Par Richard Guédon.
Catastrophe sanitaire, débâcle anthropologique, ramollissement cognitif, crétinisme digital, le moulin à grands mots s’emballe une fois de plus à propos des écrans.
Des médecins, psychologues, sociologues, enseignants, éducateurs, parents d’élèves, et à leur suite certains politiciens s’affolent, smartphone en main, devant l’envahissement de la vie quotidienne par les outils numériques en tous genres.
De plus en plus fort sont lancés les appels à la réglementation, à l’interdiction, à la contrainte, puisque bien sûr les individus sont présumés incapables de gérer seuls leur usage et, plus encore, les enfants innocents sont menacés par un nouveau monstre technologique mondialisé.
Dr Jekyll et Mr Hyde
Écran, mot dialectique, véritable Dr Jekyll et Mr Hyde sémantique qui signifie tout à la fois cacher et montrer, éteindre la lumière et l’allumer, interdire les images et les multiplier en accédant aux phénomènes distants. L’écran total c’est le cosmétique censé interdire aux rayons solaires l’accès à la surface de l’être humain et ainsi le protéger des particules venues de son créateur.
En cachant, l’écran nous protège, en ouvrant une brèche dans le mur de la réalité environnante il nous fascine et nous menace.
Par cette brèche, devient disponible une nouvelle source d’images et de représentations, avec laquelle nous entrons passionnément en interaction.
Le sage dit : « dans ce qui te paraît nouveau, cherche ce qui est ancien ».
Les philosophes nous enseignent que l’esprit humain ne peut accéder qu’à des images du monde extérieur mais qu’il peut, grâce à son entendement et avec sa raison, en organiser avec une extraordinaire souplesse les représentations à son bénéfice.
Les neurosciences montrent que, du point de vue du fonctionnement cérébral, il n’y a pas vraiment de différence entre les images qui nous arrivent de notre environnement immédiat et celles qui nous parviennent par l’intermédiaire de média, c’est-à-dire la plupart du temps au travers d’un écran. C’est ce qui explique leur puissance émotionnelle.
Oui mais, dira-t-on, il est facile de fausser les images qui nous viennent des écrans, qui sont maîtrisées par un intermédiaire avant de nous parvenir. Peut-être, mais nos perceptions immédiates ne sont pas moins suspectes : voir l’exemple classique du bâton dont l’angle change en traversant la surface de l’eau, voir aussi l’influence directe de notre environnement humain quotidien sur nos représentations, nos préjugés et plus largement notre culture : les images qui nous semblent parvenir des objets les plus proches ne sont pas moins immédiates que celles qui viennent de plus loin.
En réalité les images qui atteignent nos systèmes cognitifs par l’intermédiaire des écrans ne sont pas de moins bonne qualité que celles qui nous semblent immédiates. Toutes sont utilisées par notre entendement pour forger ses représentations.
Plasticité cérébrale
S’il ne fallait retenir qu’un mot à propos du fonctionnement de notre cerveau, c’est celui de plasticité. Il prend tout, recycle tout, associe tout, jette, transforme, compare, construit, stocke et n’est pas moins performant à traiter les représentations venues d’ici ou là. Il n’est pas moins méfiant, confiant, naïf, averti à l’égard de ce qui lui vient de la télévision, des réseaux sociaux ou de YouTube que quand il discute avec des amis, écoute papa – maman ou le professeur, rêve devant un paysage, lit un livre.
La véritable nourriture de l’être humain, sa caractéristique biologique évolutive spécifique, ce sont ses représentations, qu’il voudra toujours plus nombreuses, variées, diverses, d’où qu’elles viennent. Il a commencé, peut-être, à dissocier ses représentations personnelles de la nature (objectivation) en voyant sa main lui obéir à distance et il n’a cessé, depuis, d’élargir son territoire de chasse aux images, un territoire qu’il ne partage avec aucun animal.
Le numérique n’est qu’un terrain de jeu de plus après la chasse (la vraie), les interactions sociales du clan, les peintures rupestres, l’architecture, l’habillement, les bijoux, la musique, les jeux du cirque, les cathédrales et leur vitraux, l’écriture, le livre, la photo, le cinéma etc.
Recompositions cognitives
Comme chaque fois dans l’histoire de l’humanité, la découverte d’un nouveau continent de représentations disponibles produit des effets pratiques sur les individus et les sociétés, avec des changements dans les formes et de la répartition des pouvoirs, nouveaux gagnants nouveaux perdants, changement dans les chaînes de valeur ajoutée.
Concernant le numérique, ces mutations commencent à se dessiner sous nos yeux et chacun pressent que nous ne sommes qu’au début de recompositions cognitives, relationnelles, économiques, politiques et pourquoi pas religieuses.
