Ce que Game of Thrones dit de nous

Un retour en force de la fantasy ? Foutaises ! Game of Thrones, c’est juste un soap opera avec des dragons.

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Ce que Game of Thrones dit de nous

Publié le 2 mai 2019
- A +

Par Dern.

Tout y est monumental. La réalisation, l’interprétation mais aussi les budgets – de quinze millions de dollars par épisode pour la dernière saison. Le phénomène est planétaire et tous les annonceurs se bousculent pour avoir des partenariats avec la licence.

*vraiment* tous

Un retour en force de la fantasy ?

Le coup d’envoi de cette mode a été donné en 2001, avec la sortie de La Communauté de L’Anneau, premier opus du Seigneur des Anneaux adapté par Peter Jackson. Depuis, toutes les maisons d’éditions et tous les studios de productions veulent leur machine à cash magique.

Mais est-ce que Games of Thrones (GoT) est réellement de la fantasy ? Si l’on s’en tient à la définition, la fantasy est un genre littéraire présentant un ou plusieurs éléments surnaturels qui relèvent souvent du mythe et qui sont souvent incarnés par l’irruption ou l’utilisation de la magie.

Il y a des dragons, donc on entre dans la case. Mais on est loin d’une œuvre de fantasy classique. S’il est mignon de voir Arya se prendre mandale sur mandale par son maître compatissant et humaniste (non), on est en revanche laissés à l’abandon pour comprendre comment l’univers fonctionne. On va passer des heures à voir les fleurons de la famille Lannister éprouver leur fort respectable descente de rouge, mais pas une seconde à obtenir des explications sur la magie de résurrection ou les pouvoirs de Mélisandre sur le feu.

Shakespeare in Westeros

GoT dépeint un univers creux et vide de sens relativement incohérent et pauvre. Au vu du taux de mortalité accélérée qui est encouragé par la classe dirigeante, il est surprenant que le continent ait suffisamment de personnel pour ne serait-ce que labourer ses champs – sans parler de construire les merveilleuses forteresses dans lesquelles ces intrigues évoluent.

L’intrigue est une succession d’intrigues et non une aventure, si sombre puisse-t-elle être.

Les personnages sont « hors-sol », détachés d’une réalité que l’on ignore, avec leurs seuls titres pour justifier de leur influence. On assiste à un soap opera, plaisant certes, mais répondant peu aux canons de la fantasy. GoT dépeint une tragédie shakespearienne, dans laquelle les personnages ayant des valeurs fortes partent les premiers. On y aime les petites trahisons, les histoires de coucheries. Et ne niez pas : vous aussi vous posez la morbide question que nous avons tous à l’esprit lorsque le logo HBO s’affiche à l’écran : qui va mourir injustement cette fois-ci ?

On notera que les scénaristes n’étant plus prisonniers des écrits de Martin depuis la saison 6 ont levé le pied sur les exécutions sommaires.

N’est pas sombre qui veut

La série se démarque de beaucoup d’œuvres de fantasy, même sombres : Le Sorceleur détaille les aventures de Geralt, un héros mercenaire payé au lance-pierre et maltraité pour tuer des monstres. L’Assassin royal raconte les aventures d’un bâtard du roi forcé à devenir ce que tout son être décrie. Game of Thrones positionne des personnages qui parlent beaucoup, agissent peu et se confrontent rarement à autre chose que la cruauté des intrigues de cour et des déclarations de punchlineurs street cred.

En somme, le schéma narratif se rapproche davantage de celui des nouvelles dystopies pour adolescents tels que Hunger Games ou Divergente, GoT échappant à la catégorie adolescents par ses incartades de sexe et violence. Les Inrocks, faisant concurrence à Christine Boutin, trouvent même les scènes osées trop nombreuses, ralentissant l’action et fournissant simplement nos cerveaux en dopamine.

