Les inégalités empirent. Vraiment ?

La lutte contre les inégalités est sur toutes les bouches. Mais est-ce à juste titre ?

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Les inégalités empirent. Vraiment ?

Publié le 4 janvier 2018
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Par Yves Montenay.

Le discours « anti-inégalités » devient envahissant, les médias en débordent. À droite on donne des statistiques d’un ton navré, à gauche on crie au scandale et on exige des impôts. Mais un peu d’analyse incite à la prudence !

Ce discours est éternel. Il a été relancé par Thomas Piketty, avec son ouvrage Le Capital au XXIe siècle, vendu à 2,5 millions d’exemplaires dans lequel il « démontre » la captation de la croissance par les plus riches. Le Monde du 13 décembre revient une fois de plus sur le sujet avec « l’enquête la plus fouillée : depuis les années 1980 les 1 % les plus riches du monde ont capté 27 % du revenu mondial … c’est une menace planétaire ».

L’objet du présent article n’est pas de faire un énième tableau, ni de critiquer des failles voire les trucages de ces études (s’agissant de Piketty, un article de Richard Sutch paru en octobre 2017 dans la revue Social Science, chez Cambridge University Press est particulièrement sévère).

Mon objet n’est pas de me lancer dans une bataille de chiffres, mais d’analyser ce qu’ils signifient vraiment, ce qui mène à constater que l’on confond les symptômes et les causes.

Je parlerai peu de la France car nous sommes un des grands pays les plus égalitaires, surtout après impôts au sommet et allocations à la base, ce qui est oublié par la plupart des études, qui citent des chiffres avant redistribution ! D’ailleurs les articles incendiaires sur ce sujet portent rarement sur la France, mais plus souvent sur les États-Unis ou sur l’ensemble de la planète.

 

Inégalités : que disent vraiment les chiffres ?

Eh bien ce n’est pas très clair, car on passe sans arrêt de la dénonciation des inégalités à celle des « riches », le seul lien entre les deux étant que pour réduire les premières, il faut taxer les seconds.

Voyons cela de plus près : l’inégalité, c’est la comparaison des pauvres et des riches. Reste à voir comment on choisit les uns et les autres.

Choisir les pauvres

La palme du choix tendancieux des pauvres revient à l’affirmation qui a envahi les réseaux sociaux :

« Sur la planète, une poignée de riches a un patrimoine supérieur au total de celui de centaines de millions de pauvres ».

Or, il est facile d’avoir un patrimoine supérieur à… des centaines de millions de fois zéro.

De même pour les revenus : l’Inde est certes mathématiquement le pays le plus inégalitaire, avec des patrons vertigineusement payés en nombre de salaires ouvriers, mais cela provient surtout du bas niveau de ces salaires, niveau qui reflète l’immense retard de l’économie indienne.

Cela vient également tout simplement d’un beaucoup plus grand nombre d’enfants par famille, cinq puis trois pendant les dernières décennies, contre de 1,2 à 1,5 dans la plupart des pays développés et en Chine. Remarquons que si la faible fécondité de la Chine et l’Occident amoindrit des inégalités internes, cela pose un problème dramatique quant à l’avenir de leurs retraites, voire leur survie tout court. L’obsession des inégalités a le défaut de cacher d’autres problèmes !

 

Choisir les riches

Parlons maintenant du choix des riches dans les exemples d’inégalités : en vrac, on y trouve les inventeurs, les entrepreneurs, les sportifs, les chanteurs, les détourneurs d’argent public, les prédateurs politiques de certains pays d’Afrique et d’ailleurs, les trafiquants d’êtres humains et j’en oublie…

Bref, dire « les riches », c’est comme dire « les musulmans », « les plus de 1 mètre 80 », « les socialistes », ce n’est pas opérationnel. C’est une catégorie trop hétérogène pour pouvoir porter un jugement moral global, et même pour en faire une simple analyse économique.

Par ailleurs, être riche n’est pas un état permanent, alors que la lecture des diverses études suggère le contraire. D’après des données allant jusqu’en 2015, une étude des universités Cornell et Washington à Saint Louis (États-Unis) estime qu’environ 50 % des Américains ont fait partie des 10 % les plus riches pendant au moins une année, et que 11 % ont même fait momentanément partie des 1 %. Et parmi ces 1%, 83% sont des self made men, et seulement 17 % des héritiers.

