Par Nathalie MP.
Article initialement publié en juin 2016.
Le vote britannique sur le Brexit, c’est-à-dire sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), aura lieu dans moins de deux semaines, le jeudi 23 juin 2016 prochain.
Depuis le fameux « I want my money back » de Margaret Thatcher en 1979, depuis la possibilité obtenue dans le Traité de Maastricht de 1992 de rester en dehors de la zone euro, depuis le statut particulier relativement à l’espace Schengen sur la libre circulation (1997), l’adhésion britannique à l’Europe ne s’est pas faite sans de nombreuses réticences intérieures et de tout aussi nombreuses concessions de la part des partenaires européens.
À l’affiche de cette nouvelle confrontation inédite, les deux meilleurs ennemis du monde : David Cameron pour le maintien, et Boris Johnson pour la sortie.
L’épineux sujet européen
Le sujet européen est si épineux outre-Manche qu’on ne peut qu’admirer la décision du Premier ministre David Cameron de proposer ce référendum, non sans risque pour sa carrière, à des Britanniques très partagés sur la question.
Mais comme il l’a dit lui-même, les enjeux sont élevés et dépassent les destins politiques personnels :
C’est peut-être la décision la plus importante que le peuple britannique va devoir prendre au cours de notre vie.
Depuis la France, on observe avec attention ce qui se passe à l’autre bout de l’Eurostar car les mêmes questionnements, alimentés notamment par la crise grecque pour les questions financières, et par la crise des migrants pour les questions de frontières, sont au cœur de notre débat public et tendent à reformater le paysage politique entre les souverainistes et les Européens, plutôt qu’entre la droite et la gauche.
Au Royaume-Uni, les opinions sont tellement partagées sur le Brexit que les clivages politiques habituels ne sont plus guère pertinents non plus.
On observe une ligne de fracture qui passe entre l’Angleterre (pro) et l’Écosse (anti), entre les plus de 50 ans (pro) et les moins de 35 ans (anti), entre les tabloïds (pro) et le Financial Times et The Guardian (anti). Alors que l’UKIP, parti euro-sceptique d’extrême droite dirigé par Nigel Farage, arrivé en tête lors des élections européennes de 2014 avec 27 % des voix, soutient logiquement le Brexit, deux anciens Premiers ministres opposés, John Major du Parti conservateur, et Tony Blair du Parti travailliste, se retrouvent pour inciter leurs compatriotes à rejeter ce projet.
Au sein même du Parti conservateur, le Premier ministre fait campagne pour le maintien dans l’UE, moyennant la demande de quelques concessions supplémentaires plus ou moins bien accueillies, tandis que Michael Gove, secrétaire d’État à la Justice, et Boris Johnson, qui vient de céder son siège de maire de Londres au Travailliste Sadiq Khan, lui-même favorable au maintien, sont résolument engagés pour le Brexit.
On comprend sans peine que dans ces conditions l’ambiance est plutôt électrique chez les Tories. Selon différents témoignages, David Cameron considère que « Gove is nuts » et que « Boris is after my job » c’est-à-dire : Gove est cinglé et Boris veut mon job !
Reprendre le contrôle
Les partisans du Brexit fondent leurs arguments sur le slogan « Take control » : reprenons le contrôle de notre budget, de nos frontières, de nos décisions et de notre démocratie.
En face, leurs opposants craignent que la sortie ne signifie isolement et affaiblissement du pays et cherchent à rétablir la vérité sur la contribution exacte du Royaume-Uni au budget européen, compte tenu de ce qu’il en reçoit par ailleurs : elle n’est pas si élevée que les premiers le disent, loin s’en faut.
La vidéo ci-dessous récapitule en une minute les partisans anti et pro Brexit. Profitons-en pour faire la connaissance de Boris Johnson et sa célèbre crinière blonde, et remarquons au passage que lorsqu’il annonce à la presse sa décision de soutenir le Brexit contre la position du Premier ministre, il déclare :
The last thing I wanted was to go against David Cameron or the government but after a great deal of heartache I don’t think there’s anything else I can do. I will be advocating Vote Leave. (21 février 2016).
En d’autres termes, Boris Johnson dit qu’il défend une position de principe, tandis que David Cameron l’accuse de petits calculs politiques à ses dépens.
En réalité, ce qui pourrait n’être qu’une rivalité politique, comme on n’en connaît que trop, prend des allures de drame personnel, voire de tragédie cornélienne, car les deux hommes, bien que très différents au physique comme au moral, et toujours dans un rapport d’émulation depuis l’origine, sont de vrais amis de plus de trente ans.