Un peu de violence dans ce monde de doux

Serait-ce là ce que l’on vient chercher en suivant la série ? Une bonne dose de morbidité, assortie d’un soap opéra violent pour adultes ? Une catharsis à nos propres injustices ?

Dans notre société aseptisée, nous avons besoin d’exutoires. Aujourd’hui, à l’heure où des policiers politiques de douze ans viennent vous expliquer comment manger/ vous habiller/parler, on qualifie de violence le simple fait de mal « genrer » quelqu’un, ou d’oppression blanche le fait d’arriver à l’heure.

Cette pression constante intériorisée resurgit d’une manière ou d’une autre, et en l’occurrence sous la forme ritualisée du visionnage de cette série, violente et répondant à des lois naturelles brutes. Les violences faites aux femmes y sont réelles et tragiques (le cas de Sansa et Danaerys sont les plus marquants), les hommes ne sont pas épargnés par leurs pairs, chacun se débat face au réel et le chantage à l’oppression ne fonctionne pas entre individus.

La première génération n’ayant pas connu de guerre se confronte aux démons de la survie par procuration.

Univers fantôme

L’addiction de notre époque à GoT traduit aussi l’esprit de déconstruction dans lequel nous nous trouvons. HBO a choisi cette série de fantasy davantage pour ses relations chaotiques entre des personnages aux problématiques complexes qu’à la toile de fond d’un monde cohérent, profond, et dont nous aurions pu appréhender la mécanique. De la même manière que notre jeunesse a une syntaxe aléatoire, une orthographe créative et une grammaire récréative, on nous sert des univers pour illettrés, où la notion de stratégie se limite à « chargez », et ses intrigues « politiques » aux réparties astucieuses servant à nous faire aimer le futur candidat à l’assassinat. Les constructions sociales et politiques n’ont aucun sens, à l’image de ce qui a été fait pour le dernier Star Wars (ici pour les anglophones).

Dans notre société qui exalte les préoccupations nombrilistes, il n’est d’intérêt que dans les tourments individuels, et l’univers autour n’a qu’à s’y plier. Ça fonctionne… à l’écran.

Un bon sujet de conversation

Avec plus de 31 millions de spectateurs légaux et un milliard estimés, GoT s’est imposé comme la série emblématique des années 2010, de la même manière que Friends le fut pour les années 90 ou How I Met Your Mother.

Qu’il est agréable de discuter de nos favoris dans la course pour la vie, à la machine à café entre deux réunions/TDs de chimie ! Ne pas avoir vu la série-événement provoque les interrogations, à tel point que les petits malins qui font l’impasse se sentent obligés de s’en justifier. GoT crée un ciment culturel commun entre des individus venant de tous les pans du tableau social.

Aujourd’hui, n’importe quel élément servant le lien social est bon à prendre. Nous parlons bien ici de lien social organique : rien à voir avec les poussives fêtes de l’amitié républicaines organisées par votre sous-préfet local, ou la représentation de rue donnée par des artistes qui interpellent les passants sur la condition critique des gallinacés arboricoles.

Quand tu attends un peu trop longtemps à Châtelet : « t’as pas cinq minutes pour parler des coupes de cheveux oppressives, ou une cigarette stp ? »

Parfois même, lorsque la saison est ennuyeuse ou l’épisode poussif, on continue de « suivre » pour pouvoir en parler avec ses collègues, comme on le ferait pour un match de foot ou (presque) pour une élection présidentielle.

Games of Thrones n’est pas une série de fantasy : c’est un phénomène de société morbide et violent, parfait et rappelant à nos instincts des jeux du cirque moderne, mais avec des dragons. Alors, laissons-les entrer dans l’arène, et que le spectacle commence !

