Bac 2020 : la grande cuvée a bien eu lieu

Tout le monde a compris que le bac ne signifiait plus rien, qu’on a transformé, à leurs corps défendant, les professeurs en simples tampons encreurs dans un processus à la fois complexe et parfaitement artificiel.

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Diplôme du baccalauréat (Image libre de droits)

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Bac 2020 : la grande cuvée a bien eu lieu

Publié le 13 juillet 2020
- A +

Par h16.

Au pays des grosses feignasses, tout roulait comme sur des gommettes, c’est-à-dire n’importe comment puisque Jean Michel Toutvabien avait évolué en Jean-Michel Jimprovise. Si l’intrigue de la saison 1 reposait sur un arc narratif du type « on ne confinera pas mais en fait si », la saison 2 s’est studieusement penchée sur la définition raisonnable de la distance diaphane qui correspondrait à un mètre.

Alors que l’année s’achevait, Jean-Michel Jimprovise a eu une poussée d’honneur. Il fallait que chaque élève soit pris par la main et retrouve le chemin de l’école. Pour cela, l’administration s’est donc fendue d’un Protocole Sanitaire n°1 condensé en soixante pages A4 palpitantes de sabir bureaucratique.

Ainsi, il fallait quatre mètres autour de chaque élève, organiser des sens de circulation, alterner les entrées et sorties des différentes classes, désinfecter entre chaque classe et passer du gel hydroalcoolique partout alors que dans le Monde d’Avant, on n’avait même pas de savon dans les toilettes (ce qui constitue déjà, on le reconnaîtra, un remarquable progrès).

Avec de telles mesures, les élèves revenaient, pour deux jours chacun, sur la base du volontariat de parents qui n’étaient pas nécessairement trop chauds à prendre ce risque pour deux jours, éventuellement trois.

Ces réticences poussèrent l’administration à faire preuve de sa légendaire souplesse : puisque le Protocole n°1 semblait insuffisant à motiver la marmaille, elle a donc improvisé le protocole sanitaire n°2, puis, dans son habituelle foulée svelte et enlevée, le n°3 – toujours en soixante pages d’alinéas veloutés – et inventé le mètre latéral de distanciation à longueur variable suivant les circonstances, assortissant le tout de menaces envers les parents encore réticents malgré la subtile introduction d’un nouvel acronyme pondu pour fêter ça : le 2S2C, à savoir le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme, véritable « dispositif éducatif et ludique ». Ici, le niveau de frétillement bureaucratique est facilement au-dessus de 9000. Question d’honneur.

Tout le monde s’est donc pris la tête pour lire ces broderies protocolaires de soixante pages, pour déménager des tables, organiser des sens de circulation et des emplois du temps pour apprendre par PravdaTV dans une gestion du personnel quasi-épiphanique que finalement non.

On aura au passage une pensée émue pour tout le personnel de ménage qui, pour un salaire misérable et une invisibilisation complète, permet que le corps enseignant continue chaque jour de travailler.

Et puis vint la cerise de ouate de phoque concentré sur le gros gâteau de n’importe quoi que fut cette année scolaire : le baccalauréat fut aménagé parce qu’il fallait bien que les Jean-Enzo qui n’ont rien fichu de l’année ne plombent pas trop les statistiques.

Rassurez-vous : la recette est simple et avec une pincée d’arsenic métaphorique.

