Orwell, le socialisme pessimiste

La vision d’Orwell, qui rêve sans trop y croire d’une économie planifiée qui ne dégénère pas en dictature, est avant tout une vision profondément pessimiste.

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Orwell, le socialisme pessimiste

Publié le 4 septembre 2012
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La vision d’Orwell, qui rêve sans trop y croire d’une économie planifiée qui ne dégénère pas en dictature, est avant tout une vision profondément pessimiste.

Par Georges Kaplan.

Je me suis souvent demandé comment l’auteur de 1984 pouvait être socialiste ?

C’est, du moins me semble-t-il, Orwell lui-même qui nous donne la réponse dans une lecture comparée de La route de la servitude de Friedrich Hayek et de The Mirror of the Past de Konni Zilliacus (The Observer, le 9 avril 1944). Lire Orwell s’exprimer sur ces deux opus est particulièrement intéressant puisque, comme il le note lui-même, ils couvrent à peu de chose près le même champ tout en développant des opinions radicalement opposées : Hayek, bien sûr, défend le capitalisme et l’économie de marché et dénonce les inévitables dérives totalitaires des systèmes collectivistes tandis que Zilliacus, fervent partisan du collectivisme, soutient une thèse parfaitement orthogonale.

Dès le début du papier, Orwell adopte une position surprenante en déclarant que les deux auteurs pourraient bien avoir raison. Selon lui, le capitalisme de laissez-faire ne peut mener qu’au monopole et donc à la crise et au chômage ; il en conclut que le glissement progressif vers des régimes collectivistes est inévitable pour peu qu’on continue à demander leur avis aux électeurs (et dans le cas contraire, bien évidemment, c’est la dictature). Seulement voilà : le même Orwell éprouve la plus grande méfiance pour de tels régimes qui, selon ses propres termes, « donnent à une minorité tyrannique plus de pouvoirs que les inquisiteurs espagnols n’auraient jamais rêvé en avoir. »

Bref, toute l’originalité de la position orwellienne est résumée dans la fin de son article lorsqu’il écrit que « le capitalisme mène au chômage, à la lutte pour les marchés et à la guerre » mais ajoute aussitôt que « le collectivisme conduit aux camps de concentration, au culte du chef et à la guerre. » La vision d’Orwell, qui rêve sans trop y croire d’une économie planifiée qui ne dégénère pas en dictature stalinienne, c’est avant tout une vision profondément pessimiste. D’une certaine manière, Orwell – du moins le George Orwell de 1944 – est un marxiste pour qui la fin de l’Histoire ne sera pas l’avènement du communisme mais celui de la société totalitaire qu’il décrit dans 1984 ; il était socialiste – oui, sans doute – mais un socialiste par défaut, un socialiste qui n’y croyait au fond pas vraiment lui-même.

Fort heureusement pour nous tous, les plus grands écrivains peuvent être de piètres économistes.

—-
Sur le web.

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  • Bonjour,

    Sur le site « Enquête et débat », vous trouverez une intéressante série d’articles (on en est à 8 sur 11) consacrée à Orwell: http://www.enquete-debat.fr/archives/george-orwell-ce-socialiste-anti-totalitaire-meconnu-1-sur-11-40185

    Bonne journée

  • « piètre économiste »
    Oui, probablement, car sinon, il aurait vu que ce qu’il dénonçait était avant le monopole. Ce qui pervertit toute forme de socialisme, c’est la dérive monopolistique et totalitaire qu’elle contient en germe et qui éclot dès que le terrain s’y prête. Ce qui tue le « capitalisme débridé », c’est sa tendance monopolistique qui tue toute concurrence et crée des entités qui imposent leurs lois.
    Pas si piètre que cela, le camarade Orwell!

    • @ TDK1 :

      Vous faites erreur il me semble, en régime de concurrence libre (« le capitalisme débridée ») un monopole ne peut s’établir, ni même un oligopole … Une entreprise a par nature une tendance monopolistique, mais les talents sont partout, et aucune situation n’est stable (regardez microsoft par ex…)

      • Je suis en total désaccord avec vous. Vous avez beau dire que les talents existent, pour s’exprimer, il doivent pour voir le faire. Lorsqu’une société privée arrive au stade de monopole, elle a aussi les moyens d’empêcher l’éclosion de tout concurrent. Soit parce qu’elle contrôle les sources de matière, soit parce qu’elle achète les licences ou les brevets quitte à les conserver au frigo, juste pour empêcher qu’ils éclosent, soit parce qu’elle maîtrise les circuits de distributions. Votre exemple de Microsoft est significatif. Nous ne somme pas dans un contexte de capitalisme « débridé ». Pourtant, il a fallu des décisions réglementaires (dont certaines d’ailleurs fort douteuses) pour permettre que d’autres puissent montrer le bout de leur nez et prendre une part de marché viable. Et encore ne parlons nous que des produit annexes et non du système d’exploitation.

