Côte d’Ivoire : le parti unifié menace la démocratie

Le parti unifié n’est pas une panacée pour la Côte d’Ivoire comme le prétendent ses promoteurs. Son avènement serait une véritable catastrophe pour la consolidation de l’adolescente démocratie du pays.

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Le président ivoirien Alassane Ouattara (Crédits CSIS, licence Creative Commons)

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Côte d’Ivoire : le parti unifié menace la démocratie

Publié le 9 juin 2018
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Par Safiatou Ouattara.
Un article de Libre Afrique

Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), coalition politique au pouvoir, a été créé, le 18 mai 2005, par Alassane Ouattara, président du Rassemblement des Républicains (RDR) et Henri Konan Bédié, président du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

Le but de cette union était de gagner la présidentielle face au président Laurent Gbagbo, ce qui a permis à Ouattara de remporter le deuxième tour de la présidentielle de 2010 et de gouverner avec le PDCI. Depuis un certain temps, les deux leaders du RHDP voudraient en faire un parti politique unifié malgré des oppositions en interne, ce qui constitue une menace pour la démocratie.

Non, le parti unifié n’est pas synonyme de paix !

Les promoteurs de la fusion du RDR et du PDCI fondent leur argumentaire sur la consolidation de la paix, la constitution de la majorité nécessaire pour gouverner, et la préservation des acquis de Ouattara et de l’Houphouëtisme. En effet, la consolidation de la paix n’est nullement assujettie au succès de l’initiative du parti unifié. La Côte d’Ivoire étant une démocratie selon le préambule de la constitution du 08 novembre 2016, la consolidation de la paix repose sur le respect des institutions et de la normalité républicaine, qui ne menace ni la paix ni les acquis de la gouvernance Ouattara.

Par ailleurs, le parti unifié n’est pas une expérience nouvelle parce que le RDR est l’œuvre de frondeurs du PDCI en 1994. Avant la fondation du RDR, le parti unifié existait sous le PDCI dirigé par le président Henri Konan Bédié. La bataille de ce dernier contre Alassane Ouattara pour étouffer ses rêves d’être président a engendré de profonds désaccords ayant fait le lit des crises successives depuis le coup d’État du Général Robert Guéi, fils du PDCI, qui a renversé le président Bédié, le 24 décembre 1999.

Le projet du parti unifié pose déjà problème avec le débat de l’alternance en 2020 (le PDCI réclame du RDR la présidence de la république) et les chantages de certains de ses promoteurs font peser des menaces sur la paix et la cohésion sociale. C’est bien les partisans du RHDP qui ont canonisé feu le président Félix Houphouët Boingy (FHB) et le vénèrent comme un apôtre de la paix.

Cependant, pour nombre d’Ivoiriens, il demeure un dictateur impitoyable qui a écrasé toute opposition à son régime en assassinant ses opposants. La mémoire collective reste marquée par l’assassinat de Kragbe Gnabe qui avait fondé le Parti National Africain en 1970. Le régime de FHB a massacré plus de 4000 de ses partisans, le 26 octobre 1970, à Gagnoa. L’effritement de la paix aux lendemains de sa mort, en 1993, montre bien que la paix qu’il a bâtie ne reposait pas sur des fondations solides.

Les conséquences de la fusion du RDR et du PDCI

L’échiquier politique est dominé par le RDR, le PDCI et le Front Populaire Ivoirien qui pèsent près de 95% de l’électorat. Aucune de ces trois grandes formations politiques ne peut toute seule remporter une présidentielle. Une fusion de deux d’entre elles permettrait d’avoir près de 2/3 de l’électorat.

Cela assurerait vraisemblablement au parti unifié les victoires électorales. Cependant, la compétition politique en serait affectée puisque la diversité de l’offre politique serait compromise, ce qui appauvrirait le débat et affaiblirait l’incitation des politiques à proposer des idées et à répondre aux attentes des électeurs. D’évidence, en écrasant la concurrence politique le parti unifié se sentirait moins obligé de servir l’intérêt général.

Ainsi, le RHDP avait imposé le référendum constitutionnel, du 30 octobre 2016, dans son seul intérêt. Comme des militants se plaignaient régulièrement de ne pas avoir leur part du gâteau, Bédié et Ouattara leur ont trouvé des postes à travers la création de nouvelles institutions comme le Sénat qui n’a aucun impact positif sur la démocratie.

Si l’on se projette dans l’hypothèse de l’unification du RDR et du PDCI, avec la majorité potentielle que le RDHP (parti unifié) obtiendrait, cela lui conférerait une longévité au pouvoir à l’instar du PDCI en son temps (40 ans consécutifs au pouvoir). D’où le problème de l’alternance et le retour au parti-État.

L’ancien ministre des Sports, Alain Lobognon, député issu du RDR, a qualifié récemment cette future formation politique de “parti État’’ qui va “tuer la démocratie en Côte d’Ivoire’’, dans une interview à ALERTE INFO. Le parti unifié entrainerait aussi l’exclusion politique des voix qui oseraient s’opposer à lui. Il est aussi à craindre que les régions rejetant le parti-État ne bénéficient pas des investissements publics et que leur développement soit mis en veille.

L’absence de démocratie et de liberté de pensée au sein du PDCI et du RDR contribueraient à faire du parti unifié une machine qui écrase tout. La Cour des comptes, l’Assemblée nationale, le Sénat et les autres institutions chargées de contrôler l’action gouvernementale, sous l’emprise du RHDP, ne pourraient pas jouer leurs rôles de contre-pouvoirs, menaçant ainsi la séparation des pouvoirs. Un contexte où l’exécutif contrôle les institutions et autorités administratives chargées d’auditer les comptes de l’Etat et de veiller à la transparence de la gestion publique serait totalement contraire à l’exercice de la démocratie.

En étant le joueur et l’arbitre en même temps, le RHDP n’aurait aucune incitation à gérer de manière rigoureuse les finances publiques. La haute autorité à la bonne gouvernance et l’autorité nationale de régulation des marchés publics tronqueraient leur vocation de lutte contre la corruption en services publics destinés à caser des militants du RHDP.

Cela écraserait toute capacité de reddition des comptes. On peut aussi prévoir que les ONG et les médias rencontreraient des obstacles dans les dénonciations de malversations du régime et des agents de l’administration. Puisque le pouvoir absolu corrompt absolument, la mauvaise gestion pourrait tranquillement devenir la norme dans la gouvernance publique.

Au regard de tout ce qui précède, le parti unifié n’est pas une panacée pour la Côte d’Ivoire comme le prétendent ses promoteurs. Son avènement serait une véritable catastrophe pour la consolidation de l’adolescente démocratie du pays.

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