Par Thierry Godefridi.
Peut-on être sinolâtre ou faut-il être sinophobe, c’est en quelque sorte la question à laquelle Éric de La Maisonneuve s’efforce de répondre dans Les défis chinois, son livre bien documenté et très agréable à lire, paru en mars aux Éditions du Rocher, qui fait le point sur son expérience et sur ce qui a été publié ces dernières années concernant la Chine. Il en trace l’évolution dans son contexte historique et formule des hypothèses dans la cadre de ses perspectives actuelles – il évoque les « défis chinois » du passé, du présent et de l’avenir.
En 1820, la Chine représentait un quart de la population mondiale et une part égale voire supérieure du produit mondial brut. En 1978, ces chiffres étaient respectivement de 20 % et 2 %. Deng Xiaoping (1904-1997), un homme de petite taille surnommé le Petit Timonier, à sa réhabilitation après la mort (1976) du Grand Timonier, Mao, formula le pari de redonner à la Chine la place qui lui revient dans le monde en 50 ans, pari gagné bien avant l’échéance : en 2018, la Chine comptait pour 18,5 % de la population mondiale et 17 % du produit mondial brut. Le retour à l’équilibre devrait se produire d’ici 2022.
L’économie avant l’idéologie
Partant du principe que « peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat » et que, si le socialisme consiste en un partage des richesses, encore faut-il les produire et ne suffit-il pas de s’enfermer dans l’utopie révolutionnaire, Deng accorda la priorité à l’économie par rapport à l’idéologie et il appuya sa politique sur deux autres axes, la démographie et l’urbanisation.
Après que Deng eut décommunisé l’agriculture, déclaré qu’il était glorieux de s’enrichir et invité ses compatriotes à « plonger dans la mer » (se lancer dans les échanges internationaux), l’Homme étant l’Homme – immuable dans sa nature, n’est-ce pas – les Chinois ne se contentèrent plus des « trois qui tournent » (la bicyclette, la montre, la machine à coudre), mais ils visèrent les « trois gros objets » (la télévision, le réfrigérateur, la machine à laver) et, désormais, ils aspirent aux « trois très gros objets » que sont un ordinateur, un appartement et une voiture.
Le miracle chinois en est-il un, si l’on tient compte de ses prémisses, à savoir la libéralisation de la production et du commerce ? Les sempiternelles cassandres, chagrines ou catastrophistes, eurent beau prédire que l’expérience ferait long feu, elle se poursuit ; elle est d’ailleurs condamnée à le faire. En effet, rien n’a de valeur ni d’intérêt qu’au regard du développement économique, car il oriente la politique et conditionne le maintien du Parti au pouvoir. Pourrait-il en aller autrement ailleurs, quoi qu’en pensent les éco-socialistes et autres partisans de la décroissance en Europe ?
« En adeptes historiques de la bicyclette, les Chinois savent qu’il faut pédaler pour avancer, mais aussi pour ne pas tomber, en clair que le progrès économique requiert en permanence autant de capacité d’adaptation au monde environnant que de dynamisme industriel ou commercial », écrit Éric de La Maisonneuve.
Vint Xi. L’auteur décrit comment fonctionne l’organigramme Parti-gouvernement à la tête de l’État chinois, rappelle la sujétion du gouvernement par rapport au Parti, tout en haut duquel se concentre le pouvoir, et le rôle du Parti dans le management de China Inc. La Chine n’en est pas monolithique pour autant. L’avènement de Xi Jinping ne s’est fait ni sans heurts ni sans choix.
Comme l’expose François Bougon dans son livre Dans la tête de Xi Jinping, qui fit l’objet d’une recension sur Palingénésie précédemment, le Président actuel de la Chine fut porté au pouvoir sur la base d’un programme de redressement idéologique, un cocktail de maoïsme, de confucianisme et de légisme (Han Fei, l’instigateur de cette dernière théorie, ne se faisait guère d’illusion sur le genre humain et préconisait un pouvoir autoritaire, gouvernant par la loi, dans un État fort.)
