Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes

Les géants du numérique sont en train de transformer, à grande vitesse, nos modes d’utilisation. Mais ont-ils aussi un projet politique ?

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Urbanisme ville (Crédits : Matthias Ripp, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes

Publié le 6 février 2019
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Par Farid Guéham.
Un article de Trop Libre

« La fabrique et la gestion des villes sont aujourd’hui confrontées, comme de nombreuses autres activités, au remplacement de décisions humaines par des décisions algorithmiques. Le problème, concernant la cité, est que la substitution n’est pas seulement technique et professionnelle : elle est aussi politique. Elle ne touche pas que les métiers et les emplois : elle affecte la capacité des responsables locaux et des citoyens à penser et à porter des projets de société ». 

Google, Apple, Facebook, Amazon et Uber ont transformé le visage de notre environnement urbain. Leur compétition acharnée affecte aujourd’hui le logement, les transports, les services municipaux, l’offre de santé. Au-delà de l’hypothèse alarmiste d’une ville sous surveillance, Jean Haëntjens nous explique que cet espace et l’avenir qu’il porte, reste à conquérir.

Les promesses de la smart city

 « Il y aura des algorithmes », avait prévenu Antoine Picon, l’un des meilleurs spécialistes français de la « ville intelligente », quand il évoquait, en 2013, la gestion des villes qui est en train de s’inventer ». Pour Jean Haëntjens, ces propos quasi-prophétiques devaient se concrétiser quatre ans plus tard, lorsque la ville de Toronto confiait en 2017 un projet d’aménagement de friches urbaines de 325 hectares à la société Google-Alphabet et son entité Sidewalk Labs.

Le concept de smart city qui émerge à partir de 2017 n’allait pas être un énième terme à la mode chez les urbanistes. Aujourd’hui encore, le concept soulève de multiples défis : économiques, écologiques, sociaux. Mais lorsque Google a obtenu en 2017 la responsabilité du premier projet urbain d’Amérique du Nord, un nouveau cap est franchi : « Google présentait aussitôt ce projet comme la vitrine d’un programme d’envergure qui allait se déployer dans une quinzaine de villes en Amérique du Nord ». 

Avec le même appétit, Amazon s’est empressée de coloniser Seattle en y installant 40 000 salariés et son siège social. L’aménagement urbain est aujourd’hui le prétexte pour une nouvelle gouvernance, façonnée par des rivalités idéologiques et culturelles.

Les ombres de la ville algorithmiques

« Les géants du net proposent, avec différentes variantes, de résoudre les problèmes des villes en traitant des quantités considérables de donnée (le big data), grâce à des algorithmes ». Mais quid de l’ascendant technologique de l’entreprise détentrice de la donnée et de l’algorithme qui permet de la traiter ? La question des finalités et des intentions inquiète et à juste titre : comment expliquer que deux applications « Optimod» et « Google Maps », proposent des itinéraires différents ?

La réponse est qu’elles ne partagent pas les mêmes priorités, économiques, éthiques. Et pourtant, la « smart city », au-delà d’une ville intelligente, bourrée de capteurs électroniques, devait, dans l’absolu, produire le meilleur, avec la bienveillance de ses opérateurs et une certaine sensibilité aux questions d’environnement et de démocratie.

Dans les faits, le bilan est moins positif. Pour l’auteur, les civic techs se sont pour l’instant, plus intéressées aux moyens de gagner les élections, ou d’exercer des pressions politiques, via les pétitions en ligne, qu’à l’enrichissement de la démocratie participative.

La Silicon Valley a-t-elle un projet politique ?

« La thèse d’un possible projet politique de la Silicon Valley rencontre un écho croissant. Elle trouve un certain crédit dans le fait que les acteurs majeurs de l’économie numérique, comme Éric Schmidt et Larry Page (Google), Jeff Bezos (Amazon), ou Mark Zuckerberg (Facebook), n’hésitent plus à faire part publiquement de leur vision de l’avenir ». 

Mais pour l’auteur, la question se pose de savoir si les grands groupes ne défendront que leurs propres intérêts ou s’ils seront porteurs d’un projet politique structuré et partagé. Car les principaux acteurs du numérique ne cachent pas leur volonté de faire évoluer les normes sociales, avec comme priorité commune de favoriser l’innovation ouverte dans une société mondialisée.