Sur le web

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  • t’es dur avec le bouquin! la pauvreté de la série est claire. j’appelle ça le syndrome Walking Dead : quand la série dépasse le comic et que tu tournes en rond. Les persos sont loin d’être hors-sol, ils ont des attaches, un terroir, une histoire, des traumas etc…et puis la violence est quand même bien plus réaliste que les livres de tolkien qui sont très manichéens.
    mais j’admet bien volontiers qu’ils deviennent de plus en plus social justice warrior. 1 up pour ça

  • « Game of Thrones » est, je pense, à dissocier de l’œuvre originale, « A Song of Fire and Ice ».

    Même si je n’adhère pas vraiment aux livres, notamment parce qu’il s’éparpille trop dans son intrigue, j’ai tout de même un certain respect pour l’auteur, pour son travail sur les personnages, le travail de recherche sur les sociétés médiévales européennes, et leur mise en application dans un récit de fiction.
    De mon point de vue, le fantastique n’est, dans ces livres, qu’un élément parmi d’autre, servant de support au vrai sujet du livre, qui est la déconstruction, ou au moins la remise en question, du mythe du héros (celui qui est la colonne vertébrale de récits comme Star Wars), et la déconnexion entre l’aristocratie et le reste du peuple dans un univers médiéval-fantastique.

    « Game of Thrones » est la version mastiquée, digérée et déféquée par Hollywood de « A Song of Fire and Ice » : du « shocker », du gore, des dragons, et des one-liners référençables à volonté, c’est tout ce qu’il reste des enjeux que j’ai cité ci-dessus. Cependant, comme pour les livres dont je salue l’auteur, je salue ici les performances de la plupart des acteurs, en particulier Charles Dance (Tywin Lannister).

  • même si ce n’est pas l’objet principal de l’article, je vous trouve assez sévère avec la série GoT :
    les acteurs sont très bons. tous.
    la mise en scène est de super qualité et on est pas loin de surpasser « Joséphine ange gardien ».
    le scénario (ou la succession de) est pas mal, et innove dans son genre (ne pas hésiter à buter les héros, etc.).
    on arrive tout cela mis bout à bout sur un produit certes calibré, mais à mon sens de très belle qualité et répondant à l’objectif : distraire le spectateur, le maintenir en haleine, lui en mettre plein la vue.

  • Déjà, si ils avaient pu au moins se payer quelques conseillers militaire et un ou deux historiens du moyen age, on auraient pu avoir des batailles potables…

  • Ayant depuis des années exclu la télévision et les séries de mon existence, je me suis borné à regarder quelques extraits et de lire quelques articles d’analyse pour avoir une idée de ce phénomène médiatico-sociologique : je retrouve mes impressions dans cet excellent article.

    J’ajouterai avoir été frappé par la phrase qui tient lieu de « programme » au personnage principal qui veut régir tout le continent : « Make a better world » [= Construire un monde meilleur]. Là, on croirait entendre Dobeliou avant la scélérate invasion de l’Irak en 2003 : moins visible et plus subtile que l’idéologie gaucharde, cette idéologie impérialiste subliminale contribue sournoisement à légitimer l’impérialisme étasunien.

  • « Mais est-ce que Games of Thrones (GoT) est réellement de la fantasy ? Si l’on s’en tient à la définition, la fantasy est un genre littéraire présentant un ou plusieurs éléments surnaturels qui relèvent souvent du mythe et qui sont souvent incarnés par l’irruption ou l’utilisation de la magie.

    […] on est en revanche laissés à l’abandon pour comprendre comment l’univers fonctionne. On va passer des heures à voir les fleurons de la famille Lannister éprouver leur fort respectable descente de rouge, mais pas une seconde à obtenir des explications sur la magie de résurrection ou les pouvoirs de Mélisandre sur le feu.

    GoT dépeint un univers creux et vide de sens relativement incohérent et pauvre. »

    A l’auteur: Allez lire les livres cela vous évitera de dire des énormités.

    Certes, la série ne rend pas du tout compte de la complexité et ne fournit pas le développement des détails que vous demandez, qui existent pourtant dans les livres.

    Mais vous ne pouvez juger l’oeuvre uniquement à partir de la série.

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