Si l’avènement de la direction chinoise actuelle s’est accompagné d’un retour en arrière idéologique et d’un rejet des valeurs humanistes de l’Occident, voire d’un anti-occidentalisme avéré, il s’est aussi, dans un bel exemple de yin yang chinois davantage épris de dualités circulaires que binaires et de mise en pratique de la métaphore de la bicyclette, assorti d’un « rêve chinois », au travers de l’initiative de la nouvelle route de la soie, la Belt and Road Initiative, censée asseoir le développement économique de la Chine et de ses partenaires et favoriser le rayonnement de la Chine dans le monde à l’heure où celle-ci est confrontée à de multiples défis internes dont le vieillissement de sa population n’est pas le moindre.
À une époque marquée par la résurgence du nationalisme et de l’illibéralisme ainsi que les diatribes du président des États-Unis à l’encontre de l’OTAN, de l’UE et de dirigeants européens, il serait mal avisé, pour Éric de La Maisonneuve, que l’Europe laisse un duopole diriger les affaires du monde et ignore les initiatives de la Chine. L’auteur voit notamment une opportunité de coopération dont tous sortiraient gagnants dans une coordination des efforts de l’Union européenne et de la Chine en Afrique. N’est-ce pas précisément là – Theo Francken l’évoquait dans Continent sans frontière – que se situe l’un des principaux « défis européens » de ce siècle ?
Les défis chinois, Éric de La Maisonneuve, 344 pages, Éditions du Rocher.
—
parti communiste 80 millions d’adhérents.. tout est dit
Ca fait 6% de la population, contre 0.1 à 0.2% au PCF, suivant qu’on compte ou non qu’ils ont payé leur cotisation. Pour LREM, c’est aussi dans les 6%, mais on adhère sans cotiser, alors qu’est-ce que ça veut dire ?
çà veut dire que quand on est communistes on a pas besoin d’être élu pour regner
 » voire d’un anti-occidentalisme avéré,  »
En tout cas pas du côté des populations urbaines qui ont repris les codes de l’occident. Musique, vêtement, cinéma, zapping, société de consommation de produits occidentaux ( ou produits chinois copiés sur l’occident ) fastfood, architecture urbaine ( building, autoroutes, TGV etc… ) internet.
« une opportunité de coopération » … « une coordination des efforts » …
Les Chinois étendent leur emprise sur l’Afrique et l’Europe. Mais je ne vois pas bien ce qu’on y gagne ni comment on peut s’y opposer. Les Américains en ont encore peut-être les moyens économiques et stratégiques, mais l’Europe est bien trop décadente et prête à vendre son industrie (c’est fait) et son commerce (c’est en cours) en échange d’une éolienne.
Les Chinois font des choix politiques pragmatiques. Nous en Europe, c’est exactement le contraire. Devinez qui va se faire bouffer dans la coopération et la coordination …
On ne sait quoi penser de l’avenir du développement chinois. A côté d’une indéniable réussite, du fantastique enrichissement des villes côtières, ouvertes sur le monde, on est bien obligé de constater :
– qu’une bonne partie du pays reste dramatiquement sous-développée (si 500 millions de chinois ont un niveau de vie s’approchant de celui de l’Occident, cela implique que le milliard restant vit encore dans la pauvreté absolue)
– que les statistiques économiques publiées sont mensongères, impossibles et même délirantes (le PIB est surévalué depuis longtemps et, les erreurs n’étant jamais corrigées, le cumul dans le temps des surévaluations finit par représenter une part non négligeable du niveau affiché actuellement, peut-être de l’ordre de 20 à 30% en trop)
– que la monnaie chinoise fait l’objet de manipulations éhontées par le pouvoir qui finiront par saper le potentiel économique du pays (investir en yuans n’est pas nécessairement une riche idée)
– que les velléités diplomatiques et militaires de domination, condition de survie d’un pouvoir jouant sur la fibre nationaliste pour se maintenir, finiront par engendrer une opposition au moins aussi brutale quand la limite du tolérable sera atteinte.