Dès lors, quelle place pour les acteurs publics ? Pour Jean Haëntjens, il est plus que probable que le rôle de l’État et des collectivités va progressivement se réduire à celui d’assistance sociale, « assurant un filet de sécurité à tous ceux qui ne pourront suivre le rythme de l’innovation permanente ».

Le jeu des acteurs

« Une ville n’est pas faite seulement d’objets techniques et d’infrastructures. Elle est façonnée par les décisions d’acteurs, qui impriment chacun leur marque sur le paysage urbain ». Ces maîtres d’usage d’un nouvel ordre ne se contentent plus de formuler des demandes de plus en plus foisonnantes.

Ils émettent des informations sur la circulation, comme l’application Waze, ils permettent même à terme, de modifier la hiérarchie des voiries, s’invitent sur les marchés du transport, du tourisme, des loisirs. Mais quelle cité naîtra de ces projets économiques ?

La position des acteurs publics semble belle et bien fragilisée depuis que les géants de l’internet se sont positionnés autour de la table, en imposant leurs logiques, leurs infrastructures et leurs formes urbaines« Cette situation permet aux consortiums associant les groupes de BTP et les entreprises du numérique de se présenter comme ceux qui pourraient mettre de l’ordre dans ce jeu mal contrôlé », affirme l’auteur.

Les points d’appui de la cité politique

« La cité politique et la ville service numérisée sont donc en désaccord et en compétition sur les principaux champs qui caractérisent la stratégie d’une ville : les finalités visées, les choix des solutions techniques, le partage des rôles entre les acteurs, le rapport à la culture et à l’innovation, le rapport au travail et aux métiers ». 

Mais pour l’heure, la capacité des smart cities à résoudre les dysfonctionnements techniques des systèmes urbains reste encore à prouver. La cité numérique n’épargnera aucun aspect de la société, à commencer par l’implication citoyenne, qui ne passera plus exclusivement par des voies politiques, mais aussi par des espaces partagés comme les jardins au pied d’immeubles, ou le financement participatif, autant d’éléments qui bousculeront le modèle de gouvernance administrative des territoires.

Alliances, scénarios et stratégies de gouvernance

Pour l’avenir de la smart city, Jean Haëntjens nous propose trois scénarios de gouvernance de référence :

  • la ville automatique, ou « ville-machine » qui visera à résoudre les problèmes par la technique, et dont les services internes seront pour l’essentiel composés d’ingénieurs
  • la ville plateforme ou « ville à la demande », administrée par des développeurs, véritable startup de services urbains
  • la wikicité participative qui tendrait à renouveler la démocratie autour d’un « smart citoyen » par le levier des civic techs.

« Mais derrière la bataille des intelligences, ce sont deux conceptions de l’espace qui vont s’affronter : d’un côté l’espace urbain des humanistes, l’agora et de l’autre l’espace virtuel des algorithmes, des geeks, de la toile », conclut Jean Haëntjens.

Pour aller plus loin :

–       « Smart urbanism and the visibility and reconfiguration of infrastructure and public action in the French cities of Issy-les-Moulineaux and Nice », CCSD – Ecole des Ponts, Paris Tech.

–       « Comment Google veut révolutionner le transport en ville avec Sidewalk Labs », usine-digitale.fr

–       « La nouvelle servitude volontaire : enquête sur le projet politique de la silicon valley », fypeditions.com

–      « Jean Haëntjens nous parle de « la ville frugale», eco-quartiers.fr

Sur le web

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  • Ce technicisme planificateur ne me fait pas rêver…

  • En gros, au lieu de l’administration publique, ce seront des algorithmes qui décideront de ce que veulent les citoyens et de comment dépenser beaucoup avec cet alibi…

  • Je ne sais plus où j’avais lu que (quasi) toutes les études concernant les souhaits des citoyens pour les villes n’étaient pas qu’elles deviennent Tech-machin ou Smart-IA-Connectée, mais qu’elles soient plus vivables, durables, « slow », agréables, etc. Et ces aspirations ne sont pas le but des grandes sociétés des technologies, mais plutôt le but des horriiiiibles écolo-bobos-nazi-communistes. Ce serait fou que ces gens soient en fait l’expression de la volonté libre de citoyens. (clin d’oeil ironique)

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