Venezuela : quand manger devient un défi quotidien

À Maracaibo, au nord-ouest du Venezuela, le salaire minimum mensuel permet de tenir 3 ou 4 jours. Les revenus de millions d’habitants sont intégralement dédiés à la nourriture. Reportage.

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Venezuela : quand manger devient un défi quotidien

Publié le 1 juillet 2019
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De notre correspondante, Julie Decasse.

Le 11 mars dernier, à Maracaibo, la deuxième ville du Venezuela, la tension qui montait depuis des mois a enfin explosé. À la tombée de la nuit, dans une ville plongée dans le noir, jonchée de milliers de tonnes d’ordures, des centaines d’habitants faméliques armés de haches, de pistolets ou de bâtons, couraient en tous sens, poussant des cris de rage, brisant les vitrines.

D’autres avançaient lestés de sacs de farine, de bidons d’eau ou d’écrans de télévision aux câbles arrachés. L’odeur pestilentielle des déchets non ramassés depuis des mois se mêlait à la sueur, aux bouteilles d’alcool brisées ou aux jerrycans d’essence renversés dans l’affolement général.

Les pillages ont duré 3 jours et affecté plus de 500 commerces – parmi ceux qui avaient vaillamment résisté à la fermeture définitive jusque-là. Les habitants étaient excédés après 4 jours sans électricité, donc sans réfrigération et sans ventilation… Le tout dans une moiteur tropicale insupportable et alors que l’eau ne sort plus du robinet que de manière imprévisible, avant de laisser de nouveau les habitants sans une goutte pendant parfois cinq jours de suite.

C’étaient les effets de la panne générale qui a affecté tout le pays le 7 mars : partout, on frisait la crise de nerfs. La faim tenaillait déjà depuis des années ; la soif et la chaleur en sus, c’était trop.

 

Manger à Maracaibo : un défi quotidien

Margelis Romero, gérante de l’hôtel Brisas del Norte, avance prudemment sur les débris en tous genres qui jonchent les couloirs. De cet établissement 4 étoiles de 120 chambres, il ne reste que le squelette d’un bâtiment sur lequel les pillards ont déversé leur hargne. Ils ont tout pris : télévisions, lits, lavabos, tuyaux, fusibles. Même les fenêtres ont été démontées et emportées.

Dans la piscine à l’eau désormais saumâtre, pourrit un grand parasol en palmes séchées ; à la surface flottent des copeaux de plâtre.

« Je voyais ces gens qui démolissaient nos installations électriques à la hache… Ils débordaient de rage… À quoi ça leur servait de démolir tout ça ? C’est du saccage pur et simple ! Ils ne cherchaient pas d’eau ni de nourriture… Il n’y avait rien de tout ça ici ! »

Des émeutes de la faim, Margelis aurait pu les comprendre – ici, tout le monde souffre de privations. Mais que faire d’une télévision volée dans le Venezuela d’aujourd’hui ?

Roberto (ce n’est pas son vrai nom, car il tient à rester anonyme) a participé aux pillages ce soir-là. D’un supermarché déjà à moitié vide, il a emporté des lentilles, du savon, et deux bidons d’eau.

« On avait tellement soif ! Ma mère avait soif – et elle a une maladie chronique. On a faim et soif, tout le temps. »

Quand bien même Roberto aurait eu de l’argent pour l’acheter, l’eau en bouteille devient difficile à trouver à Maracaibo. Les commerces qui en avaient encore en stock ont été parmi les premières victimes du pillage.

Dans la rue, il a croisé des gens qui revenaient de l’hôtel Brisas del Norte, un climatiseur ou une télévision écran plat sous le bras.

« En fait, personne n’en voulait… Ils cherchaient tous à les échanger contre de la nourriture ! Ils disaient : je t’échange cette télévision contre un poulet, ou deux kilos de riz… Mais ils ne trouvaient pas preneur ! »

À Maracaibo, manger est une obsession, un défi quotidien, rendu chaque mois plus complexe par un cycle infernal : les prix deviennent fous ; les habitants n’ont plus de quoi acheter ne serait-ce que le minimum vital ; les commerces ferment ; les fournisseurs déposent eux aussi le bilan et donc ne fournissent plus les quelques commerces encore ouverts et dont les étagères restent à moitié vides. Ajoutez à cela l’impossibilité de mettre en rayon des produits réfrigérés… La viande, les produits laitiers, disparaissent peu à peu des menus.