Une autre faiblesse des affirmations sur les inégalités est de confondre entreprises et actionnaires. Certes, certaines entreprises sont très riches, mais une entreprise n’est pas une personne. Les personnes, ce sont les actionnaires.

Si dans les grandes entreprises cotées le fondateur s’est enrichi, la masse des actionnaires sont souvent des gens modestes qui tentent de bâtir leur retraite via les fonds de pension, les compagnies d’assurances et autres institutionnels. C’est largement à ces retraités que vont les « gros dividendes » si souvent dénoncés.

En résumé, les inégalités sont une notion trop complexe pour être laissée aux idéologues.

 

Taxons, taxons !

Le réflexe général face à ces études est « augmentons les impôts, tant sur la fortune que le revenu, et cette richesse indécente sera limitée ».

Cette idée pêche sur plusieurs points.

  • Taxer n’est possible que dans les pays où il est techniquement et politiquement possible de prélever les impôts sur les personnages puissants, c’est-à-dire en pratique en Occident. Donc dans les pays où les riches sont en général des entrepreneurs, ce qui laisse de côté la masse des prédateurs ou des corrompus, c’est-à-dire les cas moralement indéfendables.
  • À l’inverse, les riches Occidentaux sont souvent utiles. Leur faire la chasse est souvent contre-productif. Par exemple imposer les riches Français donne-t-il de l’emploi aux chômeurs ? C’est plutôt l’inverse. Et ils payent les charges sociales bénéficiant à leurs salariés, la TVA, les taxes locales… même si certains arrivent à escamoter une partie de l’impôt sur les sociétés. Il faut y réfléchir à deux fois avant de de les ruiner ou de les faire fuir ! La Suède en a fait l’expérience.
  • Taxer suppose que le produit de l’impôt ira aux plus pauvres. Là aussi, ce n’est possible que dans les pays où le système fiscal et social fonctionne bien, c’est-à-dire dans les pays occidentaux. Or c’est là que les pauvres sont moins pauvres qu’ailleurs. Rappelons une formule fréquente aux États-Unis : presque tous « nos » pauvres ont un toit, une voiture et la télévision ; rien à voir avec les pauvres de l’Inde, qui ne bénéficieront pas d’un éventuel impôt américain.

 

L’exemple de Bill Gates

Ce milliardaire supposé être le plus riche, ou le deuxième plus riche, du monde, alors qu’il est probablement plus transparent que d’autres fortunés, utilise son argent de manière infiniment plus efficace que les super-impôts que l’on regrette de ne pas lui avoir appliqués, comme l’illustre son action pour les toilettes en Inde : il a longtemps été le seul à se préoccuper de cette terrible inégalité en matière d’hygiène et de santé, qui touche des centaines de millions de personnes.

 

Commencer par analyser les causes

Finalement, il nous semble plus utile de comprendre les causes des inégalités avant de crier au scandale, pour vérifier s’il faut vraiment les corriger et, dans l’affirmative, si l’impôt est vraiment la meilleure solution.

Les inégalités ne sont en effet souvent que les conséquences de causes très variées dont certaines ne font que refléter des phénomènes neutres, voire souhaitables :

  • l’accès des femmes aux études supérieures a entraîné multiplication des couples très diplômés, accumulant un patrimoine difficile à obtenir dans l’ancien modèle familial,
  • la valorisation de l’entrepreneuriat individuel a créé de nombreux millionnaires et quelques milliardaires, et permis de grands progrès du mode de vie dont on ne s’aperçoit plus,
  • l’arrivée des immigrés de pays pauvres va statistiquement augmenter les inégalités dans le pays d’accueil en élargissant le bas de la pyramide sociale, alors que ces immigrés auront considérablement amélioré leur niveau de vie ; et la statistique ne fera pas de distinction entre leurs ressources venant d’un travail ou des allocations, remplaçant une vraie question par un faux problème,
  • la multiplication des situations de détresse accroissant les inégalités sont également la conséquence de catastrophes naturelles, de guerres civiles et autres événements dramatiques dont la solution ne passe pas par l’impôt !