Interrogé sur ses relations avec Boris Johnson depuis la prise de position de ce dernier, David Cameron a répondu : « I’m still friends with Boris, just perhaps not such good friends. » Selon plusieurs sources, le Premier ministre n’a pas ménagé sa peine pour dissuader Johnson de soutenir le Brexit. Il lui aurait même offert de choisir lui-même son poste au gouvernement.
Ils se sont rencontrés à Eton, institution scolaire fréquentée par l’élite anglaise qui a formé à ce jour 19 Premiers ministres britanniques et encore plus de ministres. Ayant deux ans d’écart, Johnson est né en 1964 et Cameron en 1966, ils ne font véritablement connaissance que lorsqu’ils se retrouvent à l’université d’Oxford, autre incubateur fameux d’hommes politiques anglais. En particulier, ils fréquentent tous deux le Bullingdon Club, société étudiante très huppée réputée pour ses grands banquets provocateurs et quelque peu destructeurs de vitres et de vaisselles, toujours remboursées avec beaucoup de libéralité le soir même, dans la plus pure tradition de l’extravagance anglaise pratiquée avec délectation en tenue de soirée.
Boris Johnson, gentleman excentrique
De ce point de vue, Boris Johnson est un délice pour nous autres Français, car il correspond parfaitement et naturellement à l’archétype du gentleman anglais légèrement excentrique qu’on aime adorer et détester en même temps. On le reconnaît de loin à sa tignasse blond paille toujours hirsute, à son physique pataud, et à son langage truculent et décomplexé.
Né à New York de parents plutôt bohèmes issus de la haute société anglaise d’un côté et d’origine turque de l’autre, il connaît avec ses frères et sœurs une enfance sans véritable chaleur familiale. Ballottés entre Londres, Bruxelles et Washington, souvent laissés à eux-mêmes, les enfants Johnson doivent se débrouiller seuls.
Incontestablement intelligent, et tout aussi incontestablement paresseux, Boris s’est surtout taillé une réputation de pitre sympathique doué d’un fort charisme dont tout le monde se souvient en souriant. Parmi ses petites manies, citons par exemple son goût pour les discours délivrés en latin à des dignitaires du Malawi en visite à Eton. À Oxford, il occupe le poste étudiant le plus envié, celui de président de la prestigieuse société de débats Oxford Union, alors que David Cameron y a fait un passage beaucoup plus terne. C’est cependant Cameron qui en sortira le plus brillamment diplômé, même si, d’après les dires de ses amis, Johnson se considère comme le plus doué des deux.
Après Oxford, Cameron rejoint le Parti conservateur comme analyste tandis que Boris Johnson se lance dans une carrière d’historien et de journaliste. En 1999, il devient rédacteur en chef du magazine hebdomadaire conservateur The Spectator, lequel a une orientation beaucoup plus atlantiste qu’européenne. En 2001, il se présente aux élections générales et obtient son premier siège de député du Parti conservateur. Mais en 2004, il ment sur ses affaires privées au chef du parti de l’époque et se retrouve écarté des fonctions les plus intéressantes. Malgré tout, son habitude des médias, sa faculté à rebondir, et sa facilité à se tirer d’affaires par un discours truculent font de lui un homme populaire apprécié jusque dans les rangs de l’opposition.
En 2008, il est élu une première fois à la mairie de Londres où il se montre plutôt assidu au travail. C’est lors de ce premier mandat qu’il met en place des vélos surnommés Boris Bikes inspirés des Vélibs parisiens. En 2012, il est réélu à la tête de la capitale britannique alors que le Parti conservateur essuie une lourde défaite aux élections locales. Sa position personnelle en est confortée, d’autant qu’il permet à son parti de perdre la tête haute. Les Jeux Olympiques de l’été 2012 organisés à Londres constituent un succès supplémentaire à son actif qui lui ouvre franchement le chemin vers le 10 Downing Street, résidence officielle du Premier ministre britannique.
Boris Johnson outrancier
Or depuis qu’il s’est lancé à fond dans la campagne pour la sortie de l’UE, soit depuis février dernier, Boris Johnson semble avoir perdu sa faculté à toujours retomber sur ses pattes.
Il accumule les bévues et les outrances, comparant le projet européen à celui d’Hitler, ou faisant des remarques déplacées sur les origines kenyanes du président américain Obama lorsque celui-ci exprime son souhait de voir le Royaume-Uni rester dans l’UE. Dans les débats télévisés sur le Brexit, comme celui d’hier soir (9 juin 2016) par exemple, il est systématiquement accusé de vouloir prendre la place du Premier ministre, ce qui a pour effet de dévaloriser son engagement par rapport à celui de David Cameron, qui risque la démission en cas d’échec.
