Éloge de l’individualisme libéral 

En s’alliant libéralisme et individualisme peuvent donner chacun le meilleur de lui-même, se corrigeant réciproquement de leurs insuffisances potentielles et s’enrichissant mutuellement.

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Éloge de l’individualisme libéral 

Publié le 31 décembre 2021
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Par Alain Laurent.

Qu’y a t-il de pire au monde que le nazisme, le djihadisme ou la pédophilie ? L’individualisme, bien sûr ! Forcément « forcené » selon l’anti-individualisme primaire idéologiquement dominant, « atomisation du corps social », « déliaison » et « désaffiliation » sociales en sont les funestes conséquences, sans compter un hédonisme matérialiste et un désastreux repli sur soi. Mais l’ennemi public n°1, c’est sans conteste l’individualisme libéral, conjuguant l’individualisme à un horrible libéralisme forcément « débridé » ou « ultra ».

Pourtant, cette alliance a été le sel de la civilisation occidentale et le terreau intellectuel du primat de la liberté individuelle responsable et la créativité entrepreneuriale. Et rien n’importe donc plus que la rétablir dans sa vérité et sa signification non biaisée.

De l’individualisme bien compris

Distingué et expurgé de ses pratiques dégradées (égoïsme trivial, narcissisme…), l’individualisme présente sous sa version « noble » et philosophique une singulière diversité d’interprétations : individualisme « aristocratique » (Nietzsche), anarchisant (Stirner), dissident (G. Palante), spirituel et existentiel (Kierkegaard), socialisante (O. Wilde, Jaurès), libertaire ( É. Armand), libertarien (Spooner, Nozick) – et… libéral.

Historiquement premier à le faire, Benjamin Constant a su en caractériser la commune « substantifique moelle » :

L’individualisme établit pour premier principe que les individus sont appelés à développer leurs facultés dans toute l’étendue dont elles sont susceptibles ; que ces facultés ne doivent être limitées qu’autant que le nécessite le maintien de la tranquillité, de la sûreté publique ; et que nul n’est obligé, dans ce qui concerne ses opinions, ses croyances, ses doctrines, à se soumettre à une autorité intellectuelle en dehors de lui… (Revue encyclopédique, 1er février 1826).

Voici donc ce qu’est l’individualisme bien compris : la créativité humaine réside dans cette seule réalité pensante qu’est l’individu, et elle a pour condition nécessaire l’indépendance d’esprit, accomplissement d’une « déclaration d’indépendance individuelle » (Ralph Waldo Emerson).

Libre gouvernement de soi, volonté de pleinement exercer notre capacité d’autonomie par l’autodétermination en décidant par nous-mêmes de ce qui nous importe, désir de vivre « selon soi » (Montaigne), par soi et pour soi (mais pas que pour soi !) en sont, comme la souveraineté sur soi, les expressions existentielles conséquentes – aux antipodes du conformisme, du collectivisme et du groupisme.

Les sources de l’individualisme libéral

Parmi toutes les versions possibles de l’individualisme, la « libérale » apparaît la plus cohérente et porteuse de « convivance » en ce qu’elle assure et garantit un droit de propriété sur soi indispensable à la souveraineté de l’individu, et qu’en s’adressant à l’individu en général, elle s’applique à tous les individus et pas seulement soi-même.

Cette spécificité s’explique historiquement : individualisme et libéralisme sont simultanément apparus et pour les mêmes raisons lors de la Renaissance, d’emblée en forte intersection matricielle axée sur une revendication de liberté individuelle étendue à tous les aspects de l’existence – sans autorisation ni permission des « autorités ».

Et de Locke et Humboldt à Mises ou Revel, ce sont bien souvent les mêmes penseurs qui ont « inventé » l’individualisme et le libéralisme, puis les ont explicitement conjugués en donnant corps de manière polyphonique à l’individualisme libéral.

« Sans individualisme, il n’y a pas de libéralisme » put en conclure le philosophe Norberto Bobbio.

Les vertus d’une belle alliance

En s’alliant libéralisme et individualisme peuvent donner chacun le meilleur de lui-même, se corrigeant réciproquement de leurs insuffisances potentielles et s’enrichissant mutuellement. C’est en s’inspirant de la philosophie sociale et morale libérale que l’individualisme peut parer au risque de dérives erratiques et anomiques provoquées par une conception hyperbolique de la souveraineté individuelle.