Comme lors de chacune des crises des représentations précédentes, l’irruption soudaine du nouvel angle de vue est plébiscitée par les individus, à condition qu’on leur en laisse l’accès. Ils le vivent comme une extension de leurs possibilités personnelles, en commençant par les générations les plus jeunes. Dans le monde entier, du point de vue des écrans, les plus et les moins de 35 ans n’habitent pas exactement sur la même planète !
À l’inverse, cette nouveauté radicale est vécue comme une remise en cause insupportable de l’ordre établi par les experts des systèmes d’informations en place. Ou pour dire les choses autrement, les rentiers craignent, à juste titre, pour leur rente, les clergés pour leur dîme.
Maintenant doit-on accueillir toutes ces nouveautés avec le sourire béat de celui ou celle qui sait ? Non bien sûr. Doit-on regarder benoîtement se creuser les poches sous les yeux de son ado occupé chaque nuit à jouer en réseau depuis son lit avec ses copains ? Bien sûr que non.
Rien n’est écrit à l’avance
Nous l’avons dit, un nouveau système de représentations est aussi une nouvelle ère dans l’histoire des hommes et rien n’est écrit à l’avance.
C’est à chacun d’être, ou non, à l’affût des opportunités innombrables du numérique, à titre personnel pour accroître sa connaissance et sa compréhension du monde, au plan professionnel pour mieux comprendre les recompositions en cours dans les chaînes de valeur, à titre collectif pour mieux vivre avec les autres.
Concernant les menaces il faut distinguer celles, imaginaires, agitées par les clergés en tous genres, entre mille exemples : « les écrans provoquent un effondrement du quotient intellectuel » (M. Desmurget : La fabrique du crétin digital. Seuil) des effets indésirables éventuels sur la santé de technologies encore mal connues. Si on y regarde de près, aucun danger spécifique n’est encore établi scientifiquement pour les écrans modernes, seule la lumière bleue est sous surveillance au nom du principe de précaution. (Lumière bleue ANSES 2019)
Les questions liées à la gestion des adolescents dans les sociétés modernes n’ont que peu à voir avec le numérique et tout avec la dynamique familiale : le Lucas d’aujourd’hui joue la nuit sur sa PS4 à distance avec ses amis quand son grand oncle Bernard lisait des romans coquins à la même heure au même endroit, et les cernes sont les mêmes.
Si des parents laissent un enfant de 3 ans des heures durant devant un écran pour le calmer, le problème vient de leurs difficultés à s’occuper de leur enfant, pas de l’écran, il ne faut pas inverser la chaîne des causalités.
Pas d’autodafés numériques
Alors s’il vous plait, pas d’appels à l’interdiction, pas d’autodafés numériques, pas de campagnes d’inquiétudes quand il faut accompagner et rassurer. Les nouvelles technologies offrent des opportunités extraordinaires aux médecins d’aujourd’hui, qu’ils ne perdent pas leur temps à guerroyer contre des moulins. Les très bons profs feront toujours lever le nez des potaches de leur smartphone et les parents ne doivent pas déléguer leurs responsabilités aux gouvernants, dans le numérique comme dans le reste.
Pour terminer, un exemple entre mille dont le pathos ne tient qu’à la profession de l’auteur, la médecine : cette personne jeune, atteinte d’une maladie mortelle termine sa vie loin de son pays, où sa sœur s’occupe de son fils de 2 ans ; par l’écran de WhatsApp, cinq fois par jour, elle lui parle, le voit et l’entend, et l’enfant voit, entend sa mère, et lui parle.
C’est la meme revolution que l’apparition de l’imprimerie , qui a permis de diffuser plus facilement qu’avec les moines copistes..
On passe de l’ère « Gutenberg » , a l’ère « marconi » et avec internet on rejoint les théories de « theillard de chardin » avec l’expression du monde global enregistré pour la premiere fois
je dois dire que j’ai du mal à distinguer dans les critiques du digital celles qui tiennent à la remise en compte de la hiérarchie des compétences et les inquiétudes légitimes..
à moins de preuves flagrantes de la nocivité des médias..il faut être arrogant pour présager ce qu’il adviendra…
je me demande si il y a eu des débats critiques sur l’amoindrissement de la capacité mémorielle après l’invention de l’écriture…
merci pour ces rappels…
Dès que l’Etat obèse alerte sur un danger, c’est qu’il dissimule deux choses : un mensonge d’une part, une taxe d’autre part.
« Un mensonge d’une part, une taxe d’autre part » c’est exactement cela, comme le CO², le glyphosate etc.
