« Art contemporain » : le marché résistera-t-il à la crise du covid-19 ?

Si la pandémie a donné le temps nécessaire aux acteurs du marché de l’Art contemporain de se dématérialiser, elle les a rendus aussi plus fantomatiques.

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« Art contemporain » : le marché résistera-t-il à la crise du covid-19 ?

Publié le 15 septembre 2020
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Par Aude de Kerros.

Le haut marché de l’Art contemporain est global tout comme le Covid-19 est pandémique. Le premier virus à contamination instantanément planétaire aura-t-il des conséquences sur un marché dont la valeur de ses produits se crée grâce à leur circulation internationale ? État des lieux en septembre 2020.

Bilans du marché de l’AC1 avant le Covid-19

En mars 2020, au moment où les frontières se ferment, les bilans de l’année 2019 paraissent dans la presse. Thierry Ehrmann, président d’Art Price déclare que « l’Art contemporain est l’une des plus sérieuses alternatives aux placements financiers traditionnels » même si son rendement annuel a légèrement baissé par rapport aux années précédentes. Il qualifie le marché comme « stable et arrivé à maturité ».

La nouvelle qui fait sensation, partout proclamée, est que le chiffre des ventes de l’AC des USA et de la Grande-Bretagne passe devant celui de la Chine, ce qui ne s’était pas produit depuis une décennie !

On peut lire aussi beaucoup de commentaires sur l’état du marché, son dynamisme mais aussi ses fragilités.

Les discussions de 2019 des plus hauts acteurs et influenceurs du marché de l’Art lors de leur rencontre annuelle à Berlin sont instructives à cet égard2. Ainsi le directeur de la Foire de Bâle, Marc Spiegler, voit essentiellement deux faiblesses :

— la prospérité du marché a multiplié les hyper-galeries, foires et maisons de vente alors que le nombre de collectionneurs, de nouveaux entrants sur le marché n’augmente pas en proportion. La concurrence intérieure devient dangereuse et même mortelle.

— les galeries de moyenne envergure ne peuvent assumer les frais pour être présentes sur les grandes foires internationales. Ainsi est compromis l’apport indispensable de nouveaux artistes et de collectionneurs. C’est un réel danger car le fonctionnement en pyramide de Ponzi de ce marché très singulier exige une entrée perpétuelle de nouveaux produits pour de nouveaux entrants, provenant du monde entier.

Seul ce flux permanent garantit dans le temps la valeur arbitraire des œuvres établie au sommet. Celles-ci ne se fabriquent et conservent qu’en réseau fermé. Ceux qui créent leur valeur forment une chaîne de production solidaire : collectionneurs, médias, galeries méga ou moyennes, foires, salle des ventes, ports francs, institutions, musées. La cote s’établit grâce au parcours de toute la chaîne.

La pandémie aura l’effet bénéfique de résoudre dans l’immédiat le problème de la concurrence interne en éliminant les concurrents en surnombre, mais elle aggravera sans nul doute le sort des galeries moyennes, mais le dommage sera plus lent à se manifester.

Confinement et créativité stratégique

Tout le long du confinement on a pu observer une créativité stratégique immédiate et efficace des acteurs du marché. Leur présence médiatique et numérique a été intense. Leur priorité a été de combler leur retard numérique. Ils l’ont fait en battant tous les records de vitesse : grandes rencontres, foires, ventes et évènements ont eu lieu quoique dématérialisés et ils ont été très visibles.

Christie’s et Sotheby’s ont raffiné ce qu’ils pratiquaient déjà, les « ventes nomades » allant de gisement en gisement de millionnaires, offrant un spectacle à la fois à New York, à Londres, Paris et Hong Kong.

De même ils ont multiplié les « ventes multi-thématiques » ou « trans-départementales » et mélangent art ancien, moderne et contemporain, mode, montres et voitures3, sans oublier les « ventes de gré à gré » mais passant, c’est nouveau, par une exposition du produit sur Internet4. Enfin une alliance vient d’être conclue entre salles des ventes et galeries de prestige : seront affichées, pour la vente, sur le site de Sotheby’s5 des œuvres exposées en galerie.

Une victoire, un trophée est déjà apparu dès ce 18 juin sur le haut marché. En pleine Foire de Bâle dématérialisée, la galerie David Zwirner a exposé et vendu en ligne un Balloon Vénus de Jeff Koons, 8 millions de dollars, ainsi que trois autres œuvres, au-dessus du million. Bâle-Hong Kong, avait déjà en mars inauguré l’exercice de la Foire virtuelle avec un nombre record de visites et semble-t-il des ventes au-dessus du million. Entre fin juin et fin juillet, New York a fait ses très mondaines « ventes du soir », mais en ligne, diffusées dans le monde entier, avec autant de retard que de succès. Leurs chiffres d’affaires ont atteint des records.

De même jamais jusqu’ici les ventes en ligne n’ont atteint un tel niveau ! Les opérations habituelles dépassant rarement le plafond de 50 000 euros, dépassent aujourd’hui le million !

En très peu de temps les galeries jouissant d’une grande visibilité ont été en mesure de faire leur ouverture virtuelle et les ventes n’ont semble-t-il pas cessé. Les plus multinationales ont réduit leur voilure, en licenciant. Ainsi David Zwirmer s’est très vite allégé de 20 % de son personnel en particulier aux USA.