 

Un mois de paie parti en une journée… pour se nourrir

En 2018, le montant du salaire minimum mensuel a été augmenté à six reprises. Et deux fois encore, en janvier et en mai de cette année. Mais le bolivar, la monnaie vénézuélienne, subit quant à lui une dévaluation presque quotidienne – certains mois de l’année dernière, il dégringolait d’heure en heure.

Chaque augmentation annoncée par le gouvernement chaviste signifie une éclaircie très temporaire pour ceux qui le perçoivent – aucun chiffre officiel ne permet de savoir combien en bénéficient, mais ils sont en tout cas plusieurs millions. Soudain multiplié par quatre ou gratifié d’un zéro supplémentaire, ou tronqué de plusieurs zéros à cause d’un changement de monnaie, il donne le vertige. Le jour de l’annonce de l’augmentation, il peut valoir jusqu’à 20 dollars. Mais lors de la paie effective à la fin du mois, il est déjà retombé à moins de 5 dollars.

Guadalupe, la mère de Roberto, une vieille dame aux yeux clairs et tristes, ouvre sa cuisine : frigo vide et éteint. Marmites vides. Étagères vides. Seules quelques bananes vertes font acte de présence sur la table.

« Je gagne une retraite parce que j’ai travaillé dur toute ma vie comme directrice d’école. Elle équivaut au salaire minimum. La dernière fois que j’ai été payée, j’ai pu m’acheter un kilo de pâtes, un kilo de farine, et un bout de fromage. C’est tout ! Un mois de paie, qui part en une journée de nourriture ! »

Au bout d’une avenue complète de rideaux de fer baissés, une échoppe ouverte ; on n’y trouve pas d’eau en bouteille, ni de pain… Mais on peut y acheter un paquet de bonbons à la fraise, pour 38 000 bolivars. Le salaire minimum mensuel est en ce moment de 40 000 bolivars. Le gérant lance un regard résigné. Lui aussi, sans doute, rendra bientôt son tablier.

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  • je hais le socialisme ; quelle sale engeance !

  • Chavez avait promis à tous un frigo et une TV. Ils ont voté Chavez. Ils les ont eus. Mais Chavez avait oublié de leur dire qu’il n’y aurait plus d’éléctricité … pour ceux qui auraient encore des doutes sur notre bienheureuse presse (paix à son âme) lire le désopilant article du monde lemonde.fr/idees/article/2012/10/04/hugo-chavez-un-homme-diffame_1769512_3232.html

  • Ces gens ont voté Chavez et sa clique. Il leur faut une bonne leçon.

    • Il faudrait surtout que la leçon serve (j’allais écrire « profite » mais je me suis heureusement retenu à temps) à d’autres.

    • Beaucoup disent que Chavez était bon et que Maduro est un mauvais gestionnaire avec de bonnes intentions. La leçon ne servira à rien. Le gauchisme est une maladie mentale qui ne se guérit pas facilement.

  • Dire qu’il y en a qui ne comprennent pas qu’ils ont gagné à la loterie de la vie.
    Ils vivent dans un pays d’économie de marché, sans gratitude de pouvoir manger 3 fois par jours ce que l’on veut….

  • Au delà de l’écœurement, tout cela fait peur. Voir des gens souffrir de faim à notre époque suscite angoisses.

  • La France plus lentement mais surement suit le même chemin. Et tout le monde est paralysé face à ces idées communistes. Quand on voit qui a autorisé à venir débattre le patron des patrons c’est tout un système en France qui se couche face à ces idées monstrueuses. On ne peut plus faire confiance à l’état Français communiste, on ne peut plus faire confiance à la majorité des politiques collectivistes, on ne peut plus faire confiance aux patrons qui approuvent toutes ces idées nocives dans les entreprises, on ne peut plus faire confiance à la très grande majorité des médias, on ne peut plus faire confiance à la majorité des électeurs totalement d’accord avec ces idées.

  • bientot la meme chose en france… le sociaisme pour tous

  • Merci pour ce reportage « au niveau du sol », sur ce que vivent au quotidien les populations du Venezuela…
    Chaque semaine, on pense qu’on a atteint le stade ultime d’effondrement d’un pays socialiste et chaque semaine qui passe, dépasse la précédente dans la décomposition avancée du pays…
    Maduro ne se maintient au pouvoir que par l’armée et les milices de surveillance locales mises en place par Chavez. Elles sont à la fois son bras armé local et son maillage sécuritaire fin pour contrôler la population.
    Sans ça, ça ferait bien longtemps que la population se serait débarrassé de cet affameur de son peuple !
    Et dire que tout ça arrive au pays qui a les première réserves de pétrole au monde !