David Cameron ayant gagné les élections générales de 2015 avec la majorité absolue, les espoirs de Boris Johnson d’accéder à ce poste résident maintenant dans la réussite du Brexit, car dans ce cas le Premier ministre, ayant perdu son pari, serait contraint de démissionner ; ou alors, en cas d’échec du Brexit, dans sa faculté à contrer un possible concurrent conservateur pour les prochaines élections générales de 2020, en l’occurrence George Osborne, actuel Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) de David Cameron, ou alors Michael Gove, cité plus haut, et crédité maintenant d’une bonne avance sur Johnson au cas où il faudrait remplacer Cameron à la tête des Conservateurs.
On sera fixé sur l’issue du Brexit dès le 23 juin prochain au soir. Selon les sondages les plus récents, le résultat semble très indécis. La semaine dernière, deux instituts (Yougov et TNS) le donnaient en tête avec respectivement 45 et 43 % des intentions de vote, contre 41 % pour le maintien. 16 % des électeurs sont encore indécis. De quoi réconforter Boris.
Mais selon d’autres estimations, le vote en faveur du maintien pourrait l’emporter par hausse de la participation. Suite à un débat télévisé entre Cameron (maintien) et Farage (sortie) qui s’est tenu mardi 7 juin dernier, les inscriptions en ligne sur les listes électorales ont été si nombreuses que le site gouvernemental destiné à les enregistrer s’est planté. Il pourrait s’agir de jeunes électeurs habituellement peu concernés par le vote mais majoritairement favorables au maintien dans l’UE.
Depuis leurs années collège, Johnson et Cameron sont très proches. Ils ont fait beaucoup de choses ensemble et sur le plan politique, ils se sont même souvent apporté un soutien mutuel. Mais l’un et l’autre savent depuis le début à titre personnel qu’ils ont l’étoffe pour devenir Premier ministre, et « Cameron y est parvenu le premier. » Boris Johnson est devenu maire de Londres, un excellent job, mais pas encore tout à fait the job dont l’étudiant le plus populaire d’Eton et d’Oxford se sent en droit de rêver.
Personne ne le croit lorsque, interrogé sur ses projets concernant le 10 Downing Street, il répond par une pirouette à sa façon :
Qui pourrait voter pour un couillon bloqué au milieu d’un câble ?
dans une allusion à une petite aventure amusante, mais quand même un peu grotesque qui lui est arrivée pendant les Jeux Olympiques de 2012 alors qu’il essayait une tyrolienne suspendue au-dessus de Londres (vidéo ci-dessous, 56″) :
L’UKI et Nigel Farage d’extreme droite ? une droite anti européenne(celle là) conservatrice peut-être …
J’aurais aimé de votre part un » soupçon » d’analyse plutôt q’un jugement affectif .
+1.
BNP, English League, extreme droite, on est bien d’accord.
Le programme economique UKIP: liberal.
Oh pardon , ULTRA liberal.
Donc, forcement, d’extreme droite
Dingue
Le libéralisme ne se limite pas à la baisse des impôts. C’est en tout cas mon point de vue, que j’ai eu l’occasion d’exprimer dans plusieurs articles.
De toute façon, le sujet de l’article n’est pas là.
UKIP n’est pas le sujet de l’article mais c’est bien la commodité & facilite avec lesquelles ce parti est estampillé extreme droite qui lui a permis d’occuper seul de sujets et débats que les partis traditionnels ont fuit par peur du political correctness ou par clientélisme. Lire d’ailleurs du meme Boris Johnson http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/immigration/11457877/For-their-sake-immigrants-must-speak-the-language-of-Shakespeare.html
Le liberal en moi n’aime pas qu’on me colle un ultra & neo & turbo devant, et me méfie fortement des adjectifs collés aux autres.
Nous ne serons donc pas d’accord sur l’UKIP, ce qui n’est pas le sujet.
Merci pour l’article.
« J’aurais aimé de votre part …. » :
C’est vous qui choisissez mes sujets ?
Non.
Mais c’est nous qui les lisons et les commentons, éventuellement.
Si vous ne voulez pas qu’on les commente, bloquez les commentaires.
Ce n’est pas la question. Vous etes libre de commenter les articles, l’auteur est libre de commenter a son tour votre commentaire.
Et la, en l’occurence, elle commente votre ton.
Commentez tant qu’il vous plaira. Qui vous en empêche ?
Laissez-moi commentez les commentaires et défendre mon travail (bénévole évidemment).
Je précise cependant que cet article n’est pas une analyse sur le Brexit.