Je pense que les compraisons oiseuses entre les ėcrans et l’invention de l’écriture manquent de références
mėthodologiques …en fait vous n’exprimez qu’une opinion comme dans une banale discussion entre personne plus ou moins informées. En face « La fabrique du crétin digital’ vous offre plus d’un millier de publication parues dans les diverses revues scientifiques, vous instruisent sur les modifications qui affectent le développement des circuits neuronaux et vous expliquent que la notion de période de ce développement des capacités peut etre definitivement fermée.
L’homme digital qu’on nous prédit multitâches,s’avère un mythe à moins que vous nous produisiez quelque ėtude scientifique avec bibliographie.
il ne s’agit pas de l’invention de l’écriture mais de la capacité a diffuser l’écrit.. he oui , je donne une opinion d’informaticien .. desolé
Je viens de voir une video (à travers un écran donc) de ce monsieur parlant de son livre chez Yann Barthès et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne convainc pas. Il y a des études qui montrent la baisse du QI, pour la 1ère fois le QI d’une génération est en moyenne plus faible que celui de la génération précédente. Et ce serait dû aux écrans. Je dis bien « serait dû » car les études décrètent qu’il y a un problème avec les « écrans » et décident de chercher la cause de situations précisent (obésité, QI faible etc) dans les écrans.
Pourquoi le QI ne baisserait-il pas du fait de la baisse du niveau exigé à l’école ? C’est sûr que vu le niveau demandé, le cerveau n’est pas poussé à se développer.
Car »écrans », ça ne veut rien dire ! Tout comme vous pouvez regarder en boucle Nabilla et les Marseillais, vous pouvez aussi regarder Des chiffres et des Lettres (ou le très bon Pyramide de ma jeunesse) ou RMC Découverte. Tout comme vous pouvez lire la littérature philosophique ou Voici.
Quid des nouvelles études faisant état, au contraire, d’un développement des liaisons entre neurones accéléré par les jeux vidéo ? De la capacité de concentration accrue de ces joueurs ? Pourquoi passer 3h sur un écran entraînerait davantage d’obésité que 3h de lecture ?
Bref, ce monsieur a trouvé un bon filon, écrire et vendre un livre qui surfe sur la vague de la bien-pensance, et il a eu bien raison, ça marche. Il est le Greta des écrans.
Je recommande à tout le monde WordBlitz, excellent jeu de mots qui est à l’écran mondialisé ce qu’est le Boogle à la famille, et quand la famille est couchée, ben c’est bien pratique…
Le vrai danger du numérique est dans l’abus du jeu, une drogue difficile à éliminer de sa vie.
Sinon lire un livre ou lire un écran… Le cerveau se comporte de la même façon avec un accès à la connaissance jamais égalée. Ça fait peur aux détendeurs du pouvoir ils préféraient sans doute le latin de caste pour domestiquer les populations que la traduction instantanée.
Le problème grave à comprendre est que pour un enfant la télévision et les programmes dits éducatifs pour tablette sont un échec . Le bénéfice éducatif est très faible devant un apprentissage avec un humain. Les références bibliographiques sont là il suffit de bien vouloir en prendre connaissance.
Lire et faire leffort de comprendre ce qu’on litque ce soit sur un livre ou une tablette n’est pas le problème. Le pretendu bénéfice de rapidité des addicts au jeux video est très documenté et devient en fait unehyper attention aux changements de l’environnement visuel suivi d’une difficulté à fixer son attention sur un livre ou une activité physique. Mais chaqu’un est libre de louper l’éducation de ses enfants en refusant de s’en occuper. Vive la télé nounou pour faire de gentils décérébrés qui voteront pour le camp du bien
Le problème grave qu’il faut que vous compreniez est la généralisation abusive que vous faites/que font les bienpensants. Non les programmes éducatifs à la télévision ou sur tablette ne sont pas un échec. Je peux vous garantir que « Les Petits Einstein », « Dora l’exploratrice », « Il était une fois l’Homme » ou « C’est pas sorcier », pour ne citer qu’un petit nombre de bons programmes, sont plébiscités par nombre d’enfants et leur ont énormément appris.
Tout est dans l’éducation.
Mon fils de 17 ans est un geek qui passe ses journées sur les jeux video/vidéos en ligne. Il a un QI de 134. Régulièrement il nous parle de fusion nucléaire, des véhicules électriques, de la différence entre les pingouins et les manchots, des exoplanètes, j’en passe et des meilleures. Il se renseigne sur internet. Mais offrez-lui un livre sur les thèmes qui le passionnent et il va le dévorer. Il est épais comme un sandwich SNCF, souple et sportif comme un arbre peut l’être… nous lui faisons faire de la muscu, de la marche dans la nature, ses devoirs aux forceps. Tout est dit : l’éducation, les parents ont un rôle, les écrans le leur.