    1. On prendra soin de faire faire aux professeurs le boulot des secrétariats de baccalauréat gratuitement. On leur demandera d’entrer les notes en arrondissant au point supérieur systématiquement. Certains passeront ainsi des heures consistant à mettre 11 à des élèves à 10,01 de moyenne, sur des trouzaines de disciplines.
    2. On convoquera ensuite des jurys de baccalauréat pour examiner si, lycée par lycée, il ne faudrait pas ajouter un point à tous les élèves d’une cohorte parce que les résultats sont en dessous des résultats de l’année dernière, fût-ce pour un élève, mais surtout on expliquera aux professeurs que ce dispositif est mis en place pour garantir « le niveau d’exigence du baccalauréat » bien qu’ils ne puissent que remonter les notes. If you laugh, you loose.
    3. On reconvoquera le jury pour examiner les cas individuels, histoire d’éplucher les cas qui sont « à la barre », c’est-à-dire ceux qui, malgré les arrondis putassiers déjà pratiqués, sont encore un peu en dessous de quelques points pour l’avoir, passer à l’oral ou avoir une mention. À ceux-là, on pourra éventuellement donner des points si le bulletin montre que l’élève est sérieux. Ce point est classique et logique. C’est ce qu’on appelle un jury de délibération. On peut donner des points à un élève auquel il en manque deux pour avoir l’oral, le baccalauréat ou une mention, qui a été sérieux et volontaire toute l’année. On n’est pas des monstres. Évidemment, cette année, cette étape s’ajoute aux deux précédentes, déjà généreuses…
    4. Sous couvert de « simplification », improvisons des sous-jurys et le jury ; et pour info, si les résultats ont été si tardifs, c’est précisément à cause de cette simplification : si, avant, le jury de délibération était souverain, cette année en revanche ses décisions sont méticuleusement examinées par un méta-jury qui peut encore décider de monter les points qui à ce train ne font plus de l’escalade mais sont véritablement hélitreuillés à de nouveaux sommets.
    5. Au fait, lors du point 2, on aura soin de bien rappeler aux professeurs qu’ils sont tenus au secret car si la pédophilie est masquée, étouffée et niée au sein de l’institution, la désobéissance civile, non. Il y a des limites à tout.
    6. En bout de course, on finit par avoir beaucoup trop d’élèves pour les facultés puisqu’on n’a évidemment pas anticipé l’explosion démographique, et ce quand bien même les professeurs bassinent l’institution sur ce sujet depuis dix ans, en alertant notamment qui si on continue à distribuer ainsi le baccalauréat à tout le monde, l’université va finir par exploser.

Cette recette, appliquée cette année avec un dosage particulièrement peu subtil, aura permis à Jean Michel Jimprovise de faire un beau parcours : outre sa reconduction comme ministre de l’Usine à bacheliers au gouvernement Castex, il peut maintenant présenter des chiffres de réussite obscènes digne d’une production céréalière en plan quinquennal d’un pays soviétique.

Bien sûr, personne n’est dupe : tout le monde a maintenant compris que ce diplôme ne signifiait plus rien, qu’on a ainsi transformé, à leurs corps défendant, les professeurs en simples tampons encreurs dans un processus à la fois inutilement complexe et parfaitement artificiel, et pire que tout, qu’on a complètement dissout toute notion de compétition et toute valeur du travail fourni au profit d’un mensonge honteux d’égalité et de justice sociale qui, ultimement, seront directement préjudiciables à tous les étudiants.

Merci Jean-Mimi. C’est aussi grâce à toi que ce pays est foutu.

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  • Les parents de Jean-Enzo seront ravis qu’il puisse maintenant aller manifester à la FAC comme un grand avec une nouvelle paire de Nique et un nouveau Précieux, cadeaux de PapaMamman pour le féliciter de sa réussite bien méritée.

    Les employeurs seront peut-être un peu plus méfiants …

    • « Les employeurs seront peut-être un peu plus méfiants »? Meuh non, c’est l’Etat qui va employer tout le monde, il va créer des nouvelles lois pour créer des nouveaux sévices, et in fine, jean-enzo sera dans un bureau !

  • Pou a voir mon bak de fransais jé di que jé cri vé sur Contrepoint. E pi jè a zout é den forhume dé H16, Alor i m’on mi mention trai bien.

    • Un gentil lecteur a corrigé mon commentaire: « Pour avoir mon bac de français,
      j’ai dit que j’écrivais sur Contrepoint. Et puis j’ai ajouté dans forum de H16,
      alors ils m’ont mis mention très bien ». Quel chipoteur ce lecteur !