  • Voilà où mène le socialisme. Mais cela ne l’empêche pas d’être bien considéré et de prospérer en France. A l’opposé le capitalisme apporte la prospérité pour le plus grand nombre. Mais cela ne l’empêche pas d’être mal considéré. Chez nous les gens sont obsédés par la jalousie, et préfèrent l’égalité dans la pauvreté à la prospérité dans l’inégalité. Est-ce aussi ce que pensent les Vénézuéliens?

  • Toute la splendeur du socialisme et ses conséquences mises en lumière.

    Merci à l’auteur pour cet article qui rappelle ce qu’est l’enfer du totalitarisme.

  • J’aurais préféré un article qui présente l’entretien avec Vladimir Poutine publié par le Financial Times le 28 juin ; avec un coup de projecteur sur le constat d’obsolescence du néo-libéralisme international.

    Les approches libérales des migrations, de l’insécurité, de la théorie du genre, des connivences qui tiennent lieu d’esprit d’entreprise désespèrent les populations aussi sûrement que les approches collectivistes. Il ne suffit pas de s’en prendre au socialisme quand le rationalisme soi-disant scientifique des libéraux conduit tout autant à la ruine.

    C’est intéressant, et encourageant, de voir Poutine défendre un libéralisme cohérent avec les intérêts des populations en condamnant le néo-libéralisme international tel qu’il est propagé par nos politiques gouvernementales au mépris de la population.

    • Ce que vous appelez néo-libéralisme n’est pas du libéralisme, c’est du socialisme de marché, ou si vous préférez du capitalisme de connivence .Les mots ont un sens, même si certains voudraient le leur faire perdre, et le libéralisme est basé sur les droits fondamentaux, où avez vous trouvé ce principe dans ce que vous décrivez, chez Macron?

      • Le capitalisme de connivence se sert du socialisme mais il n’en est pas ; il s’en sert comme il se sert de tout : en l’absence de socialisme, il peut aussi bien phagocyter le libéralisme que n’importe quoi d’autre. Donc il relève d’un traitement à part et il ne suffit pas d’attaquer le socialisme pour se débarrasser de cette forme de parasitisme.

        Par ailleurs, le libéralisme international est un néo-(pseudo)-libéralisme lié à la mondialisation des échanges et il relève lui aussi d’un traitement à part. Ce que fait Poutine et, ce faisant, il défend un libéralisme qui aura quelque chance d’être efficace si l’ordre mondial libéral passe à la trappe afin de redonner aux pays propices la liberté de le pratiquer.

        Ce point de vue mérite d’être pris en considération, il me semble. Un article serait bienvenu qui accepte de traiter cette remise en cause du libéralisme afin qu’il gagne en efficacité.

        • @Virgin
          Bonjour,
          Le « capitalisme de connivence » n’est possible que lorsque des socialistes sont au pouvoir. Ce sont ces socialistes qui permettent la connivence.
          Dans un régime libéral il n’y aurait pas de connivence puisque les libéraux ne la pratiqueraient pas, leur priorité étant la conservations des Droits fondamentaux de chacun. De plus, le pouvoir Exécutif n’aurait pas la possibilté de pondre et de faire des lois économiques, possibilité qui attirent les copains des socialistes au pouvoir pour avoir un peu de gâteau. L’exemple type est l’éthylotest imposé par Sarkozy ; éthylotest devenu obligatoire par la loi, et qui a fait la petite fortune d’un proche du président hyperactif. S’il avait été libéral, il aurait dit : « Non ! dém..de-toi ! »

  • Quel Drame.

    On voit moins de commentaires des quelques socialisants qui interviennent pourtant régulièrement ! Faut dire que le Venezuela ça doit piquer un peu au niveau des convictions. Quel bordel ça doit être dans leur tête pour arriver à justifier ça …

    • Vous n’avez rien comprit ce n’est pas le vrais socialisme. Il faudrait encore plus de vrais socialisme pour rétablir la situation au Vénézuéla vont nous dire les nôtres.

  • Il fait fort l’idole de Mélenchon ! Et il y en a encore pour le suivre. A n’en pas douter s’il avait le pouvoir il se ferait fort d’être à la hauteur de Maduro.

  • dans le pays qui a les plus grosses réserves de pétrole au monde…

  • On accuse à tort le socialisme : le fichu réchauffement climatique..

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