En France, les solutions sont différentes, exception française exige ! Le ministère de la Culture a prévu pour 600 000 euros d’achats exceptionnels effectués par le CNAP aux galeries conformes aux choix officiels, dont les plus importantes et internationales que compte la France.

Le problème en ce début d’automne ne concerne d’évidence pas, à ce stade de la crise, le très haut marché. Il répond efficacement à la demande, qui ne faiblit pas, de produits « Art contemporain », financièrement fluides et transfrontières.

Le choc du Covid-19 révèle d’autres réalités

L’incertitude qui plane sur ce marché d’essence globale qu’est celui de l’Art contemporain est ailleurs et rarement évoqué. Depuis une dizaine d’années le contenu idéologique et propagandiste de l’AC connaît une visible remise en cause.

Sa formule sophistiquée alliant transgression institutionnelle, discours moralisant, critique de la société, déconstruction civilisationnelle, produit financier haut de gamme, est perçue avant tout comme un moyen de contrôle. C’est le cas de nombreux intellectuels et artistes en Occident mais aussi de pays non-occidentaux qui ne veulent pas renoncer à leur culture et expriment une défiance vis à vis de l’Occident.

Il y a aussi les pays qui ont connu un totalitarisme sanglant et l’utopie d’un art également unique, final, indépassable et global et s’en méfient. Certains États dont la Chine, développent dans ce domaine un double jeu : ils accueillent les produits artistiques new-yorkais pour participer à la vie sociale et d’affaires internationales, et par ailleurs cultivent un retour à un art esthétique, porteur de leur civilisation et de sens.

Les effets de la pandémie risquent d’accentuer cette tendance en rendant moins fluides, aisées, arty, fun et rentables les relations d’affaires et la grande circulation des Boeing privés à l’occasion des foires, ventes, évènements de l’Art contemporain. Le global pour exister a aussi besoin d’être incarné, tangible.

Lors du confinement, une autre métamorphose est devenue très observable due à la circulation non contrôlée des images du monde entier grâce au numérique. Ce qui prédomine est l’attractivité des images, l’affinité naturelle que chacun développe avec elles. Le Net est devenu une source de visibilité en matière d’art qui supprime silencieusement les intermédiaires jusqu’ici dominants.

L’amateur devenu solitaire et confiné, procède par analogie, recherche, poursuit un désir, contemple les images, les compare, s’interroge, adhère ou rejette, sans mentir. Finie la sidération ! L’intimidation, jusque-là efficace, imposant des cotes sans aucun critère de valeur compréhensible, a fait son temps.

Si la pandémie a donné le temps nécessaire aux acteurs du marché de l’AC de se dématérialiser, elle les a rendus aussi plus fantomatiques. L’amateur d’art a pris dès lors son indépendance, il vadrouille, explore, va à la découverte sur Internet d’une création infiniment variée, surprenante, hors des normes et labels. Il se prend à jouir du privilège d’aimer.

Pour aller plus loin :
Art Contemporain, manipulation et géopolitique : Chronique d’une domination économique et culturelle, Aude de Kerros, éditions Eyrolles, décembre 2019. 

  1. AC, acronyme de « Art contemporain ». Il ne désigne pas tout l’art d’aujourd’hui mais l’Art, généralement conceptuel, produit par les acteurs et institutions du haut marché international.
  2. « Art Leaders Network » sous l’égide du New York Times réunit annuellement les personnalités décisionnaires du monde de l’Art (galeries, experts, foires, maisons de vente, galeries, ports francs, musées). Ce réseau permet collaborations et stratégies. Une partie des échanges est rendue publique.
  3. 28 juillet Sotheby’s vente d’un portrait de Rembrandt avec de l’art moderne et contemporain.
  4. L’ « @bay de luxe » de Sotheby’s.
  5. Sotheby’s Gallery net work.
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  • Je ne mettrai pas un centime dans l’art moderne c’est n’importe quoi!..
    Ah ben si, 600000€/60000000=1c€. Prélevé le mois prochain, à la source bien évidemment.

  • L’art ( peinture, sculpture) peut être une valeur refuge dans les époques troublées. Mais l’art conceptuel est-il apte à jouer ce rôle ?
    Je n’ai pas la réponse.

  • L’art contemporain est un dégât collatéral de l’étatisme et du progressisme.
    Les marchés traditionnels régulés et les capitaux et profits taxés ont réduit et rendu incertains les possibilités d’investissements. L’argent a du trouver de nouveaux débouchés et il s’est orienté entre autres vers des merdes issues du gauchisme donc avec l’assurance d’une bonne liberté sur le long terme.
    La « culture » des pays occidentaux draine ainsi artificiellement des sommes astronomique souvent de l’argent publique mais aussi des investissements privés qui cherchent des secteurs « sur » qui ne seront pas flingués par les gauchistes, bien au contraire.
    .
    Dans un marché réellement libéral et dans des pays peu étatisés, l’art contemporain serait anecdotique et la culture serait beaucoup plus riche, diverse et dynamique.

  • Les commentaires sont fermés.

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