        • @ TDK1

          C’est assez amusant que pour souligner le monopole provoqué par le capitalisme vous citiez les licences et brevets.

          Vous avez parfaitement raison d’ailleurs, les licences et les brevets sont un frein majeur à la concurrence, sauf que ceux-ci sont de l’interventionnisme et non du libéralisme, ils sont la résultante de l’action de l’État et non du libre marché.

          Et en fait, toutes les interventions de l’État (ou presque) incitent au monopole:

          Brevets, licences, 35 heures, smic, charges, normes, etc. Tout cela est facile à mettre en œuvre pour une entreprise qui est déjà sur le marché mais met des barrières parfois infranchissables pour toute nouvelle entreprise qui voudrait se lancer.

          Sans compter que plus l’administratif et les frais d’avocats sont élevés, plus cela incite les entreprises à fusionner en une seule pour réduire ces coûts, plutôt que de rester des PME…

          Alors certes, l’État a bien mis quelques lois antimopolistiques en parallèle, mais qui ne sont que de la poudre aux yeux face au tord considérable que celui-ci produit en général sur la concurrence.

          Dans un vrai marché libre, vous auriez beaucoup plus de PME que de grosses entreprises, donc des patrons payés avec des salaires bien plus décents et qui prennent plus de risques que les grands patrons dénoncés par la gauche. Vous auriez peut-être des entreprises qui serait très majoritaire sur un marché, mais ce ne serait que parce qu’elles seraient réellement meilleures à tous les niveaux que la concurrence, ce serait donc en faveur des clients, contrairement aux monopoles qui n’existent qu’à cause de l’intervention de l’État…

        • @ TDK1 : « lorsqu’une société arrive au stade de monopole, elle a aussi les moyens d’empécher l’éclosion de tout concurrent » : plusieurs pré supposés économiques faux dans votre phrase : Comment arriver en situation de monopole en situation de concurrence ? c’est impossible.
          Ensuite : une société a les moyens d’empécher la concurrence ? ah bon ? et comment ? par des moyens coercitifs ? mais dans ce cas, nosu ne sommes pas dans un marché libre ? De plus, vous considérez la concurrence dans le même secteur d’activité, mais tous les secteurs se concurrencent : si l’avion est trop cher, on prend le train ou la voiture. Si l’ordinateur est trop cher, on prends une tablette ou on va dans un internet café, etc etc etc … empécher la concurrence est impossible (dans un marché raisonnablement libre)

        • Ce n’est sûrement pas la décision de l’UE de mettre un écran de choix de navigateur dans windows qui a provoqué la fin du monopole d’IE parmi les navigateurs internet. Depuis quelques années, firefox grignotait déjà des PDM significatives et a permis de faire accepter aux gens l’idée d’un navigateur alternatif, préparant le terrain pour Chrome, qui s’est imposé par ses qualités intrinsèques.

      • « aucune situation n’est stable »
        Ceci reste à prouver. Bien des institutions ont perduré des siècles avant de perdre leurs monopoles, ce qui est assez long pour légitimer l’usage de la force, quelle qu’elle soit. Et reste la question des secteurs stratégiques et des monopoles naturels (plus efficients en situation de monopole que de concurrence et dont la gestion, donc les profits, doivent bien être confiée à quelqu’un).

        Cela dit, la notion de progrès m’étant chère, j’ai dans l’idée que l’humanité va vers le mieux, depuis et pour encore longtemps. C’est d’ailleurs pour cela que je suis libéral : je n’ai pas plus peur de mes semblables que de moi même et ai suffisamment confiance en l’homme et en l’humanité pour les vouloir toujours plus libres. Le socialisme a sûrement de beaux desseins pour l’humanité mais cultivera toujours la peur d’autrui et la défiance envers l’individu. Les crises économiques n’ont jamais incité à plus de confiance entre les personnes ou groupes aux intérêts divergents, ceci expliquant cela, malthusianisme, protectionnisme et autres foutaises pessimistes reculerons aussi vite que la croissance poindra.

        • @sansinteret : mais ces institutions qui ont perduré pendant des siècles n’étaient pas dans un système libre de concurrence, voilà pourquoi elles ont perduré ….

  • Sans être un pro d’Orwell il me semble qu’il arrive à l’idée de common decency qui n’est autre qu’une disposition personnelle de chacun. A partir de là, Orwell réagissait en définitive aux tendances les plus extrêmes de la gauche comme les plus extrêmes des libéraux. Le terme « socialisme » d’Orwell est à prendre au sens de « socialisme » tel qu’il était à ses débuts (chez Proudhon par ex quand il était jeune) comme intérêt pour l’autre qui nous entoure, comme conscience du collectif.
    N’oubliez pas que le libéralisme promeut l’émancipation personnelle via la liberté, mais il promeut aussi le mécénat. L’individualisme n’est pas l’égoïsme. C’est toute la confusion actuelle du mot libéral.

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