Comment juguler l’absentéisme des enseignants au Tchad ?

Les élèves tchadiens, comme leurs enseignants, souffrent du trop-plein d’État et du manque de liberté.

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Elèves de l’école primaire à Moundou dans le sud du Tchad Ngata

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Comment juguler l’absentéisme des enseignants au Tchad ?

Publié le 22 mars 2019
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Par Narcisse Oredje1.

Un article de Libre Afrique

Le ministère de l’Éducation a lancé ce 27 février 2019, en partenariat avec l’UNICEF et d’autres partenaires, une plateforme mobile permettant le contrôle de l’assiduité des enseignants du primaire. Identifié comme l’une des causes principales de la baisse de niveau des élèves, l’absentéisme des enseignants est l’un des grands problèmes qui gangrènent le fonctionnement du système éducatif tchadien. Mais face à ce fléau aux racines éparses, une simple plateforme mobile serait-elle une réponse suffisante et efficace ?

Les limites de la plateforme

La plateforme de contrôle appelle au contrôle citoyen, ce qui n’est pas évident à mobiliser. La faute d’abord aux mauvais souvenirs des Tchadiens habitués à ces genres d’initiatives prises juste pour amuser la galerie. Plusieurs associations et des organisations de la société civile ont produit des rapports et lancé des appels pour dénoncer les détournements de fonds ou des abus de pouvoir mais à la fin, ce sont les présumés coupables qui sont confirmés dans leurs postes et continuent à abuser de la population. Les citoyens s’interrogent : pourquoi signaler les absences si les sanctions ne suivent pas ? Si les sanctions ne tombent pas, les parents auront peur que les enseignants dénoncés se vengent de leurs progénitures, même si les dénonciations sont anonymes. Enfin, la majorité des parents ne comprendra même pas la nécessité de se prêter à un tel exercice qui, selon eux, relève des prérogatives de l’État.

Des enseignants opportunistes

Ne peut être enseignant que celui qui a la vocation et la motivation nécessaires pour enseigner. Finie, la génération qui partait même dans les familles forcer les élèves à venir en salle. De 2003 à 2014, l’éducation et la santé sont les seuls secteurs pourvoyeurs d’emplois à la fonction publique. Ceci explique la ruée vers l’éducation qui fait que tout le monde cherche plutôt dans l’enseignement une porte d’entrée dans la fonction publique afin de s’assurer une source de revenus stables. Un enseignant se définit par son dévouement pour le travail, lequel exige des efforts répétés et un profond respect pour cette noble profession. Il doit par ailleurs être un modèle pour ses élèves. Il doit montrer le sens des valeurs comme : l’effort, l’intégrité professionnelle, le dévouement, etc. La prépondérance de l’absentéisme  questionne le capital de valeurs de ces enseignants, et renvoie vers leur éducation et leur formation. Ont-ils reçu une éducation qui les habiliterait à être enseignants ? Certainement pas mais ils ne sont pas les seuls responsables.

Une centralisation étatique coupable

Au ministère de l’Éducation, comme partout ailleurs, l’administration est centralisée à tel point que tout est géré à partir de N’Djamena. Pour suivre les dossiers d’avancements ou de reclassements, par exemple, les enseignants sont obligés de quitter leurs postes pour se présenter à N’Djamena, et passer de bureau en bureau, laissant leurs élèves désemparés. Aussi, les enseignants officiant dans les zones rurales sont obligés d’abandonner chaque mois leurs postes pour aller récupérer dans les centres urbains leurs salaires qui passent par les banques. En sus, il y a une certaine négligence de l’État qui est incapable de mettre sur pied un mécanisme de suivi et de contrôle pour déceler ces problèmes et envisager des sanctions contre les absentéistes. L’autre reproche à l’égard de l’État, c’est l’absence de culture de résultat et de mérite. Aujourd’hui, les primes et autres avantages hors salaires sont versés aux enseignants de manière uniforme, peu importe leur performance individuelle ou leur degré de discipline.

L’éducation nationale politisée

L’école tchadienne s’est transformée en un butin pour les militants politiques. Entre 1996 et 2016, plusieurs militants politiques (anciens rebelles et ceux ayant battu campagne pour les élections de 1996) ont été engagés dans la fonction publique. En témoigne l’audit des diplômes qui ne couvre que cette période. En tout, ce sont environ 55 000 agents aux diplômes douteux qui exercent dans différents ministères dont celui de l’Éducation. Par ailleurs, les différents recensements des fonctionnaires depuis 2012 révèlent qu’il existe plus de 10 000 faux fonctionnaires qui émargent normalement au trésor public. De faux enseignants continuent donc à émarger sur le budget de l’État sans qu’ils ne mettent pieds en salle de classe. Le comble c’est que ni les faux enseignants, ni ceux officiant avec de faux diplômes ne sont inquiétés car protégés par leurs acolytes leaders politiques. Les directeurs, les conseillers pédagogiques et les inspecteurs se retrouvent impuissants face à ces enseignants. Cette politisation de l’éducation constitue donc un problème majeur mais il ne faut pas perdre de vue les conditions de travail.

Des conditions de travail décourageantes

Le nombre important d’enseignants abandonnant les salles de classe est aussi la résultante des conditions de travail décourageantes que vivent les enseignants. Ces dernières années, les grèves se multiplient dans le secteur de l’éducation et à chaque fois, le point de discorde demeure l’amélioration des conditions de vie des enseignants. Les salaires mensuels dont la moyenne tourne autour de 150 000 FCFA (environ 230 euros) sont souvent versés avec retard alors qu’ils suffisent à peine pour joindre les deux bouts. À cela, il faut ajouter d’autres charges (logement, soins médicaux, déplacements). Il n’est pas étonnant alors que les enseignants soient tentés d’aller chercher ailleurs d’autres moyens de survie. En outre, le gel des avancements et la coupe des primes et indemnités imposés par la politique d’austérité depuis 2016 viennent aggraver le mal. Sans oublier les enseignants qui officient dans les zones rurales, avec des conditions encore plus difficiles, mais qui ne profitent pas de compensations suffisantes.

Bref, l’absentéisme des enseignants est un problème complexe aux ramifications multiples, qu’une seule plateforme mobile de contrôle, aussi ingénieuse soit-elle, ne peut résoudre. Une approche globale et participative  est nécessaire pour agir sur les leviers tout en renvoyant chacun à sa propre responsabilité depuis les enseignants jusqu’à l’État, en passant par les parents.

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Sur le web

  1. Blogueur tchadien
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  • Encore la preuve que l’Education Nationale ne doit pas être une affaire de la Collectivité Publique, mais une action privée avec tout ce que cela comporte. Parce que ce que demande les parents d’élèves, les élèves eux-mêmes et tous ceux qui souhaitent la croissance de leur pays, ce sont des élèves bien formés. Alors faut-il financer ces écoles avec des chèques scolaires dont les parents auraient le libre-choix d’arbitrer entre public et privé ? Mais une chose est sure, c’est que tout ceux qui ont besoin d’élèves formés seraient les premiers à créer des bourses pour aider les élèves méritants mais impécunieux à se former. Mais pas dans le public dans de telles conditions.
    Et ce n’est pas propre au Tchad, mais universel même si ces dysfonctionnements sont toujours de fait d’un étatisme inconséquent.

  • j’aimerais aussi que l’on réponde à cette même question pour les enseignants français.

  • Les commentaires sont fermés.

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