J’ai seulement essayé de dresser un portrait de Boris Johnson à travers son positionnement pro-Brexit et la confrontation dans laquelle il se trouve avec son ami Cameron qui plaide le maintien dans l’UE.
Mais, chère Nathalie, je ne commentais que le ton du commentaire du commentaire …
Ni l’objet ni le ton du commentaire de Did n’avaient réussi à me sortir de ma léthargie post prandiale.
Le « j’aurais aimé »se voulait courtois . J’émettais un souhait un désir.
Vos article sont de qualités et sans oser le moins du monde suggérer des articles ,j’ai simplement émis l’idée que ce jugement (de mon point de vue )aurait pu être remplacé par un énoncé plus juste concernant ce parti(un soupçon d’analyse ,un petit énoncé, peu de chose).
Je ne pense pas que mon ton était agressif. Juste un commentaire rapide, mais amical sur un détail qui à mon sens faisait « tache » dans un bel article. J’en ai lu de plus agressifs sur ce site.Mais je suis désolé si celui-ci vous a paru excessif.
il est exact qu’il y a une une certaine agressivité dans les commentaires, des procés d’intention, mais aussi l’assignation à une « doxa »(voir plusieurs, chacun la sienne) qui nuisent au débat, à la disputation…
Certainement le propre de cette pratique.
Cesser d’intervenir me semble salutaire. Consommer les articles en attendant le naufrage (à défaut de Godot) suffira t-il à distraire le petit français banlieusard pour qui la mort qui n’est mêmes plus à crédit …
C’est moi qui m’excuse. Ma réaction était excessive.
Il ne faut pas chercher dans mon article ce qui n’y est pas. Je le vois un peu comme du « Contrepoints Week-End » 🙂 (maintenant je m’excuse auprès de CP).
Mais concernant le parti de Farage, j’en reste à ce que j’ai écrit. Le FN du temps du père était également un peu plus libéral sur le plan éco, c’était quand même un parti d’extrême-droite populiste et nationaliste.
Je donne cependant un bon point à l’UKIP : il ne s’est pas associé au FN pour former un groupe au parlement européen, car le FN est trop raciste !!! (j’adore). Mais il s’est allié à d’autres partis qui ne m’attirent pas.
Bonne soirée, Nathalie MP.
Votre réaction était bien « humaine », et vos excuses me touchent(Je n’en attendais pas).
.
Votre « Contrepoint du week-end » est très honorable. J’aimerai en trouver de cette qualité sur d’autre sites ou dans la presse.
Merci!
Bonne soirée également.
En ce qui concerne les articles publiés sur Contrepoints, on constate que nombre de commentateur ne sont pas aussi libéraux qu’ils le prétendent
J’ai l’impression que chez Contrepoints, on est contre l’idée de quitter l’Euro. Pourtant, l’Europe n’est rien d’autres qu’une immense Etat totalitaire où les gens prennent des décisions alors qu’ils ne sont pas élus. Je pense que de toute manière, le libéralisme ne peut pas etre géré dans une structure trop importante car comme il permet tout, il permet aussi n’importe quoi. Le libéralisme local oui, avec une responsabilité individuelle ok. L’idée utopique de l’Europe des 27 est un désastre de mon point de vue.
Enfin un commentaire d’un libéral qui a les yeux en face des trous…
Oui Madaniso pour ce qui est du libéralisme avec du décisionnaire au niveau local, ce qui permettrait la concurrence et la vertu.
Mais en france, dans l’état (ou Etat) actuel, les institutions ont trop d’emprise sur le fonctionnement général et c’est bien souvent l’Europe qui force ces institutions à se réformer et ça peine quand même à se faire, même avec les forceps. Sans l’Europe on n’aurait toujours que France Telecom comme fournisseur officiel et certainement aussi le minitel, on dévaluerait la monnaie 3 fois par décennie et on ne parlerait même pas de fermer la SS.
Oui cette Europe là qui veut tout régenter n’est pas la solution car elle vise elle aussi un nivellement et empêchera la concurrence et elle va reproduire à l’échelle européenne ce que l’on a au niveau national mais pour l’instant ça permet au moins de voir un peu le soleil, pas beaucoup j’en conviens.
Je pense que sans l’Europe, au contraire, le modèle minitel sncf dévaluation triennale déficit ingérable aurait rejoint depuis des années le Pacte de Varsovie dans les poubelles de l’histoire. L’UE ne force pas à se réformer, mais à bricoler avec des bouts de ficelle (normalisés !) pour faire durer encore un peu ce qu’il faudrait remplacer.
Et si Boris Johnson était né en France ?
N’aurait-il pas émigré depuis longtemps Outre-Manche ?
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