 

Ne pas oublier les rentes

Une cause moins connue des inégalités est la création de rentes. Par exemple, la rente immobilière due à une raréfaction administrative des terrains à bâtir. Cela peut être justifié, mais il ne faut pas se plaindre des conséquences.

Le cas de Paris est emblématique : c’est d’une part une ville-musée, donc agréable et touristique, d’autre part un foisonnement d’offres d’emploi, les deux favorisés par des transports en commun efficaces, particulièrement appréciés par les étrangers.

Il n’est donc pas étonnant que le monde entier surenchérisse pour s’y loger, mais faut-il raser le centre historique comme le proposait Le Corbusier pour y loger dix fois plus de monde à des prix éventuellement plus abordables ?

The Economist pointe également les rentes intellectuelles : des entreprises importantes, dont les GAFA (Google Apple Facebook Amazon), achètent des « jeunes pousses » et stérilisent leurs brevets ou les utilisent à leur profit, ce qui accroît encore la fortune de leurs actionnaires. Mais ces derniers, nous l’avons vu, ne sont souvent pas des riches. Dans ce cas, l’éventuel remède n’est pas l’impôt, mais par exemple l’assouplissement ou la disparition des brevets. J’avoue ne pas savoir si c’est souhaitable.

 

N’imitons pas les médecins de Molière !

Finalement, les inégalités ne sont que des symptômes, et le défaut des débats actuels est de ne pas s’intéresser aux causes. Quelques remèdes sont classiques : la formation, notamment face à la crainte du déclassement, la démocratie, notamment face aux autocrates et aux prédateurs qui, de toute façon sont hors de portée des impôts.

Bref, l’impôt pour contenir les inégalités c’est un peu la saignée des médecins de Molière : on ne sait pas quelle est la maladie, mais on commence par vous enlever une pinte de sang. Il faut tuer le malade pour le guérir !

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  • bonjour,

    votre billet est bien évidemment intéressant et redresse les faits à l’usage d’un certain nombre de redresseurs de torts d’opérette.

    toutefois, arrêtons nous instant sur la notion d’inégalité : celle-ci est elle si dramatique ? doit elle être combattue par tous moyens ? ne parle t on que des inégalités de « fortune » ?

    je suis beaucoup plus préoccupé par la lutte contre la pauvreté que par la lutte contre les inégalités.

    • Tout à fait d’accord avec vous. Rien que le titre n’est pas bien choisi: Les inégalités « empirent »… en quoi est-ce pire? en quoi une inégalité de fortune a-t-elle un contenu moral quelconque? Ce n’est ni bien ni mal que les gens disposent de sommes d’argent différentes. Il faut être socialiste pour faire des différences de revenu un problème moral fondamental.
      Et bien sûr, la pauvreté est un problème, mais nous pensons (et avons de bonnes raisons pour cela) que c’est en augmentant la liberté que ce problème sera réduit, pas en redistribuant les revenus.

      • Vous pouvez aller un pas plus loin : dans le système financier mondial, des inégalités de revenu, ça ne veut absolument rien dire :

        – soit le « riche » dépense son argent, ce qui profite aux autres, dont des « pauvres »
        – soit le « riche » place son argent dans des entreprises, ce qui fait travailler les autres, et donc encore profite aux autres
        – soit le « riche » laisse son argent en banque, ce qui renforce les fonds propres de celle-ci, ce qui permet d’aider, de prêter à des gens qui refont le même : dépensent, places ou laissent en banque.

        Donc globalement, le plus il y a « d’inégalités » le plus cela profite aux pauvres.

        L »économie est la dynamique des échanges, les gauchistes l’ont depuis longtemps transformée en théorie de la production matérielle, ce qui est complètement différent.

        Le seul revenu qui a un sens est le revenu permanent, c’est à dire le capital matériel et immatériel dont disposent les gens, sachant que le capital immatériel et une bonne part du capital matériel ne leur appartient pas entièrement, mais est socialisé et profite aux autres.

        Comme par exemple un logement loué : même si le loueur « paie » on oublie vite qu’il a quand même un toit.

  • Dans une société ouverte et complexe, l’inégalité est naturelle. L’égalité est une notion idéologique qui ne peut être réalisée que par la contrainte étatique.

