Soudan : le soutien coupable des Arabes et des Occidentaux

La colère des Soudanais ne faiblit pas. Le pouvoir, lui, peut compter sur ses appuis arabes et occidentaux.

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Election au Soudan Afrique (Crédits UN Photos, licence Creative Commons)

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Soudan : le soutien coupable des Arabes et des Occidentaux

Publié le 15 janvier 2019
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Par Martin
Un article de Libre Afrique

Jour après jour, les Soudanais intensifient leurs protestations contre le régime d’Omar El Béchir. Le Président, qui a lui-même pris le pouvoir en 1989 après avoir mené un coup d’État, est confronté au plus grand défi de ses trois dernières décennies au pouvoir. La fureur provoquée par la forte augmentation du prix du pain et du carburant et les allégations de corruption ont attisé la colère populaire.

Manœuvres tactiques de El Béchir

Jusqu’à présent, le Président a réussi à contenir la colère de son peuple, mais les Soudanais ont une longue histoire de renversement des régimes impopulaires. Deux fois auparavant, en 1964 puis à nouveau en 1985, des révoltes ont conduit à des changements de gouvernement. À chaque occasion, les forces armées ont abandonné le régime et se sont rangées du côté du peuple. Cela n’a pas été le cas lors des manifestations actuelles pour de bonnes raisons, comme le souligne, Willow Berridge, universitaire et auteur de Soulèvements civils au Soudan moderne :

Le régime d’El Béchir a clairement tiré les leçons des erreurs de ses prédécesseurs. Il a créé un service national de sécurité et du renseignement (NISS) beaucoup plus puissant, ainsi que de nombreuses autres organisations de sécurité et milices armées parallèles, qu’il utilise pour contrôler Khartoum au lieu de l’armée régulière. Cette organisation, conjuguée aux craintes mutuelles des différents commandants de devoir répondre des crimes de guerre en cas de chute du régime, signifie qu’une intervention de l’armée ne se produira pas facilement, comme ce fut le cas en 1964 ou 1985. C’est l’une des raisons pour lesquelles le soulèvement actuel du peuple a déjà duré plus longtemps comparativement aux précédents.

Ceci dit, la survie du régime ne peut être simplement considérée comme un problème interne ; de puissants alliés internationaux entrent en jeu. Omar El Béchir, autrefois accusé de criminel de guerre par l’Occident, est maintenant perçu comme un facteur de stabilité dans cette région en crise. Le président bénéficie également du soutien — à la fois politique et financier – d’alliés arabes.

Soutien politique et financier des pays arabes

On dit traditionnellement que les Soudanais se tournent vers Le Caire pour obtenir de l’aide. Cette crise ne fait pas exception. En décembre, le ministre égyptien des Affaires étrangères et chef des services de renseignement s’est rendu à Khartoum pour offrir son soutien à El Béchir. Le ministre s’est rendu au Soudan avec le chef des services de renseignement, le général Abbas Kamel, et a déclaré avec assurance que : « L’Égypte est convaincue que le Soudan surmontera la crise actuelle ». Cela ne fait que confirmer son précédent soutien au Caire où le président Abdel Fattah al-Sissi avait déclaré que: « L’Égypte soutient pleinement la sécurité et la stabilité du Soudan, qui font partie intégrante de sa sécurité nationale. »

Mais le soutien politique seul ne suffirait pas pour maintenir le régime soudanais au pouvoir. Il existe également un soutien financier de l’autre côté de la mer Rouge. En échange de l’entrée en guerre du Soudan dans la guerre au Yémen, Khartoum aurait bénéficié d’investissements d’une valeur de 2,2 milliards de dollars américains. Plus de 10 000 soldats soudanais se battent sur la ligne de front yéménite. Certains seraient des enfants soldats recrutés par les Saoudiens, avec des offres de 10 000 USD pour chaque recrue.

La complaisance des Occidentaux n’est pas en reste

La réhabilitation d’El Béchir aux États-Unis remonte à l’époque du président Barack Obama. En tant que dernier acte de son mandat, il a levé une série de sanctions américaines contre le régime soudanais. L’imposante présence de la CIA à Khartoum a été citée comme l’une des principales raisons de son changement de politique.

En plus de Washington, l’Europe se bat pour limiter le nombre d’Africains traversant la Méditerranée, elle a vu dans le gouvernement soudanais un allié de choix. Le « processus de Khartoum », signé dans la capitale soudanaise, a été essentiel à cette nouvelle relation. En novembre 2015, les dirigeants européens ont rencontré leurs homologues africains à La Valette, la capitale maltaise, pour tenter de donner corps à l’ossature de cet accord.

L’objectif était clairement indiqué dans le communiqué de presse de l’UE, qui concluait que le nombre de migrants arrivant dans l’Union européenne est sans précédent et cette augmentation de flux devrait se poursuivre. L’UE, conjointement avec les États membres, prend un large éventail de mesures pour relever les défis et mettre en place une politique de migration européenne efficace, humanitaire et sûre. Le sommet a conduit à l’élaboration d’un plan d’action qui guide depuis lors les objectifs de la politique de l’UE en matière de migration et de mobilité.

Le plan prévoyait le mode de coopération entre les institutions européennes et leurs partenaires africains pour lutter contre la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains. L’Europe a promis d’offrir aux « autorités répressives et judiciaires » une formation aux nouvelles méthodes d’enquête et à la mise en place d’unités de police spécialisées dans la lutte contre la traite et le trafic.

Ces mesures constituaient un engagement explicite d’appuyer et de renforcer l’État soudanais. Un centre opérationnel régional (ROCK) a été créé à Khartoum, dont le but principal est de mettre fin au trafic de personnes et au flux de réfugiés en permettant aux fonctionnaires européens de travailler directement avec leurs homologues soudanais.

Le centre de coordination de la lutte contre la traite à Khartoum, composé conjointement de policiers soudanais et d’européens (dont la Grande-Bretagne, la France et l’Italie), s’appuiera en partie sur des informations fournies par les services de renseignement nationaux soudanais. Enfin, il existe des preuves de l’implication de la Russie dans la crise soudanaise. Des soldats russes travaillant pour un sous-traitant privé auraient été vus dans les rues de Khartoum, réprimant le soulèvement.

Compte tenu de l’éventail des soutiens pour El Béchir, il n’est pas surprenant qu’il ait réussi à résister à la pression populaire. La suite dépendra en grande partie de la durée des manifestations et de la force que le régime est prêt à déployer pour écraser ses adversaires.

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