  • Les 60 pages, les roulements des élèves, la désinfection des salles en alternance matin/après-midi a tenu 15 jours.
    Les élèves ont été obligatoirement remis à l’école pour 15 jours. Dans l’établissement où je travaille, 90% des élèves sont revenus. Les masques, les distanciations sociales, les sens de circulation, les portions de cour allouées à chaque classe, l’interdiction des élèves se se mélanger avec d’autres élèves d’autres classes, ont tenu 2 journées et demie.
    Un pur succès !
    Pour près de 1000 élèves, le personnel de nettoyage est inférieur à 5 membres.

  • JMB: « Mon premier souci a toujours été les élèves, comment faire en sorte que cette génération ne soit pas sacrifiée ».
    Qu’est ce que ce serait si ce n’était pas le cas…

    • Les illettrés sortant de l’EN n’ont aucune chance de trouver du travail dans une civilisation numérique!

      • Mais si : 10 heures de cours sur C, C++, C#, golang, java, python, perl, SQL, javascipt, HTML, XML, XSLT, HTTP, Websockets et des cours de rattrapage d’orthographe et ils s’en sortiront très bien

        • @alan
          Bonsoir,
          Je me dis qu’avec plus de 50% d’élèves de 6ème, au niveau national, qui ne comprennent rien au français, ça va être très, très, très difficile.

        • 5 mn pour XML, je la sens bien, je ne sais pourquoi…
          Sans compter le reste, non négligeable…

          • Chacun des domaines est « tordu » à sa manière et demande donc pas mal d’expérience.

            Expliquons pour ceux qui ne sont pas du « métier » que cette liste représente ce qu’il faut connaître pour faire du développement « Internet – numérique – web – bidgata … ».

            Quand les politiciens nous expliquent qu’on va rattraper notre retard et donner une leçon aux Américains, je me demande naïvement où l’on va trouver les ressources.

            Pour les initiés j’ajouterais : la connaissance de Cobol pour recoder quelques millions de lignes de codes serait un plus !

            • @alan je ne partage pas votre optimisme. Passer 20 ans de sa vie à apprendre à bâcler, tricher, sans avoir acquis une seul savoir avec une quelconque exigence laisse des traces profondes et insurmontables, la nature ne repasse pas les plats. Je ne vois pas comment un individu qui ne sait pas écrire, lire ni compter correctement pourrait subitement coder proprement. Ce que beaucoup de jeunes n’ont pas appris c’est entre autre la rigueur, l’efficacité, le travail de la mémoire, l’acquisition des compétences ça se muscle. Petit exemple éclairant : mon père a passé son brevet de pilote à 75 ans, à l’examen il a fini une heure avant tout le monde et a eu la meilleure note. La différence : mon père a appris à étudier avec une redoutable efficacité.

              • Si vous me trouvez optimiste, c’est que vous avez lu mon commentaire au premier degré !

                Je suis totalement d’accord avec vous. Les « savoirs » nécessaires changent si vite qu’il faut apprendre en permanence. Cela suppose des bases solides en français, en anglais, en logique (mathématiques) plus la mémoire.

                Avec les réseaux, l’EN n’a plus le monopole du savoir. Mais les réseaux ne favorisent pas l’acquisition de la méthode ou la mémoire. Cela ne me semble guère pris en compte dans les politiques d’éducation.

                • désolée Alan je n’avais pas saisi votre pique d’humour. Une espoir peut être : les Chinois ont réussi a sortir de leur dramatique « révolution culturelle » laquelle avait littéralement mis à bas tout leur système éducatif. Espérons que nous en sortirons aussi, qui sait ?

  • Il y a encore un peu d’oxygène dans l’eau du bassin. Sa Frétillance Première s’épanouit avec des compagnons dans le genre Toutvabien.

    Je serais eux, je veillerais au niveau d’oxygène, parce que cela va bientôt sentir le poisson pourri.

