Par Germain Kramo.
Un article de Libre Afrique
Le gouvernement kényan vient de décider d’abroger la loi sur le plafonnement des taux d’intérêt et son remplacement par une autre dénommée Robin Hood Tax (taxe Robin des bois) qui prévoit une taxation des opérations de transfert de fonds supérieur à 500 000 shilling kenyan (environ 5000 $). L’objectif visé est d’accroître considérablement les recettes fiscales pour limiter l’endettement. Au vu des résultats de la précédente loi, la nouvelle va-elle atteindre les résultats escomptés ? Il est permis d’en douter, et ce pour plusieurs raisons.
Plafonnement des taux d’intérêt : une mesure aux effets pervers
Introduite en 2016, la loi sur le plafonnement des taux d’intérêt fut décriée dès son annonce par la communauté bancaire kényane. Deux ans après sa mise en œuvre, les résultats semblent avoir donné raison à ses détracteurs.
En effet, la loi sur le plafonnement du taux d’intérêt qui avait pour objectif d’empêcher les banques d’appliquer des taux d’intérêt exorbitant a eu des effets pervers sur l’économie kényane.
Elle a entraîné une éviction du secteur privé dans le sens où l’on a enregistré une baisse du crédit au secteur privé au profit du secteur public. Selon les statistiques de la Banque Mondiale, le crédit au secteur privé est passé de 34,13 % du PIB en 2014 à 32,85 % en 2016. De plus, la dette publique intérieure a augmenté de 15 % de décembre 2016 à décembre 2017. Cette hausse de la dette intérieure est en partie due à la hausse des crédits bancaires en obligations.
La « Robin Hood Tax » programmée à échouer
Le professeur James Tobin initiateur de la taxe Tobin, disait, lorsqu’il proposait cette taxe portant son nom : nous devrions « jeter du sable dans les rouages des marchés financiers » pour ralentir et décourager les transactions spéculatives. Il s’agit de limiter l’instabilité des marchés financiers en freinant le développement de la spéculation à court terme à travers l’imposition d’une taxe sur les transactions financières. Par conséquent, la Robin Hood Tax risque de gripper davantage le secteur financier kényan.
En outre, la taxe sur les transferts étant par essence dissuasive, son assiette a vocation à se réduire. Le rétrécissement de l’assiette aura pour conséquence la multiplication des transactions de petits montants et le recul de transactions de montants plus élevés pour contourner cette taxe. Ainsi, la mise en place de cette loi incitera les opérateurs à la contourner pour éviter son paiement. En conséquence, le nombre de transactions reculera, ce qui in fine limitera les recettes fiscales attendues.
Par ailleurs, la Robin Hood Tax pourrait inciter à des montages financiers douteux afin de la contourner. Pour rappel, l’évasion fiscale au Kenya fait perdre des milliards de shillings au gouvernement. Selon le rapport 2015 de l’ONG Global Financial Integrity, l’Afrique subsaharienne est la région qui souffre le plus de la fuite des capitaux en pourcentage du PIB. Alors face à ce sombre tableau, quelles alternatives pour faciliter l’accès au crédit au Kenya ?
Une autre approche pour réformer
Le gouvernement kényan est à la recherche d’une solution efficace pour faciliter l’accès au crédit. La première mesure consiste à réformer le cadre juridique. Il s’agit de réduire le risque en protégeant à la fois le prêteur et l’emprunteur. Ceci permettra de réduire le risque qui pousse les banques à exiger des taux d’intérêt élevés. Malheureusement ce risque est encore trop élevé au Kenya. En témoigne le taux de créances douteuses du système bancaire kényan qui a atteint 8,9 % en décembre 2017. D’où la nécessité de prendre des mesures pour limiter les défauts de paiement.
Ensuite, pour faire baisser les taux d’intérêt, le Kenya doit créer les conditions d’une véritable concurrence directe. Car en situation de concurrence, pour garder ou développer leurs parts de marché, les banques sont obligées d’être plus transparentes, de réduire leurs marges et leurs commissions. Cette transparence dans le système bancaire et financier permettra aux taux d’intérêt et aux marges d’intermédiation d’être conformes aux coûts et aux risques supportés.
Mieux encore, une libéralisation, dans les règles de l’art, favorisera l’augmentation de l’offre de crédit, ce qui engendre la baisse du coût du crédit à terme. De surcroît, les taux d’intérêts, obéissant uniquement à la loi de l’offre et de la demande, permettent d’envoyer les bons signaux aux opérateurs pour qu’ils prennent les bonnes décidions et pour que les fonds reçoivent le meilleur usage.
Enfin, l’un des objectifs visés par la Robin Hood Tax est l’accroissement des recettes fiscales pour réduire le déficit. Or, la meilleure manière de réduire le déficit est de réformer la politique budgétaire. Il s’agit de réduire le train de vie de l’État pour réduire le déficit. En 2017, le déficit budgétaire était de 8,8% du PIB au moment où, dans plusieurs pays, la norme est de 3 %.
On pourrait donc atteindre le même résultat escompté avec la prise de la Robin Hood Tax en rationalisant et améliorant la qualité les dépenses publiques. Avec moins de dépenses publiques, il y aura moins de déficit, moins de besoins de crédits étatiques, et partant la demande étatique de crédit baissant dans son sillage les taux d’intérêt.
Somme toute, le renoncement du gouvernement au plafonnement des taux d’intérêt est la preuve évidente de l’échec de mesures en apparence bien intentionnées, mais dont la mise en œuvre se traduit par des effets pervers. Toutefois, il semble que la leçon apprise par le gouvernement est partielle puisque parallèlement à la libération du taux d’intérêt il a instauré la Robin Hood Tax. Malheureusement, il ne se passera pas beaucoup de temps avant que le gouvernement se rende compte qu’une taxe destinée à être juste finira par être injuste ; ça sera la prochaine leçon.
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Votre conclusion est bien optimiste : un gouvernement n’admet jamais que les erreurs puissent être les siennes et n’en tire jamais de leçon.
Tobin lui-même avait tout dit sur la nocivité de sa taxe, « ma proposition est de jeter du sable dans les rouages de nos changes internationaux qui sont trop efficients ». Comment peut-on en arriver à vouloir s’opposer à l’efficience ?