Dans l’individualisme libéral, le libéralisme canalise la force motrice de l’individualisme, lui permet de socialement s’organiser et d’être vécu en société, en sanctuarisant juridiquement le respect et le développement de la liberté individuelle par le Droit, décliné en droits s’imposant à l’État chargé de les protéger. Et en institutionnalisant la logique de la responsabilité individuelle, condition d’une pleine jouissance de la liberté individuelle en société en incitant les individus (considérés en acteurs autonomes) à assumer les conséquences de leurs actions, à les réparer et à tout faire pour les anticiper et les éviter.

L’individu responsable de l’individualisme libéral est du coup un individu fiable, qui inspire confiance aux autres dans un lien social authentique nourri d’une responsabilité qui n’est pas le « revers » de la liberté individuelle mais sa condition régulatrice d’exercice en commun.

De l’individualisme, le libéralisme reçoit un robuste ancrage dans l’individuel et l’interindividuel sans lesquels il perd son assise théorique et sa raison morale d’être. Présupposant l’existence première des individus, le soubassement cognitif du libéralisme n’est effectivement autre que l’ « individualisme méthodologique » qui, contre les conceptions holistes, voit dans les phénomènes sociaux le résultat complexe d’un « effet de composition » produit par les relations entre individus dotés d’autonomie.

Trop de libéraux croyant par ailleurs que seul l’État peut menacer la liberté individuelle, la pétition individualiste leur rappelle qu’elle l’est tout autant par le collectivisme moral, culturel et sociétal. Et qu’il revient à un État de droit musclé de sécuriser l’indépendance et la liberté effective de choix de l’individu contre la tutelle du groupe, l’assignation communautariste à résidence culturelle forcée et le retour à l’enfermement grégaire du « tribalisme » combattu par Hayek, K. Popper et Ayn Rand.

En ces temps troublés, aux tendances à un ré-enracinement identitaire et nationaliste s’ajoutent désormais avec le covid-19 celles de la résurgence de l’étatisme bureaucratique, du contrôle social paternaliste par recours à une surveillance numérique invasive.

Comme l’a dit Vargas Llosa, « le coronavirus ravit tous les ennemis de la liberté » (Le Point, 9 avril 2020). Et c’est en réalité la liberté individuelle dans tous ses états qui se trouve encore plus… confinée. Pour résister à la vague liberticide de social-fascisme montant, ne sont-ce pas les valeurs et vertus de l’individualisme libéral qu’il faut réactiver : responsabilité personnelle, respect de la vie privée, coopération volontaire et liberté critique d’expression ?

Cet article a été publié une première fois en avril 2020.

 

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  • Merci pour cet article.
    J’apprécie particulièrement votre chute, qui résume l’actuelle situation dans bien des pays :
    “Pour résister à la vague liberticide de social-fascisme montant, ne sont-ce pas les valeurs et vertus de l’individualisme libéral qu’il faut réactiver : responsabilité personnelle, respect de la vie privée, coopération volontaire et liberté critique d’expression ?”.
    Alors que (Amazon ne livre plus) nous allons être pendant un mois au moins privés de support de réflexion et de développement de l’esprit, ce genre d’article est bon et précieux.

  • Il est paradoxal qu’on critique l’individualisme de notre société, qui serait la cause de nos maux, alors meme que tout le monde s’accorde sur la nécessité de protéger les individus et que l’on refuse une gestion collective de la crise qui consisterait à acquérir rapidement une immunité de groupe par la libre circulation du virus (mais à quel prix individuel)…

  • D’un côté il y a les moutons qui ne sont pas conscients d’eux-mêmes et de l’autre les individualistes libéraux qui savent plus ou moins qui ils sont, mais par dessus tout libres de choisir (dans la limite de la place que leur laissent les moutons 🙂 )

  • «Trop de libéraux croyant par ailleurs que seul l’État peut menacer la liberté individuelle, la pétition individualiste leur rappelle qu’elle l’est tout autant par le collectivisme moral, culturel et sociétal.»

    Tout à fait !