  • C’est bien beau d’avoir des bacheliers mais reste t il des places à la fac pour les acceuillir, des chambres pour les loger et des sous pour leur pizza bière du soir

  • Pour avoir enseigné plusieurs années à la fac, je peux garantir que le niveau général des étudiants en L1 est de pire en pire, surtout en math et français. Et quand je leur explique que faire des fautes sur un CV ou une lettre de motivation c’est pas top, ils me regardent avec de yeux de merlans frits.. Ben oui m’sieur, je fais des fautes oui, mais regardez j’ai eu 14 au bac de français !!

    • L’année dernière, j’ai géré un appel d’offres pour une prestation informatique qui pesait quand même pas loin d’un million d’euros. Dans l’une des offres, j’ai dénombré trop de fautes d’orthographe. J’ai rejeté cette offre pour d’autres motifs mais j’ai quand même bien précisé que l’orthographe avait aussi fait pencher la balance. Personnellement, j’appelle cela de la paresse: sous n’importe quel éditeur que ce soit Word, Writer ou autre, un simple clic droit corrigera 90% de vos erreurs. A un million d’euros, on est quand même en droit d’avoir un minimum de rigueur.

      • Certains ne sont même pas fichus d’installer le bon dictionnaire…

      • C’est une lacune qui « fait pencher la balance » mais que l’on traînera indéfiniment par manque de temps pour la corriger dans la vie active.

        Cela dit, le mauvais niveau en anglais dans l’informatique est encore pire. Faut quand même pas espérer que les américains vont commenter leur sources ou documenter ce qui n’est pas « commercial » en français !

  • une pensée pour ceux qui ratent le bac..et qui ,d’une certaine façon ,devraient être le sujet….

  • Soyez confiants bonnes gens jean michel tout va bien ,qui n’a pas plus de solution que de cheveux ,veille au grain du désastre de notre éducation nationale.

  • çà en fait du pognon gaspillé dans l’Education Nationale, les universités,…
    il va falloir repousser les murs pour la nième fois, verser des APL, des bourses,… à tour de bras, tout çà pour un taux d’échec qui n’a pas encore réussi à rattraper le taux de réussite du bac. Maigre consolation.

  • En Alsace centrale, il y a un Bac qui conduit tout droit à des emplois: le Bac de Rhinau…

    (à Europa Park, entre autres)

    😉

    https://apps.tourisme-alsace.info/DotNet/LEI.Smallit/smallit.aspx?imageurl=http://apps.tourisme-alsace.info/photos/grandried/photos/261000185_12.jpg&width=600

  • Mais, H16, c’est une bonne nouvelle pour l’emploi, voyons !
    Pensons que sur de nombreux campus comme au Mirail (Toulouse), à Paul Valéry (Montpellier), à La Harpe ou Mazier et autres (Rennes), etc, en fait quasiment partout en France… les vendeurs d’Herbe devront embaucher du monde pour faire face à la demande !
    De même pour les tatoueurs ! Et la liste des besoins à pourvoir n’est pas close…
    Que ne nous réjouissons-nous de la poursuite de la chute de nos universités puisqu’elle va susciter des emplois nouveaux ?

  • Hé oui, après avoir été victorieux à Marignano ou à Marengo, nous voilà qui échouons lamentablement à PISA…

  • H16, je vous sens négatif.
    Pensez à tous ces jeunes qui vont prendre une année de vacance, ne pouvant suivre le premier cours de fac. Pensez à tous ces loueurs de chambrettes qui vont amasser de joyeux loyers financés par les APL.
    Pensez à tous ce bistrots qui aideront ces joyeux lurons à passer leurs journées.
    Il y a beaucoup de positif, le seul regret est que les quelques élèves qui ont fait un effort énorme pour être collés ne soient pas récompensés comme il se doit.

    • @Tany et je connais un certain nombre de jeunes tout frétillants de « profiter »(sic) de leur chômage ayant « réussi » (sic) avec brio leur rupture conventionnelle.Pendant ce temps là, les parents bossent … ma génération est la génération sandwich : les vieux en retraite et les jeunes au chômage (pas les nôtres ils sont aussi « couillons » que nous donc bossent pour que les autres profitent de leurs droizakis) ce spectacle de fin de civilisation est ahurissant.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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