Directive sur les droits d’auteur : une menace pour la presse

Le projet de réforme du droit d’auteur au niveau européen comporte des effets pervers pour les éditeurs de presse.

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Directive sur les droits d’auteur : une menace pour la presse

Publié le 28 juin 2018
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Par Pierre Bentata.
Un article de l’Institut économique Molinari

Le 7 mai dernier, l’Association des agences de presse européenne (Eana) saluait la proposition de directive de l’UE sur « le droit d’auteur dans le marché du numérique ». Cette directive devrait octroyer aux éditeurs de presse un droit voisin, similaire au droit d’auteur, et faciliter la rémunération des éditeurs de presse par les plates-formes exploitant leurs contenus via les téléchargements par les utilisateurs. Une victoire pour la presse ? À bien y regarder, ce pourrait être tout le contraire.

Jusqu’à présent, lorsqu’un internaute partage ou télécharge du contenu sur une plate-forme, cette dernière n’est pas contrainte d’intervenir dans la vérification et la sélection du contenu, à moins que son caractère illicite lui ait été notifié. Cette réglementation est en passe d’être totalement transformée par la directive du droit d’auteur, et plus particulièrement par les articles 11 et 13, qui font l’objet de nombreux débats.

La combinaison de ces deux articles fait que les plates-formes et hébergeurs seront contraints de vérifier au moyen d’algorithmes si les contenus contiennent ou pas des éléments protégés par le droit d’auteur. Ceux-ci jugeront de la possibilité ou pas de publier, avec une forte incitation à adopter une approche de précaution pour éviter les erreurs. Cela leur donnerait de facto un pouvoir de censure énorme.

Un problème passé inaperçu

Les critiques, nombreuses, ont déjà mis en évidence les multiples difficultés qui découleront de ces changements : limites à la liberté d’expression, ralentissement de l’innovation, protection des plates-formes les plus puissantes – qui, soit dit en passant, sont toutes américaines -, seules à même d’investir dans des techniques de filtrage efficaces, entrave au développement du logiciel libre, pourtant essentiel à l’amélioration de la sécurité informatique et principe fondamental du développement d’Internet.

Mais, au-delà, un problème peut-être plus grave semble être passé relativement inaperçu. Le renversement des règles de responsabilité des plates-formes et des hébergeurs confère, de facto, tout le pouvoir de négociation aux éditeurs de presse. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de cette directive : inciter plates-formes et hébergeurs à rétribuer les éditeurs de presse, qui produisent les contenus, comme l’énonce explicitement la directive. Or une telle situation représente un risque fondamental pour les éditeurs de presse.

Contraintes de contrôler la totalité du contenu qui transite sur leurs sites et menacées de violation du droit d’auteur des éditeurs de presse, les plates-formes n’auront d’autre choix que de négocier avec eux une rente continue qu’elles leur verseront sous peine d’être poursuivies.

Dès lors, les éditeurs de presse bénéficiant d’une telle rente n’auront plus aucune incitation à attirer directement les lecteurs sur leurs propres sites ! La meilleure stratégie pour survivre et s’enrichir ne consistera plus à innover et à se moderniser pour séduire les lecteurs et augmenter les abonnements, mais à diffuser directement les contenus sur les plates-formes afin de mieux renégocier la rente.

N’ayant plus besoin de faire valoir leur « marque » ou leur « ligne éditoriale », de s’interroger sur les raisons de leur perte d’attractivité, les éditeurs de presse seront incités à produire du contenu directement destiné aux plates-formes. Autre conséquence, la presse, dans son ensemble, aura tout intérêt à produire le contenu le plus partagé sur les plates-formes, et non le plus pertinent !

Voilà le risque que représente une telle réforme du droit d’auteur. En voulant protéger les éditeurs de presse, cette directive crée une structure institutionnelle qui les incitera à travailler dans l’ombre des plates-formes. Au lieu de se féliciter de cette directive, l’Association des agences de presse européennes devrait s’en méfier, car elle condamne la presse à devenir le pigiste des plates-formes.

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  • Allons , pas d’affolement . Nous n’avons là qu’une énième preuve de la volonté d’une main mise totale par l’UE sur toutes les activités des pays adhérents . Jusqu’ici tout les monde applaudissait mais voilà que les médias sont à leur tour touchés et s’insurgent au nom de la liberté de la presse . Pourtant c’est dans tous les secteurs que peu à peu nous perdons cette liberté . Et si les Anglais avaient tout compris ?

    • Mouais. L’UE a bon dos. Voyons voir… Réinvention de la censure dans le domaines numérique, filtrage indirect des contenus non conformes, création d’une rente corporatiste… Nope, aucune similarité avec les intérêts des castes dominantes dans les Etats membres « qui comptent » et qui font face à de vilains mouvements populistes.

  • entre protection et liberté, faut choisir !

    • @ breizh
      Bonjour,
      Je lis tous les jours des articles d’au moins 5 titres de presse pour conserver la multiplicité des points de vue!
      Difficile de ne pas voir la « rage fiscale » française sous-jacente à ce processus!
      En fait, tout cela est inutile! Bien que je ne sois pas « geek », je me protège déjà des publicités non désirées ou du tracking permettant de me suivre et me poursuivre: internet est idéal pour découvrir aujourd’hui un problème qui pourra être éliminé demain par le même outil!
      Réfléchissons! Un titre de presse achète un article à un auteur: il y a échange contractuel. Le titre de presse le publie sur son site, exhaustivement ou partiellement (le reste étant payant!), c’est sa responsabilité et son choix! (je ne reviens pas sur l’aide d’état à la presse payée par qui?!)
      Donc cette directive ne risque pas d’être appliquée , plongeant les titres les plus nuls à la « corbeille », mon Dieu, tant pis!

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