Il me semble que c’est un jugement d’Occidental, compréhensible mais qui ne reflète pas la manière dont se pose le problème. Le milliard de Chinois dont vous parlez ne vit pas dans la pauvreté absolue, mais relative : il n’a pas encore accédé à la richesse, mais il a, on l’oublie facilement, échappé à la famine mortelle qui était son lot il y a 30 ans. S’il se compare à ses parents, il vit déjà infiniment mieux, et il croit fermement que son enfant vivra comme les citadins qu’il voit à la télé. Quand on n’est pas allé là -bas, on oublie comment c’était il y a 20 ans… Si je peux partager un souvenir personnel avec vous, j’ai visité deux fois la grande muraille à Badaling : en 1991 et en 2001. En 91, les visiteurs étaient compassés, manifestement essentiellement des étrangers et des dignitaires plus ou moins importants chinois. En 2001, on se rapprochait plus de la foire fête foraine, et on imaginait des voyages organisés pour des travailleurs méritants membres du parti. Mais surtout, il y avait dans mon groupe un australo-hongrois avec deux charmantes fillettes blondes. Plusieurs Chinoises, toutes intimidées comme on l’imagine, ont demandé par gestes à pouvoir toucher la chevelure des fillettes : elles n’avaient jamais vu de cheveux blonds en vrai. En 2001 ! Et pourtant, elles avaient droit à un voyage à la grande muraille, donc ça n’était pas les plus défavorisées de leur campagne… Je doute qu’aujourd’hui ce soit encore comme ça.
Oui, les statistiques sont mensongères, la croissance de plus de 8% n’a peut-être pas même existé, elle est certainement bien en dessous des 6-7% proclamés depuis des années. Mais les Chinois ne comptent pas en %, ils regardent comment ils vivaient il y a 10 ans et comment ils vivent aujourd’hui, la différence est suffisante pour qu’ils n’aient pas besoin de s’inquiéter des %. La monnaie, elle est trafiquée éhontément pour maintenir une certaine croissance économique, ça ne peut pas avoir l’effet diamétralement contraire…
Reste la question de ces critères de jugement, qui vont forcément changer (et essentiellement pour les urbains « riches ») parce que le développement finit par saturer. C’est là que Xi doit jouer serré, parce que c’est sa position qui est en jeu. Vous voyez ça comme un nationalisme, mais dans l’esprit chinois, je suis sûr que c’est la conviction bien ancrée de la supériorité de la civilisation chinoise éternelle. Quelque chose qui n’a pas d’exemple ailleurs, et dont il serait présomptueux de penser sur les seules bases de comparaisons avec les dominations diplomatiques et militaires observées que ça ne peut pas marcher, au moins jusqu’à la mort de Xi, même s’il y a un risque en effet.
Que la situation de la Chine et de sa population soit meilleure aujourd’hui qu’au moment du grand bond en avant, ça ne fait aucun doute et c’est tant mieux. J’avais pris la précaution de relativiser mes remarques par une phrase d’introduction, mais ce n’était pas suffisant, semble-t-il.
Un point en particulier : les lois économiques étant les mêmes partout, les délires monétaires de la PBoC aboutiront aux mêmes effets néfastes. Les Chinois n’ont pas encore inventé la pierre philosophale. A moins que…
Peut-être est-ce que je me laisse trop influencer par le fait qu’en juin 89, je n’aurais pas misé un fen sur la survie du régime. Ou par une « confiance » excessive dans la conscience de Xi des facteurs nécessaires à conserver sa place. On verra bien…
https://institutdeslibertes.org/la-soif-dempire-de-la-chine/
https://institutdeslibertes.org/pourquoi-la-chine-va-tomber/
J’allais mettre ces liens :-).
J’aime bien également le propos d’Yves Montenay : https://www.yvesmontenay.fr/2019/03/30/nayons-plus-peur-de-la-chine/
Merci ! Les mêmes causes …
Je me suis rendu compte que j’avais déjà lu — et apprécié — ce propos. Toutefois, ça ne change pas mon opinion, en particulier il me semble que la plupart du temps, on néglige que Xi doit parfaitement connaître ces risques, et que sa politique y est aussi la réponse qu’il estime optimale.