  • « TAXONS, TAXONS ! »

    Principe : si un problème économique peut être résolu par une taxe ou débouche sur une taxe, alors ce n’est pas un problème économique réel mais un sujet purement imaginaire, idéologique, dogmatique. Dès lors, les taxes ne résoudront rien puisqu’il n’y a pas de problème économique réel.

    Il en va ainsi des inégalités. Si les inégalités sont résolues par des taxes, alors les inégalités sont un sujet imaginaire, sans cause, ni solution.

    Le même principe s’applique particulièrement bien au réchauffement climatique anthropique imaginaire et à la taxe carbone.

    En revanche, jamais une taxe n’a permis de résoudre la pauvreté. La pauvreté est un problème économique réel.

  • « Dans ce cas, l’éventuel remède n’est pas l’impôt, mais par exemple l’assouplissement ou la disparition des brevets.. J’avoue ne pas savoir si c’est souhaitable. »
    Bien sur que si, les brevets sont une perversion du droit de propriété, null ne peut posséder une idée.
    Et quand on voit les guerres de brevets stériles qui ont lieu en permanence, quel gâchis de ressources.

    • Les brevets ne protègent pas des idées mais des inventions susceptibles d’application industrielle – le principe est que l’inventeur divulgue son invention à tous et reçoit une exclusivité en contrepartie. Vous pouvez choisir de la garder secrète et de la protéger par contrat si vous voulez.
      Ceci dit il y certainement des choses à améliorer dans le système actuel, mais nous sommes un peu hors sujet!

      • Il semblerait néanmoins favorable à l’égalité des chances que les brevets et droits d’auteur tombent au minimum dans le domaine public à la mort de l’auteur.

      • Vous pouvez le voir comme vous voulez mais ca reste un protectionnisme crasse, si votre compétiteur chinois copie votre brevet et vend 3 fois plus que vous, vous vous estes simplement planté quelque-part.

        • « Les brevets ne protègent pas des idées mais des inventions susceptibles d’application industrielle »
          Oui donc des idées…

          • Une invention repose sur des plans précis, une explication du rôle et de la forme de chaque composant…etc
            Un brevet peut bien sûr être copié illégalement. Cette pratique est néanmoins de moins en moins pratiquée en Chine du simple fait que le pays commence à poser lui-même beaucoup de brevets et qu’il n’a pas envie de se les voir pirater.
            Quant vous posez un brevet, la procédure de dépôt est longue car une recherche est faite pour vérifier si ce que vous voulez breveter ne l’a pas déjà été et si ce que vous apportez est nouveau.
            Par ailleurs, quelqu’un peut également déposer un nouveau brevet en utilisant un de ceux que vous auriez déposé auparavant, si jamais cette personne développe une nouvelle application de votre brevet dans un domaine non envisagé auparavant. Ce que cette personne pourra breveter ce sont les nouveaux éléments (avec explications détaillés, plans, composition…etc) permettant d’utiliser votre brevet pour cette nouvelle application et non votre brevet initial qui est toujours votre propriété. Quelqu’un souhaitant utiliser cette nouvelle application devra payer des royalties aux propriétaires de ces deux brevets.
            Par contre, si cette nouvelle application ne nécessite pas de modifier certaines choses ou d’en rajouter d’autres au produit initialement breveté, celui qui a eu cette nouvelle idée d’application peut difficilement déposer un brevet pour cela.
            La question n’est pas simple mais une simple idée ne peut être brevetée.

  • En finir avec les régimes spéciaux de retraite (fabrique n°1 d’inégalité), l’emploi à vie (fabrique de fainéant), l’avancement à l’ancienneté (fabrique de bon à rien), l’ena et Bercy (fabrique d’enculeurs de mouches et destructeurs de richesse), les syndicats et les médias subventionnés (fabrique de ripou et d’idéologues véreux), les monopoles d’escrocs en bandes organisées (fabrique de parasites voraces de l’argent des autres, etc…
    Bref, facile

  • il faut juste arrêter d’avoir l’inégalité honteuse…
    Comment diable serait il possible qu’il n’existe pas d’inégalité de revenus?
    La redistribution profite elle vraiment aux pauvres?
    Les inégalité sont elles immorales au dessus d’un certain seuil?

    Pourquoi simplement accepter les termes stupides de redistribution de richesses et de captation par les riches..

  • Les commentaires sont fermés.

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