    Je rajouterai que pour être cet individu singulier, il est essentiel comme le disait Hayek de combattre en premier lieu l’ignorance de soi en développant sa subjectivité : «Plus l’individu sera capable de développer ce travail introspectif, plus les réponses de son cerveau à l’environnement seront contrôlables et efficaces.» Pour lui être subjectiviste c’est considérer qu’il y a en chacun de nous plus d’éléments de singularité que de communauté.

  • La liberté individuelle recule avec la responsabilité individuelle qui a été l’un ees fondements de notre droit. C’est sans doute l’évoltion de ce dernier qu’il faut interroger.

  • Comme le pensent les libéraux – et c’est pour ça que je le suis – la mission fondamentale et incontestable (on peut dire ontologique..) de l’homme, c’est de réussir sa vie, d’abord pour lui-même, sa famille, ses proches et son environnement.
    C’est ce que Ayn Rand nomme (sans doute à tort car sujet à lecture triviale), l’ « égoïsme rationnel » qui confirme que l’homme doit s’occuper avant tout de son propre destin, par son travail, ses efforts, ses talents, qu’il doit aspirer à l’autonomie sans rien attendre des autres, et que si chaque individu procède ainsi, la société y gagne globalement.
    Car l’homme étant aussi un animal social, l’individualisme de chacun a besoin de collaborer avec celui des autres dans l’intérêt de tous.
    Contrairement au socialisme qui développe l’asservissement à un système pré construit, à l’assistanat, à la dépendance et l’égalitarisme qui tirent progressivement l’ensemble de la société vers le bas, le libéralisme propose une société de l’effort permanent vers la réussite, la remise en cause perpétuelle par le travail, l’innovation et l’adaptation perpétuelle au monde.
    Est-ce pour autant le « renard dans le poulailler » selon l’expression habituelle de ceux qui condamnent l’égoïsme (trivial cette fois ci) des libéraux ?
    Non car l’individualisme libéral respecte par nature l’individualisme des autres sinon le sien propre n’a plus de raison d’être respecté. La responsabilité de chacun est donc lourdement sanctionnée chez les libéraux car elle est consubstantielle à l’individualisme de chacun, et c’est ce qui rend juste et équitable l’ensemble du système. C’est l’Etat de Droit.

    • Presque complètement d’accord avec vous car un peu de contradiction cependant dans les termes en ne citant que le socialisme et oubliant (volontairement) le conservatisme, ou toute autre forme de restriction collective.

  • Bravo Alain !
    Il faudrait que cet article soit lu par tous les crétins qui conspuent l’individualisme et le libéralisme.

  • Toute la difficulté dans la compréhension de l’Individualisme est de faire la part des choses avec l’égoïsme, la conscience de soi, la souveraineté de l’individu et la responsabilité individuelle élargie aux autres.

    • Toujours autant suspecte pour moi cette notion de responsabilité. L’individu est responsable de lui et lui seul. Envisager la responsabilité comme un devoir envers autrui, c’est mettre le doigt dans l’engrenage du collectivisme.

      -1
      • Libéral, on a le devoir de les autres libres d’être individualistes eux-aussi. L’individu devrait être responsable ne pas empiéter sur la liberté des autres. C’est trop facile de forcer son chemin en écrasant tout sur son passage au nom de la liberté, et en affirmant qu’on n’a pas à se préoccuper d’autre responsabilité ou liberté que celles de soi-même.

  • Tout est question de mots, mais …

    Pour moi l’individualisme n’est qu’un trait de caractère plus ou moins présent et plus ou moins reconnu comme tel et assumé par chacun de nous.

    Quand on reprend ce terme dans un sens politique, on tombe dans le piège du discours de gauche. Tout autant que par exemple le terme de nationalisme est un élément de langage du discours de droite.

    Mais en fin de compte, qui est plus individualiste au pire sens d’égoïste et narcissique que les politiciens eux-mêmes. Ils choisissent délibérément cette carrière pour le pouvoir, ne travaillent que pour l’élection de leur petite personne et ont un ego démesuré. On ne me fera pas croire que la majorité des syndicalistes en haut de l’échelle qui défendent en priorité l’intérêt de leur syndicat sont différents. Ni les activistes qui veulent imposer leurs idées par tous les moyens et non par le dialogue.

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