Par Michel Faure
Jean Daniel est mort mercredi soir à l’âge de 99 ans et je veux lui rendre hommage ici, dans Contrepoints, quotidien libéral, même si lui-même fut un homme de gauche. Personnage hors du commun, partisan de la morale de la vérité, il m’a profondément influencé, sans doute comme beaucoup d’autres journalistes de ma génération.
C’est lui qui m’a confirmé, par son exemple et ses écrits, que le journalisme était un beau métier alors que j’étais encore adolescent. C’est aussi lui qui m’a aidé, quand j’étais étudiant et flirtait avec un gauchisme assez libertaire, à comprendre que la gauche venait du cœur plus que de la théorie, et que la réforme et la démocratie étaient l’horizon, modeste mais pragmatique, du bonheur dans la cité. Grâce à lui, j’ai respecté les faits et admis qu’ils étaient souvent têtus et me contredisaient parfois. Bref, il fut mon maître, sans le savoir – l’un de mes chagrins est de ne l’avoir jamais rencontré. Il m’a appris l’honnêteté et le courage intellectuels.
Il fut l’un des plus grands journalistes français, reporter passionné, puis éditorialiste influent et respecté. Il couvrit pendant plusieurs années la guerre d’Algérie, fut blessé à Bizerte, porta un message de John Kennedy à Fidel Castro et interviewa ce dernier au moment même où le premier était assassiné. À L’Express, qui fut longtemps mon employeur, puis au Nouvel Observateur, qui acheta l’une de mes premières piges, il fut à la fois une figure tutélaire et un explorateur infatigable des lumières et des ombres de notre temps.
En 2010, à l’âge de 90 ans, dans l’un de ses éditoriaux du Nouvel Observateur, il écrivit un texte mémorable intitulé « Pour un réformisme radical ». Daniel ne le dit pas, mais cet émouvant papier ressemblait à un testament politique.
Il citait d’emblée les siens : Albert Camus, qui le premier a employé cette expression de « réformisme radical » ; le philosophe Michel Foucault, qui a évoqué « la morale de l’inconfort », devenue celle de Daniel ; Spinoza, enfin, qui suscite chez lui une réflexion sur « le bonheur sans transcendance ». Il s’agit, ajoute-t-il, « tout simplement d’une éthique de gauche ». Elle se résume ainsi :
Je ne veux pas changer le monde, je veux le réformer. Je suis réformiste non pas seulement par renoncement à la révolution mais par croyance aux progrès.
Ce réformisme radical « se conçoit à l’intérieur de l’héritage des Lumières ». Son radicalisme « empêche les compromis de devenir compromissions ». Il est « un esprit de conquête nullement incompatible avec la passion démocratique, la vigilance républicaine, l’imagination de la modernité. »
Après le chaos et les horreurs du XXe siècle (non pas que le XXIe ait vraiment bien commencé !), Daniel affirma cette vérité : aujourd’hui « le péremptoire n’est plus supportable.
Le libéral que j’étais alors devenu fut à la fois ému par ce sobre et ferme bilan d’une longue vie dominée par la politique et la sagesse, mais aussi en discordance avec lui sur ses désirs d’égalité et de redistribution sociale. Mais elles sont toujours restées chez moi respectueuses du cheminement de la pensée politique de Daniel qui n’avait que pour finalité la bienveillance et la paix.
L’époque, écrivait-il en cette fin de la première décennie du XXIe siècle, est à l’éclatement des dogmes. Dès lors, « une haine s’impose, et le mot n’est pas trop fort, celle de tous les absolus ». Il cita en conclusion l’écrivain François Cheng : « Tous les jugements, tous les cultes et tous les rites peuvent disparaître, sauf un seul, celui de la beauté ».
Cette synthèse des pensées de toute une vie avait provoqué l’émotion que suscite chez moi la douceur d’une intelligence. On y percevait le goût du débat et de l’introspection, et cette éminente qualité intellectuelle qu’est le doute, le refus des certitudes, le respect des faits et des leçons de l’expérience.
En cela, sans le dire, Daniel effleurait du bout des doigts l’essence même du libéralisme. Et de même qu’il m’a influencé jeune homme, il m’inspire toujours aujourd’hui, beaucoup plus vieux, par la bienveillance de sa pensée et sa passion pour une politique sensible aux réalités et à la morale. En raison de cette fidélité subliminale envers un penseur singulier d’une gauche des Lumières, je tente toujours d’appliquer dans ma vie quotidienne ce que Raymond Aron appelait « la modestie libérale.
Par ce texte qu’il ne lira jamais, je lui dis tout simplement merci.
Daniel était socialiste, donc il n’est pas possible de la qualifier de journaliste car c’était un militant qui mentait aux lecteurs pour soutenir sa cause!
Je fais moi une grande différence entre un journaliste socialiste et un socialiste journaliste. Il y a des gens qui sont des maîtres dans leur profession, et dont on a le sentiment qu’un rayon cosmique a endommagé un neurone essentiel, ce qui les a rendus socialistes, mais que le reste de leur cerveau n’a pas été touché. Ces gens ne mentent pas pour soutenir une cause, ils perdent tout à coup de manière incompréhensible les qualités qui les animent dans leur art quand on aborde certains sujets “d’opinion”.
Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir deux personnages extraordinaires parmi mes professeurs, le mathématicien Laurent Schwartz et l’historien Marc Ferro. L’un comme l’autre ont eu des prises de positions politiques que je trouve consternantes, mais ils restent des modèles emblématiques pour moi dans leurs disciplines, et ni la théorie des distributions, ni l’analyse dans les documents filmés des caractéristiques qu’ils trahissent de leurs lieux et temps de tournage ne peuvent être remis en cause parce que ceux qui les enseignaient prenaient des positions politiques farfelues.
Il faut dépasser votre argument, il y a une majorité prête à le retourner contre les libéraux, en affirmant par exemple qu’il n’est pas possible de qualifier un libéral d’économiste parce que ce serait un profiteur prêt à tout pour s’enrichir au détriment de son prochain. Un socialiste, c’est un bon ou mauvais professionnel comme les autres, mais dont une synapse ou un neurone a inexplicablement flanché sans que ça change quoi que ce soit à ses qualités ou défauts professionnels.
Vous oubliez qu’un journaliste informe, ou du moins c’est son devoir, les citoyens. S’il falsifie les infos il trompe ses lecteurs. Ce n’est pas le cas d’un historien ou d’un scientifique, quoique le premier peut falsifier ses interprétations, ou le second ses conclusions comme l’a fait Séralini. C’est une question d’éthique. Et donc Daniel était un escroc car il trompait les gens! Pour moi un journaliste doit transmettre les infos, afin que les gens puissent comprendre et juger par eux mêmes!