est une question de nuances dans ce domaine.

 

Pas d’instruction sans éducation

Que l’on se situe au ... Poursuivre la lecture

En 2006, le prix Nobel d’économie fut remis à l’économiste Edmund Phelps pour ses travaux sur le marché du travail.

À cette occasion, comme pour tous les autres prix Nobel, les grands organes de presse ont écrit un article résumant les principales découvertes.

Dans le cas d’Edmund Phelps, ils nous ont rappelé qu’il a publié des articles académiques extrêmement critiques du salaire minimum et de la surrèglementation des marchés financiers.

L’Associated Press avait noté son opposition au salaire minimum.

Ceci est par... Poursuivre la lecture

Une polémique est née sur les réseaux sociaux et dans les médias. Thaïs d’Escufon, influenceuse de droite, a publié un fil Twitter dénonçant les méfaits du féminisme. Elle s’appuie pour ce faire sur des études scientifiques et sociologiques issues de la science officielle, c'est-à-dire celle qui utilise la méthode scientifique pour parvenir à ses conclusions. Chacun des tweets du fil atteint les 200 000 vues.

En réponse, L’Express, sous la plume d’Alix L’Hospital, a publié une analyse qui décrit l'instrumentalisation des neurosciences ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles