Carmen censuré à Florence

Aujourd’hui, on réécrit les œuvres du passé, comme Carmen de Bizet, pour satisfaire les fantaisies idéologiques des nouveaux moralistes.

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Carmen censuré à Florence

Publié le 10 janvier 2018
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Aujourd’hui comme hier, Carmen offusque les bien-pensants.

Carmen avait fait scandale en 1875.

Enfin, vous n’y pensez pas, à l’opéra-Comique, le théâtre des familles, montrer la mort d’une femme ! Les conservateurs poussaient de grands cris effarouchés.

Les conservateurs d’aujourd’hui, les champions de la censure tous azimuts, se recrutent dans les rangs des « progressistes ».

Enfin, vous n’y pensez pas ! Montrer aujourd’hui la mort d’une femme, victime de la « violence masculine » !

Ainsi en ont décidé, de concert, le vertueux directeur et le non moins vertueux metteur en scène, Léo Muscato, au Teatro del Maggio (Florence) applaudis des deux mains par l’encore plus vertueux Olivier Py, qui avait déjà sauvé Carmen d’une mort affreuse, à Lyon, en 2012.

Une remarquable incompréhension

Comment peut-on être tombé aussi bas dans la bêtise crasse et l’incompréhension ?

Transformant de façon radicale la nouvelle de Mérimée, Meilhac et Halévy, les anciens complices d’Offenbach, avaient fait du personnage de Carmen une femme libre qui refuse justement d’être le jouet des hommes.

Carmen est prête à tout pour conserver sa liberté, prête à mourir. Et elle agit, bien qu’elle sache que le destin l’attend. Sans la fatalité qui pèse sur son parcours, l’itinéraire de Carmen perd toute signification.

Refusant toutes les conventions de son temps, Bizet introduisait le drame dès le prélude et construisait toute sa partition pour aboutir au duo final, point d’orgue étincelant et brutal. Musicalement les choses sont claires, Don José est un être faible et jaloux. Carmen un personnage tellement fort qu’elle n’a même pas besoin de ces grands solos usuellement employé sur la scène lyrique.

Faire tuer José par Carmen c’est tout simplement n’avoir rien compris à l’œuvre.

Et Carmen dans tout ça ?

Que devient Carmen ? Elle endosse le rôle de Don José : un pauvre type qui n’a d’autre argument que le coup de couteau.

Pardon, le couteau c’est trop sanguinolent pour notre metteur en scène soucieux d’éviter les éclaboussures.

Ne pas faire mourir Carmen c’est aussi aller contre la musique. C’est diminuer, affadir le personnage de Carmen, tomber dans la banalité.

Tout le monde sait cela.

Tout le monde, bien sûr, sauf les metteurs en scène « conscientisés » qui veulent le bonheur des femmes malgré elles.

Tout le monde, bien sûr, sauf les metteurs en scène qui ne comprennent rien à la musique et qui confondent l’opéra et le théâtre. Pour eux, les « textes » ne sont que des « prétextes » à imposer la « bonne parole » au public.

Des violences conjugales ?

Ils ne comprennent même pas que c’est la musique qui vient en premier à l’opéra et qu’on ne peut modifier arbitrairement un texte sans incidence sur la musique construite sur ce texte.

Pour tout dire, notre bon metteur en scène voit dans la relation entre Carmen et Don José un foyer où « sévissent les violences conjugales ».

Misère et désolation !

À quoi ont donc servi les efforts de Bizet pour transcender une intrigue sordide et donner aux personnages des « habits de lumière » pour reprendre l’heureuse expression de Piotr Kaminski ?1

Mais baste.

La réécriture des chefs-d’œuvre du passé est entamée depuis un certain temps déjà.

Bienvenu dans le « meilleur des mondes » ou 1984. C’est au choix.

Big Mother is watching you.

  1. Je renvoie à la bible de l’opéra qu’il a écrite : Mille et un opéras chez Fayard en 2003.
Voir les commentaires (11)

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Créer un compte Tous les commentaires (11)
  • éradiquons également le conte « de barbe bleu  » hein , pendant qu’on y est …..

  • Il va devenir impossible de jouer Othello. Pensez donc, un maure qui tue sa femme parce qu’il pense qu’elle a été infidèle, ce n’est guère politiquement correct.

  • Opéra fétiche,l’absurdité a atteint son comble
    Il va falloir vivre la vie à l’envers
    Comme si cet imbécile comportement allait faire reculer d’un iota la violence

  • On sait très bien que la gauche a toujours cultivé l’imbécillité. On ne peut mieux trouver. Aux USA ils ont interdit le film « Autant en emporte le vent » et une université a même interdit la littérature écrite pas les blancs! Des intellectuels cultivés et des défenseurs de la culture soi-disant.

  • Et tout ça avec de l’argent gratuit du contribuable florentin a qui on n’a rien demandé comme d’habitude !

  • Morte ou vivante, il semble que le sort de Carmen reside toujours entre les mains d’un homme. Rien n’a vraiment change.

  • En URSS jadis, on réécrivait et l’histoire et les chefs d’oeuvre (ou on les censurait.
    Bienvenue dans la nouvelle URSS européenne!

  • En ce qui me concerne j’adore la musique et je vénère les compositeurs. Par contre, les livrets d’opéras sont rarement des chefs-d’oeuvre. Si je pouvais disposer de plusieurs vies, j’en consacrerais bien une à ré-écrire tous les livrets avec plusieurs versions pour chaque musique. Je ré-inventerais Carmen tous les jours, pas pour respecter la bien-pensance de mon époque, mais pour exprimer le potentiel du personnage enfin libéré des préjugés de l’époque de Bizet.
    Osons réécrire tous les livrets, toujours, tout le temps, pour exprimer la multiplicité des passions humaines sur des musiques que seule cette liberté d’interprétation peut maintenir intemporelles.
    Carmen n’est pas destinée à mourir comme donna Anna n’est pas destinée à être éternellement séduite par don Juan, D’ailleurs, pendant qu’on y est, on pourrait aussi représenter Mme Bovary faire un autre choix que le poison, et s’amuser d’une Mégère Apprivoisée plus domptrice que domptée. Les rôles peuvent s’inverser et la destinée des héroïnes peut tourner à leur avantage.
    De toute façon, regardez à quel point les femmes ont évolué, si vous obtenez d’elles de jouer le rôle d’éternelles sacrifiées, comme c’est souvent le cas dans les opéras, elles ne sont plus crédibles. Carmen se laissant tuer par don José, cela ne tient vraiment plus debout.
    Il faut tout changer pour que rien ne change. Pour que la musique reste, il faut que les livrets passent, comme passent le temps, les époques et les personnages. Car aucun rôle n’est immuable et ce que la musique dit peut s’exprimer dans une multitude de situations dont l’inventivité traduit notre liberté d’action.

    • Oui, très pertinent, mais périlleux. C’est un travail autrement difficile que de faire une mise en scène révolutionnaire. Ayant longtemps travaillé dans le spectacle vivant et connu beaucoup de metteurs en scène, je pouvais les partager entre les adorateurs du texte, et les adorateurs de l’image qu’ils en donnaient. La Flûte est l’opéra le plus interprétable qui existe car il est intemporel. Mais il est presque impossible de changer le message car il a été composé sur le texte de Schikaneder écrit tout exprès.
      Ainsi, difficile aussi de récrire le Ring, où le livret est de Wagner, mais on a pu ô combien ne pas tenir compte des didascalies, rénovant ainsi l’esprit entier de l’oeuvre, où la puissance évocatrice n’est pas ternie par la modification de l’image.
      Ah quelle question passionnante, Virgin, vous avez eu raison de la poser.

    • Pourquoi pas?
      Mais dans ce cas, on ne doit pas garder le titre, mais plutôt « inspiré de … », « la nouvelle histoire de … » etc. Dans ce cas, tout est possible.
      Garder le titre et changer ou réorienter une histoire dans une direction tout autre et souvent idéologiquement ad hoc avec les bien-pensances du moment, évoque malheureusement toutes les ré-écritures d’œuvres déjà faites par certains régimes pour « apprendre  » aux gens à penser comme il faut.

      Cette manipulation plus ou moins insidieuse est plus fréquente qu’on ne le pense, en particulier dans la littérature enfantine. Il y a qq années, j’ai eu la surprise de découvrir la « ré-écriture » de la fable de la Cigale et la Fourmi de La Fontaine (pourtant intitulé tel quel sans modification) dans un livre imagé emprunté à la bibliothèque municipale pour ma fille. A la fin de la fable, la fourmi partageait ses ressources avec la cigale pour lui permettre de passer l’hiver… Avec une petite morale sur le partage et l’aide aux nécessiteux par ceux qui ont plus qu’il ne faut. Toute ressemblance avec l’idéologie officielle en cours…etc n’est pas fortuite!

  • Le Gnome a trouvé la bonne solution, interdire Othello. Censurer Shakespeare, le rêve des crétins ignorants, à notre époque. On l’a fait pour Voltaire, réputé islamophobe….un délire si on songe aux commentaires qu’il a faits du Coran, mais, mais mais;…il a écrit « les mahométans », jugé pas assez islamique.

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