Par Younes Belfellah.
Alors que l’émir du Qatar, Cheikh Tamim Al Thani, été en visite en France le vendredi de la semaine dernière, sa rencontre avec le président français n’a pas débouché sur une solution pour la crise du Golfe qui dure maintenant depuis plus d’une année. Malgré les nombreuses tentatives de médiation extérieure, le Qatar et les pays du « quartet » ne sont pas prêts de se réconcilier.
En effet, on assiste entre les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à la multiplication des lignes de fracture et des points de tensions. Depuis le 27 juin, la Cour Internationale de Justice (CIJ) examine une plainte déposée par Doha à l’encontre des Émirats Arabes Unis, demandant la fin des discriminations que subit le Qatar depuis le début du blocus, ainsi que des réparations financières.
Un embargo que subit toujours aujourd’hui le Qatar par quatre pays ligués contre lui : Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Bahreïn et Égypte. Un conflit qui n’épargne aucun pays du Golfe, puisqu’il est de plus en plus difficile pour Oman et le Koweït de rester neutres avec les pressions du quartet. En parallèle, l’axe Riyad-Abu Dhabi se renforce un peu plus chaque jour avec notamment la récente création du Conseil de coordination saoudo-émirien.
La crise du Golfe coupable
La crise du Golfe est donc en train de tuer à petit feu le CCG qui n’a jamais réussi à être l’organe d’intégration politique et économique qu’il avait vocation à devenir. Créé en 1981 afin de répondre à la menace expansionniste de l’Iran révolutionnaire, le pacte qui fondait le CCG se basait implicitement sur la protection que devait offrir l’Arabie saoudite aux autres monarchies du Golfe en échange d’un alignement sur les positions de Riyad. Mais dès 1990, l’invasion du Koweït a démontré la fragilité de cette protection et a incité chacun des membres du CCG à renforcer ses liens avec des puissances extérieures.
Ainsi les Émirats Arabes Unis accueillent une base interarmées française, tandis que les Américains ont fait du Qatar leur implantation principale au Moyen-Orient. Surtout, les frères ennemis de Doha et Abu Dhabi ont en effet chercher à se distinguer du grand frère saoudien en menant chacun une diplomatie proactive sur la scène internationale. Au fil des ans, les rivalités internes au CCG se sont donc multipliées sur un nombre croissant de sujets : Printemps arabes, Iran, Islam politique… Tensions qui se sont cristallisées avec le blocus de juin 2017.
C’est donc à un double échec du CCG auquel nous assistons. Sur le plan politique d’abord, car alors que l’Iran est perçu comme plus influent que jamais au Moyen-Orient, et que l’Amérique cherche absolument à rallier l’ensemble du Golfe contre Téhéran, le CCG étale ses divisions. La volonté politique en faveur d’une unité renforcée des pays du Golfe était déjà faible, elle a désormais totalement disparu. Au niveau économique, la chute des cours a poussé les États du Golfe à sortir du piège de la rente.
Mais la diversification économique s’est accompagnée d’une concurrence accrue entre les différentes pétromonarchies. Pour les Émirats Arabes Unis, c’est la double peine : le plan « Vision 2030 » de l’Arabie saoudite détourne une partie des investisseurs de la région, tandis que le blocus avec le Qatar pénalise les nombreuses entreprises émiriennes qui travaillaient dans l’émirat voisin. À l’inverse, le Qatar s’est finalement bien accommodé du blocus, qui l’a obligé à accélérer le rythme des réformes économiques.
Le FMI tire la sonnette d’alarme
Cet échec est d’autant plus dommageable sur le plan économique que les pays du Golfe font face à de nombreux défis communs. Le FMI ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur les conséquences de cette crise qui affecte inutilement les pays du Golfe, qui partagent l’impératif de la réforme.
Sortie de la dépendance aux hydrocarbures, baisse de la dépense publique, formation de la population et emploi des jeunes, développement du secteur privé… Pendant longtemps, la fiscalité a été quasi nulle dans ces pétromonarchies, et c’est une mini-révolution à laquelle l’Arabie saoudite et les Émirats ont procédé en introduisant la TVA en début d’année.
Et même si les dettes saoudienne et qatarie ont prouvé leur attractivité auprès des investisseurs internationaux, les pays du Golfe ne peuvent pas se reposer sur leurs lauriers. La pression de la population pour être de plus en plus impliquée dans la vie économique et politique du pays, notamment les femmes et les jeunes en Arabie saoudite, se fait de plus en plus pressante.
C’est là que le CCG aurait trouvé toute son utilité. Le Conseil devait être l’outil de promotion d’un Golfe plus intégré politiquement et économiquement. En bâtissant ensemble un marché commun avec des politiques commerciales et fiscales mieux harmonisées, les monarchies du Golfe pouvaient offrir au monde l’exemple d’une transition réussie vers l’après-pétrole. Dans un Moyen-Orient sous perpétuelle tension, le Golfe représentait encore il y a peu un pôle de stabilité et de prospérité. Malheureusement, il semble que cette période soit révolue.
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