Soudan : les dessous de la crise du pain

Le prix du pain aujourd’hui au Soudan a doublé et est en hausse continuelle. Qui est responsable de cette crise ?

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Soudan : les dessous de la crise du pain

Publié le 16 février 2018
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Par Mauriac Ahouangansi.
Un article de Libre Afrique

Depuis le début du mois de janvier 2018, le gouvernement soudanais fait face à de vives contestations.

Des centaines de personnes prennent d’assaut les rues de Darfour et d’autres grandes villes pour protester contre la hausse des prix des produits alimentaires, notamment le blé dont la subvention a été supprimée dans le budget de 2018 et l’importation confiée au secteur privé.

Cette décision s’est répercutée sur le prix du pain aujourd’hui doublé et en hausse continuelle. Qui est responsable de cette crise du pain ?

Une politique expansionniste des dépenses publiques

Privé des trois quarts de ses ressources pétrolières dont les cours ont également baissé sur le marché international, le Soudan connait plus de difficultés pour boucler ses budgets depuis la sécession avec le sud en 2011. Pour exemple, de 2011 à 2016, la croissance du PIB réel était en moyenne de 3,3 %, contre 7,1 % sur 2000–2010.

Malgré la chute libre de ces recettes qui provenaient principalement de l’exploitation du pétrole, le pays a maintenu une politique expansionniste des dépenses publiques, en reconduisant la subvention des produits de première nécessité comme le blé mais également les dépenses militaires qui s’établissaient à 2,8 % du PIB en 2016 selon la Banque Mondiale.

Ce penchant dépensier, encouragé par la manne pétrolière, a poussé l’État rentier à faire fi des impératifs de rigueur budgétaire, espérant toujours que l’argent du pétrole cacherait le gaspillage et la gabegie. Résultat des courses, un déficit budgétaire devenu structurel depuis quelques années avec un pic en 2017 à 7,7 % selon le FMI.

Face à la dégradation des équilibres macroéconomiques associée à ce déficit public (endettement, inflation, baisse des réserves de change, etc.), le Soudan a été condamné à une austérité brutale se traduisant, entre autres mesures, par la suppression de certaines subventions, notamment celle du blé conduisant à la hausse de son prix.

Une privatisation parachutée et aux contours flous

La décision de privatisation de la filière d’importation de blé a été prise de façon brusque sans préalables ni mesures d’accompagnement. Ainsi, les procédures de passation des marchés pour l’importation du blé par le privé au Soudan n’ont pas été encore rendues publiques.

La réforme de la filière qui connaît de graves dysfonctionnements n’a jamais été évoquée. Dès lors, et suite à l’annonce de l’arrêt des subventions, il est à craindre une entente tacite sur les prix de vente grâce à un retour probable de l’oligopole qui existait jusqu’en 2015 avec SAYGA, qui détenait environ 60 % du marché des importations, WHEATA, et SIN (groupe quasi gouvernemental).

Cela au détriment d’une concurrence saine qui aurait pu offrir un rapport qualité/prix favorable aux populations, notamment ceux les plus démunis. Avec une augmentation du prix du sac de farine de blé de 50 Kg de 167 à 450 livres soudanaises et par ricochet celui du pain de 70 grammes de 0,5 à 1 livre soudanais, les populations ont été soumises à une pression soudaine.

Il est évident que les autorités soudanaises acculées n’ont pas choisi le bon timing puisque la conjoncture est complètement défavorable avec un fort taux d’inflation de 35,1% enregistré au dernier semestre de 2017 et la dépréciation de la livre soudanaise par rapport au dollar, ce qui affaiblit davantage le pouvoir d’achat déjà érodé par l’inflation presque permanente.

On peut s’attendre dans ces conditions à la fermeture de bon nombre de boulangeries et pâtisseries dans les jours prochains ; ce qui ne fera qu’exacerber les tensions.

Une gestion centralisée défaillante

Le Soudan consomme plus de 2,4 millions de tonnes de blé annuellement alors que la production intérieure ne couvre que 15 % de cette consommation.

Cette situation s’explique par plusieurs mauvais choix dont celui de la subvention au détriment d’une politique efficace pour augmenter la productivité des champs de blé estimée à 583 Kg à l’hectare, l’une des plus faibles et classée 170ème sur 175 performances mesurées par la Banque Mondiale depuis 2013. Même l’ambitieux projet « GEZIRA », prévu sur 840 000 hectares irrigués par le Nil pour réduire les importations de produits agricoles, peine à décoller.

L’un des motifs du manque de succès du projet est la centralisation excessive de la gestion des infrastructures d’alimentation en eau par l’État. En effet, le manque d’entretien des systèmes d’irrigation par l’État occasionne la réduction des superficies cultivables.

Aussi, malgré l’existence au Soudan de plus de 30 minéraux utiles à la fabrication des engrais et qui n’ont besoin que d’être extraits, le pays les importe faisant flamber les prix au niveau local du fait de la dévaluation de la livre soudanaise.

Avec l’introduction d’une loi en 2005 pour la nationalisation de la propriété des terres de Gezira, l’État abritant le projet avec la promesse en retour de compenser les fermiers, la situation d’insolvabilité des exploitants agricoles s’est empirée.

Loin de faciliter l’exploitation par les fermiers, ces différents chocs les ont démotivés et ont favorisé l’exode rural vers les pôles d’exploitations pétrolières où les rémunérations sont intéressantes.

Un environnement des affaires hostile

Malgré l’existence d’un ministère de l’Investissement depuis 2002, pour attirer des investisseurs locaux et étrangers au Soudan, l’investissement local peine à décoller. Mieux, la construction d’infrastructures routières et l’amélioration de l’environnement des affaires restent des défis majeurs non encore relevés et qui rendent hésitants les investisseurs.

Le Soudan est 170ème sur 190 pays pris en compte dans le rapport Doing Business 2018 de la Banque mondiale, en raison de faiblesses majeures dans la protection des investisseurs minoritaires, l’accès au crédit, et le commerce transfrontalier.

Pour ces raisons, ainsi que les migrations liées aux tensions politiques, l’investissement direct étranger a particulièrement chuté à 4,8 milliards de dollars US au premier semestre de 2017 contre 5,8 milliards un an plus tôt d’après le rapport « perspectives économiques en Afrique 2018 ». Les issues de relance de l’économie sont donc compromises.

En supprimant les subventions à l’importation, le gouvernement soudanais prend une mesure comptable pour rééquilibrer ces comptes, mais il ne s’agit pas encore d’une vraie libéralisation de la filière. En effet, les préalables d’une telle opération n’ont pas encore été posés.

Il serait salutaire que le gouvernement mette en place les réformes structurelles nécessaires à une libéralisation effective de la filière au plus tôt et recourt à des mesures palliatives pour apaiser les tensions actuelles.

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  • les subventions aux produits de premières nécéssité sont une véritable piège quand celles ci disparaissent.
    On l’a vu en Syrie (baisse des aides au carburant agricole qui a mis le feu aux poudres en 2011), idem en Egypte avec le blé. En Algérie, l’Etat subventionne le carburant, mais aussi le lait aux producteurs et… aux consommateurs, se mettant dans une position inextricable.
    Ces subventions sont des drogues dures.

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