Je précise que mon frère est taillé comme mon fils côté muscles et cerveau. A une époque où internet n’existait pas. Il faisait encore moins de sport, lisait, lisait, et nous parlait comme mon fils. Tout est dit : l’éducation, la nature du cerveau de chacun à un rôle, les écrans le leur lol.
Soit votre enfant est suffisamment curieux pour se documenter tout seul sur plein de thèmes (assez rare je vous l’accorde) soit vous l’y poussez.
Je suis pas medecin mais j ai des enfants. Il est facile de voir l impact du numerique: visionner des video sur youtube, jouer a des jeux online. SI tout n est pas a jeter, je constate que les enfants ne vont pas regarder des videos de vulgarisations scientifiques ou autre mais des videos debiles. De meme, la pratique massive de jeux video fait qu ils ne font plus d exercie physique : seul le pouce se muscle
Sur un plan personnel, j ai remarque que depuis que j ai une voiture avec un systeme de navigation, j ai plus de mal a memoriser la topographie d une ville. Avant je devait savoir ou etait quoi. maintenant, j entre la destination et je me contente de suivre les indications. Un jour il est tombe en panne et j ai eut du mal a retourner a un endroit ou j etais alle plusieurs fois
Exactement. Le danger du numérique est qu’on s’habitue très vite à pouvoir attendre du « tout cuit » d’internet, et bien peu d’avantages supplémentaires d’un effort personnel, de mémoire ou de compréhension. Le rôle des parents et autres éducateurs s’en trouve accru pour valoriser l’effort personnel, et la conscience des risques à dépendre inconditionnellement du numérique. Comme pour les clients qui ne savent pas combien fait une réduction de 50% sans recourir à la calculette…
Les enfants jouent à des jeux débiles, numériques ou pas. Que feraient ils sans le numérique, des études.?….non, des jeux débiles.
Le GPS fait perdre le sens de l’orientation…. Hum, faut il encore l’avoir eu avant.! D’expérience le GPS ne sert que pour une destination inconnue ou difficile à atteindre dans des villes sans âmes ni repères.
@Reactitude
D’accord avec vous pour les jeux des enfants. Tout comme il faut les pousser pour qu’ils étudient, il faut les pousser pour qu’ils lâchent leurs videos débiles et regardent des émissions intéressantes. Mais là encore, tout dépend tout de même de l’enfant. S’il est curieux de nature et aime apprendre, vous n’avez pas besoin de le pousser à faire ses devoirs et il prendra le réflexe d’aller consulter internet pour les questions qu’il se pose.
En revanche, pour le GPS, je pense comme cdg et MichelO : si vous roulez avec le GPS vers une destination inconnue, vous devez faire l’effort de prêter attention à l’itinéraire en roulant, sinon vous aurez recours au GPS à chaque fois que vous retournerez à cette adresse. Là encore, l’important est d’en prendre conscience, ensuite on est libre de préférer se laisser guider.
@reactitude
1) non. Si vous supprimez la tablette, l enfant ne va pas forcement jouer a un jeu debile. Par ex le mien va raler, dire qu il s ennuie puis va prendre un livre. Et meme s il joue a un jeu debile (genre courir en rond en criant) c est toujours mieux que de regarder passivement une video debile : il fait du sport
2) pour le sens de l orientation, je fait un constat personnel. Ce que j arrivais a faire avant (pas de GPS), je n y arrive plus apres (car j ai pas pris la peine de memoriser l itineraire). Et un GPS ne sert pas uniquement une destination inconnue. C est aussi utile en cas de bouchon car il vous deroute avant de rester coincé (TMC : ca marche peut etre pas en france mais tres bien en RFA)
l’écran rend passif !
@cdg
Vous pensez vraiment que vos enfants sont dans le tout-blanc ou tout-noir ? J’ai moi aussi des enfants : si l’une regarde des vidéos « débiles », à côté de ça c’est une demoiselle qui a beaucoup d’amis et passe pas mal de temps dehors, qui fait spontanément ses devoirs et danse tous les jours dans sa chambre (et en cours avec un prof). Donc des vidéo débiles et plein de positif.
Quand à l’autre, j’en parle plus bas dans un autre commentaire. Pour lui donc, beaucoup de jeux vidéos, un pouce très musclé, mais plein de positif côté cerveau.
Et tous les 2 ouverts aux autres et à la nouveauté.
Le monde (comme les enfants) n’est ni tout-blanc ni tout-noir, il en est de même pour les « écrans », contrairement à ce qui est claironné par la bien-pensance (dont je pense que vous ne faites pas partie, je préfère le préciser)