Le Manuel du parfait dictateur

Pourquoi les dirigeants n’ont pas intérêt à bien gouverner. Une analyse essentielle pour comprendre la politique.

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Le Manuel du parfait dictateur

Publié le 31 octobre 2018
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Par Élodie Keyah.

À travers The Dictator’s Handbook, Bruce Bueno de Mesquita et Alastair Smith se sont intéressés aux intentions qui animent nos dirigeants depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Une recherche historique de près de dix-huit années pendant lesquelles les auteurs sont partis d’un postulat simple : les calculs personnels sont les forces motrices en politique.

Il n’a jamais été question de savoir bien gouverner. Il n’est pas question non plus d’un prétendu « Nous, le Peuple ». Il s’agit de parvenir au pouvoir, s’y maintenir, et garder le plus de contrôle possible sur les flux de revenus.

Avant toute chose, il est essentiel de cesser de croire que nos dirigeants, quels qu’ils soient, se suffisent à eux-mêmes. Cette idée, communément admise, est erronée. L’exercice du pouvoir n’est pas unilatéral. Kim Jong-un, Adolf Hitler, Joseph Staline, Gengis Khan ou Louis XIV n’ont jamais été seuls à gouverner. En politique, l’autorité absolue n’existe pas.

Les cinq règles de base

Pour conserver le pouvoir, cinq règles élémentaires doivent être suivies :

    • Règles n°1 : garder une coalition aussi étroite que possible. Il s’agit d’un groupe de personnes dont le soutien est indispensable pour se maintenir au pouvoir. La taille de cette coalition diffère selon la nature du régime, mais plus elle est étroite, et plus il est simple de la contrôler. Dans une autocratie au régime militaire, il s’agit de l’armée.
    • Règle n°2 : garder un large sélectorat nominal. Cela consiste à s’entourer de personnes aisément interchangeables afin de remplacer les rivaux potentiels au sein de la coalition ou des influenceurs. Dans une démocratie, il s’agit des personnes qui peuvent voter. C’est la raison pour laquelle certains partis se positionnent en faveur de politiques migratoires, ou pourquoi un suffrage universel direct a été instauré dans la constitution soviétique de 1936.
    • Règle n°3 : garder un contrôle sur les ressources et accroître la dépendance envers l’État. Il vaut mieux que les autres dépendent de vous plutôt qu’ils se nourrissent par eux-mêmes. La redistribution des richesses permet d’enrichir un groupe soigneusement sélectionné. Ainsi, la taxation favorise les groupes qui soutiennent le dirigeant, au détriment de ceux qui l’opposent.
    • Règle n°4 : s’assurer de la loyauté de ses soutiens en les enrichissant suffisamment. Le but est d’éviter qu’ils vous remplacent par quelqu’un d’autre. C’est la raison pour laquelle le parti démocrate aux États-Unis dépense autant d’argent dans des programmes sociaux, ou pourquoi Robert Mugabe avait enrichi son armée face au risque d’un coup d’État militaire.
    • Règle n°5 : ne jamais privilégier l’enrichissement du peuple au détriment de la coalition. Les politiques favorables aux masses ne renforcent évidemment pas la loyauté des membres de celle-ci. C’est la raison pour laquelle Jules César a été assassiné après avoir fait l’erreur d’adopter une série de mesures favorables à la population, comme la réformation du système des impôts, et d’instaurer un contrôle sévère sur les gouverneurs des provinces.

     

  • De façon cynique, mais lucide, les chercheurs démontrent qu’il n’existe pas de différence substantielle entre un autocrate et un démocrate. Là où le premier repose sur une coalition plus étroite pour se maintenir au pouvoir, le second tire sa légitimité d’un plus grand nombre d’individus, et devra donc adapter sa politique en conséquence : « The size of this group determines almost everything about politics. »Par conséquent, les auteurs rejettent la classification binaire, voire manichéenne, qui oppose une démocratie et une dictature. Selon eux, il serait plus pertinent de classer les gouvernements en fonction de la taille de la coalition, critère essentiel pour saisir les subtilités entre ces deux régimes, dont l’opposition s’avère, en réalité, bien trop superficielle.Outil essentiel pour comprendre les rouages du pouvoir, cet ouvrage changera définitivement votre vision de la politique.

    Bruce Bueno de Mesquita, Alasdair Smith, The Dictator’s Handbook: Why Bad Behavior Is Almost Always Good Politics, PublicAffairs, 2012, 352 pages.

     

Voir les commentaires (11)

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  • ça ne suffit pas à définir une dictature mais quasiment tous les modes de gouvernements où une personne contrôle l’exécutif..

  • merci d’avoir mis Louis XIV sur votre
    liste de dictateurs, ou comment décrédibiliser un texte

    • Louis XIV avait tout d’un dictateur. Après il y a peut-être un contre sens historique, dictateur étant connoté époque moderne. Disons tyran ou despote.

      • désolé louis xvi a essaye de faire changer les choses, mais coincé par la noblesse (collectivités locales) et le clergé ( fonctionnaires) qui jouissaient d’avantages considérables, il n’a pas pu faire la reforme fiscale et statutaire nécessaires..
        çà ne vous rappelle rien?
        on connait donc la suite..le chaos populiste

    • « Monarchie absolue », c’était pas clair ?

    • Louis XIV est cité par les auteurs eux-mêmes pour souligner le fossé qui existe entre l’étymologie du terme monarchie (« pouvoir d’un seul »), le concept de l’absolutisme, et la réalité de l’exercice du pouvoir.

      Il ne s’agit évidemment pas de l’ériger au rang des dictateurs comme Hitler ou Staline, mais d’illustrer un fait essentiel de la vie politique : tout tyran ou « leader » est dépendant de l’aide d’un cercle étroit pour se maintenir au pouvoir (ici: la noblesse, de hauts fonctionnaires, et même des roturiers).

  • c’est ce que fait la droite est la gauche …
    tant qu’ils auront le F.N Pardon le R.N au 2ème tour de la présidentielle , ils sont sur l’un ou l’autre d’être élu… Implorant le Front Républicain !!! et le R.N en joue , Une aubaine
    pour eux dans tout ce système il y a des pepettes pour vivre … Et quand , ils prennent trop d’importance , une casserole au cul , avertissement et ca se calme ..Mais là , il y a un couac , la gauche et la droite un peu trop gourmand , ils ce sont mélangés entre-eux ,
    là , c’est la pagaille ils sont devenus des collabos , ça coince , le bordel , trop sur d’eux à force de jouer avec le feu , ils vont se prendre une branlé ..

  • En lisant ce résumé du livre, je voyais se dessiner le portrait tout craché de Viktor Orbán.

  • Si vous voulez mourir sur votre lit de dictateur, affamé votre peuple, il ne pensera pas à se rebeller mais à se nourrir, laissez les illettrés, cela évitera d’être cultivé et de remettre en cause votre pouvoir.
    Il y avait plus de raisons à se rebeller sous Louis XIV que sous Louis XVI et pourtant…

  • Amusant, c’est la description de l’état de la France. Nous sommes donc bien dans une dictature.

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